Imaginez un pays où le simple fait d’aller voter représente à la fois un acte de foi en l’avenir et un rappel constant des violences passées. Ce dimanche, en Centrafrique, des millions d’électeurs se rendent aux urnes pour une élection présidentielle qui pourrait sceller le destin politique de Faustin-Archange Touadéra. Dans un contexte toujours marqué par la fragilité, le président sortant apparaît comme le grand favori pour un troisième mandat consécutif.
Une journée électorale sous haute tension
Dès les premières heures du matin, les bureaux de vote ont ouvert leurs portes à travers le pays. Près de 2,3 millions d’électeurs inscrits sont appelés à participer à un scrutin multiple : présidentielle, législatives, municipales et régionales. Les horaires sont stricts, de cinq heures à dix-sept heures GMT, pour permettre un vote dans des conditions organisées.
À Bangui, la capitale, l’ambiance est particulière. Dans le bureau de la mairie centrale, une file d’attente se forme rapidement. On y remarque une forte présence militaire parmi les premiers votants. Un retraité de l’armée, âgé de 61 ans, exprime sa détermination : il n’a jamais manqué une élection et compte accomplir une nouvelle fois son devoir citoyen, comme en 2016 et 2020.
Cette scène illustre le mélange d’espoir et de routine qui caractérise ces moments électoraux dans un pays habitué aux crises. Les électeurs savent que leur voix compte, même si le résultat semble déjà tracé pour beaucoup.
Touadéra, le candidat de la continuité
À 68 ans, le président sortant domine largement la campagne. Élu une première fois en 2016, puis réélu en 2020 lors d’un vote contesté, il bénéficie aujourd’hui d’une position renforcée. Ses partisans mettent en avant les progrès réalisés sous son mandat, notamment en matière de sécurité.
Le chef de l’État se présente comme le garant de la stabilité. Il a clôturé sa campagne par un grand meeting dans le stade de 20 000 places de Bangui, rassemblant une foule importante. Ce rassemblement symbolise le soutien populaire dont il dispose dans la capitale et au-delà.
Mais cette quête d’un troisième mandat n’est pas sans controverse. Une nouvelle Constitution adoptée en 2023 a ouvert la voie à cette possibilité, provoquant l’ire d’une partie de l’opposition qui y voit une manœuvre pour prolonger indéfiniment le pouvoir en place.
Je vais voter comme en 2016 et 2020.
Un électeur retraité de l’armée à Bangui
Cette fidélité électorale reflète la base solide dont dispose le président sortant, même si elle masque des divisions profondes au sein de la société centrafricaine.
Une opposition divisée et affaiblie
Face à Touadéra, sept candidatures ont été validées. Deux d’entre elles paraissent crédibles. Le premier challenger est Anicet-Georges Dologuélé, figure historique de l’opposition, arrivé second lors des deux précédentes présidentielles. Le second est Henri-Marie Dondra, ancien Premier ministre passé dans l’opposition et candidat d’un parti républicain.
Cependant, l’opposition apparaît fragmentée. Une partie significative a choisi de boycotter le scrutin, le qualifiant de mascarade électorale. Ces voix critiques dénoncent l’absence de véritable dialogue politique et des entraves à la campagne des opposants.
Des incidents notables ont marqué la période pré-électorale. Les principaux rivaux ont été empêchés de se déplacer en province par avion, limitant ainsi leur capacité à mobiliser au-delà de la capitale. Ces restrictions ont alimenté les accusations de partialité du pouvoir.
Dans ce contexte, le chemin vers une victoire dès le premier tour semble dégagé pour le président sortant. Les observateurs notent que tout semble organisé pour faciliter son succès.
La sécurité, argument majeur du pouvoir
Le principal argument de campagne du président repose sur les avancées sécuritaires. Le pays, marqué par une guerre civile dévastatrice dans les années 2010, a connu une relative amélioration. Près de 90 % du territoire est désormais sous contrôle gouvernemental, contre une large partie aux mains des groupes armés il y a quelques années.
Cette reconquête doit beaucoup au soutien militaire extérieur. Les forces centrafricaines, appuyées par des instructeurs russes et des éléments rwandais, ont repoussé les rébellions dans plusieurs régions. La présence de ces alliés a permis d’éviter les perturbations majeures qui avaient marqué le scrutin de 2020.
Des accords de paix signés cette année avec certains groupes armés ont également contribué à apaiser les tensions. La mission des Nations Unies maintient une présence importante pour stabiliser les zones sensibles.
Dans les rues de Bangui, cette présence sécuritaire est visible. Policiers, soldats et personnels étrangers patrouillent en nombre, garantissant un déroulement calme de la campagne et du vote.
Progrès sécuritaires revendiqués :
- Reprise de contrôle sur 90 % du territoire
- Accords de paix avec plusieurs groupes armés
- Soutien militaire international renforcé
- Scrutin plus apaisé qu’en 2020
Des progrès visibles mais une précarité persistante
Au-delà de la sécurité, le pouvoir met en avant des réalisations concrètes dans la capitale. Des routes ont été bitumées, l’éclairage public installé sur les axes principaux, et les systèmes d’évacuation des eaux pluviales rénovés. Ces améliorations changent le visage de Bangui et améliorent le quotidien de nombreux habitants.
Cependant, la réalité reste dure pour la majorité de la population. Plus de 70 % des Centrafricains vivent sous le seuil de pauvreté. Les services de base manquent cruellement en dehors de la capitale : routes praticables, écoles, hôpitaux, emplois.
Le chômage touche massivement la jeunesse, le coût de la vie augmente, et le niveau de formation reste faible. Ces défis structurels rappellent que la stabilité sécuritaire, bien que précieuse, ne suffit pas à transformer profondément le pays.
Les électeurs, comme ce retraité militaire, votent souvent par habitude et par espoir que la continuité apporte progressivement des changements positifs. Mais beaucoup restent sceptiques face aux promesses répétées.
Un scrutin observé de près
L’organisation électorale affirme avoir tout mis en œuvre pour un vote transparent. Plus de 1 700 observateurs nationaux et internationaux ont été accrédités. Des délégations de l’Union européenne, de la communauté économique régionale et de l’Union africaine sont présentes pour veiller au bon déroulement.
Les résultats provisoires de la présidentielle sont attendus pour le 5 janvier. Cette période d’attente sera scrutée avec attention, car elle pourrait révéler des contestations ou des irrégularités alléguées.
La campagne elle-même s’est déroulée sans incidents majeurs, un progrès notable par rapport aux scrutins précédents marqués par des violences. Ce calme relatif renforce l’argument du pouvoir sur sa capacité à maintenir l’ordre.
Un contexte africain plus large
Cette élection en Centrafrique s’inscrit dans une année particulièrement riche en scrutins sur le continent. Plusieurs pays ont renouvelé leurs dirigeants, souvent dans des contextes controversés. Des leaders en place depuis longtemps ont été reconduits, parfois après l’exclusion de principaux opposants.
Cette tendance soulève des questions sur l’évolution démocratique en Afrique. La montée de l’autoritarisme et la répression des oppositions dans certains États inquiètent les observateurs internationaux.
En Centrafrique, le cas de Touadéra illustre cette dynamique : modification constitutionnelle pour briguer un nouveau mandat, opposition affaiblie, soutien militaire extérieur décisif. Le pays reste un exemple emblématique des défis persistants pour consolider la paix et la démocratie après des années de conflit.
Alors que les bureaux de vote ferment progressivement, l’avenir politique du pays se joue. La victoire attendue du président sortant pourrait marquer une nouvelle étape de consolidation du pouvoir, mais dans un équilibre toujours précaire. La Centrafrique continue sa lente marche vers la stabilité, entre espoirs mesurés et réalités complexes.
Ce scrutin, comme les précédents, révèle les contradictions d’un nation en reconstruction. Sécurité améliorée d’un côté, pauvreté massive de l’autre. Soutien populaire dans la capitale, contestations dans l’opposition. Le troisième mandat de Touadéra, s’il se confirme, devra répondre à ces défis pour transformer la fragile stabilité en progrès durable.
Les Centrafricains, par leur participation massive malgré les doutes, démontrent une résilience remarquable. Leur vote n’est pas seulement un choix politique : c’est un acte de foi en un avenir meilleur, dans un pays qui a trop souffert pour abandonner l’espoir.
Éléments clés du scrutin :
- 2,3 millions d’électeurs inscrits
- Élections multiples le même jour
- Sept candidats à la présidentielle
- Résultats provisoires attendus le 5 janvier
- Plus de 1 700 observateurs accrédités
En définitive, cette journée électorale marque un moment pivotal. Elle pourrait conforter le pouvoir en place tout en soulignant les limites d’un modèle basé principalement sur la sécurité. L’avenir dira si cette stabilité nouvellement acquise servira de fondation à un développement plus inclusif, ou si les tensions latentes resurgiront.
Pour l’instant, les regards sont tournés vers Bangui et les provinces. Le dépouillement commence, et avec lui l’attente des résultats qui dessineront les prochaines années de la Centrafrique.






