Paris, ville lumière, cache bien des secrets dans ses beaux quartiers. Derrière les façades haussmanniennes se joue une autre partition, celle des lubies et obsessions d’une caste à part : la bourgeoisie. Loin des considérations terre-à-terre, ces happy few cultivent des passions surprenantes et parfois déconcertantes. Entrez dans les coulisses d’un monde où l’extravagance est reine.
Le mâitre à penser, figure incontournable des dîners en ville
Pas de bon dîner bourgeois sans son philosophe ou son écrivain attitré. Avoir son mâitre à penser attribué est un must. Peu importe s’il n’a pas publié depuis 10 ans ou si personne ne comprend ses théories absconses. L’essentiel est de pouvoir placer son nom au détour d’une conversation et de hocher la tête d’un air entendu à l’évocation de son dernier ouvrage. Le maître à penser se voit ainsi érigé en arbitre du bon goût, loin de toute considération bassement matérialiste.
Saviez-vous que Fulbert Durand-Dastès, spécialiste de la littérature ouzbèke du 19ème siècle, a ses entrées dans tous les salons de la rive gauche ?
– Un insider anonyme
L’art contemporain, terrain de jeu des collectionneurs facétieux
Il est de bon ton d’exposer quelques œuvres d’avant-garde chez soi. Peu importe si les invités restent perplexes devant ces installations minimalistes ou ces toiles monochromes. L’important est de montrer qu’on vibre au diapason de la création actuelle.
- Les collectionneurs n’hésitent pas à débourser des fortunes pour des œuvres dont ils ne comprennent pas toujours le sens.
- Certains artistes en profitent pour proposer des créations volontairement absconses… et s’en mettre plein les poches !
Joutes verbales et réparties cinglantes, le sport favori des salons
Les salons de la haute société sont le théâtre de véritables concours d’éloquence, où celui qui placera le bon mot au bon moment raflera la mise. Cette jouissance langagière s’observe particulièrement lors des traditionnelles Garden Parties, où tout ce beau monde rivalise de traits d’esprit et de formules assassines, savourant le plaisir de clouer le bec à un contradicteur.
L’essentiel n’est pas de convaincre, mais d’éblouir son auditoire par un maniement virtuose des jeux de mots et allusions savantes.
– Gontran de la Mornière, poète et mondain
Voyages initiatiques et pérégrinations insolites
Le bourgeois qui se respecte se doit de partir régulièrement en voyage, mais pas n’importe où ! Exit le farniente sur la plage ou les circuits touristiques. Il faut du dépaysement, de l’aventure, des destinations confidentielles qui feront pâlir d’envie les amis restés au bercail.
- Une retraite spirituelle dans un monastère bouddhiste perdu au fin fond du Bhoutan ? Parfait !
- Une transhumance avec une tribu mongole dans les steppes de Sibérie ? Encore mieux !
Le but ultime étant de revenir avec des anecdotes incroyables et des photos uniques, qu’on se gardera bien de poster sur Instagram. Seuls les happy few y auront droit, autour d’un dîner en petit comité.
Se démarquer, tout un art
Au fond, la grande obsession du bourgeois est de trouver son signe distinctif, ce petit rien qui fera toute la différence. Qu’il s’agisse d’un prénom d’origine étrangère, d’un loisir incongru ou d’un engagement associatif original, l’essentiel est de se démarquer du troupeau.
Catégorie | Exemples |
Prénoms | Swann, Octave, Capucine |
Loisirs | Tir à l’arc médiéval, Lancer de haches, Ikebana |
Engagements | Sauvegarde du Zébu nain d’Asie, Valorisation de l’artisanat Quechua |
L’obligation de se singulariser est devenue le nouveau conformisme bourgeois.
– Hélène de Bellerive-Montfort, sociologue
Derrière son vernis d’excentricité, la bourgeoisie parisienne obéit en réalité à des codes précis. Ces obsessions en disent long sur une volonté de se distinguer du commun des mortels et de cultiver une forme de privilège culturel. La fantaisie n’est qu’apparente. Chaque lubie répond à une stratégie plus ou moins consciente d’affirmation sociale. Au fond, ces divers pinaillages ne sont que les signes extérieurs d’appartenance à une caste fermée, avec ses rites initiatiques et ses totems distinctifs.
Mais qu’importe ! On ne se refait pas. Et c’est peut-être ce mélange savoureux de légèreté et de profondeur, de dérision et de sérieux, qui fait tout le charme de cette bourgeoisie parisienne éclairée. Ses obsessions sont sa manière à elle de résister à la morosité ambiante et à l’uniformisation des esprits. En cultivant ses lubies, elle entretient une petite musique de l’âme qui n’appartient qu’à elle. Et ça n’a pas de prix.