Le monde de l’édition en Algérie traverse actuellement une période des plus sombres. Entre censure et répression, écrivains et libraires doivent faire face à un choix cornélien : se ranger du côté des islamo-conservateurs ou risquer de disparaître. Mais dans l’ombre, certains résistent encore et toujours à l’oppression, au péril de leur liberté.
Le retour en force de la censure
Depuis plusieurs mois, les actes de répression envers les acteurs du livre se multiplient en Algérie. Dernier épisode en date : l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à l’aéroport d’Alger le 16 novembre dernier. Officiellement accusé d’atteinte à l’intégrité du territoire, son véritable crime serait en réalité d’écrire et de penser librement.
Quelques semaines plus tôt, c’était au tour de Kamel Daoud de subir les foudres du régime. Son dernier roman « Houri », qui a reçu le prestigieux prix Goncourt, a été interdit de vente en Algérie. Une décision qui en dit long sur l’état de la liberté d’expression dans le pays.
Les libraires dans le collimateur
Mais les écrivains ne sont pas les seuls à faire les frais de cette nouvelle vague de censure. Les libraires aussi sont dans le collimateur du pouvoir. Le 18 octobre dernier, la librairie Cheikh de Tizi-Ouzou, haut lieu des rencontres littéraires, a été perquisitionnée par les autorités. Selon une source proche du dossier, on lui reprocherait de « propager des idées subversives ».
Face à cette répression tous azimuts, de nombreux professionnels du livre n’ont d’autre choix que de mettre la clé sous la porte. C’est le cas des éditions Barzakh, contraintes de fermer boutique après 20 ans d’activité. Dans un communiqué, la maison dénonce un « contexte politique et économique devenu invivable pour l’édition indépendante ».
Un Salon du livre sous haute surveillance
Symbole de ce retour en force de la censure : la dernière édition du Salon international du livre d’Alger (Sila). Placé sous le thème martial « Lire pour triompher », l’événement s’est transformé en véritable chasse aux sorcières. Plusieurs exposants de renom, dont Gallimard, ont été exclus d’office. Quant aux livres de Kamel Daoud, ils ont été purement et simplement interdits.
« Le Salon a perdu son âme. Ce n’est plus un lieu d’échanges mais un espace verrouillé où règne la peur »
Un éditeur algérien souhaitant garder l’anonymat
Des actes de résistance isolés mais symboliques
Malgré ce climat délétère, certains refusent de se soumettre et multiplient les actes de résistance. À l’image du romancier Samir Toumi qui a organisé une lecture publique de son dernier livre devant le Sila, avant d’être embarqué par la police. Un geste fort qui en a inspiré d’autres, comme ces libraires de Constantine qui ont exposé en vitrine des livres censurés.
Des initiatives courageuses mais qui restent isolées. Car pour beaucoup, c’est la survie même de leur activité qui est en jeu, comme le confie cet éditeur sous couvert d’anonymat :
« Soit on se range du côté des islamo-conservateurs, soit on met la clé sous la porte. Il n’y a pas d’autre alternative. »
Un avenir plus qu’incertain
Dans ce contexte, l’avenir du livre en Algérie apparaît plus que jamais incertain. Selon les chiffres officiels, le nombre de nouveautés aurait chuté de 30% en 2024. Un effondrement qui risque de s’accentuer si le pouvoir maintient sa politique répressive.
Pourtant, le pays ne manque pas de talents ni de lecteurs. Mais pour qu’ils puissent s’exprimer, encore faut-il que les conditions soient réunies. Ce qui est loin d’être le cas actuellement, comme le résume avec amertume ce libraire d’Oran :
« Tant que la liberté sera muselée, la création et le savoir seront menacés. C’est tout un pan de notre culture qui est en train de disparaître. »
Face à cette sombre perspective, une question se pose : jusqu’où ira le régime algérien dans sa volonté de contrôler les esprits ? La réponse appartient hélas à un avenir plus qu’incertain. Mais une chose est sûre : sans liberté, il n’y a pas de littérature digne de ce nom. Ni de démocratie d’ailleurs.