Alors que l’on pouvait s’attendre à des secousses sur les marchés financiers suite au renversement du gouvernement Barnier par une motion de censure, force est de constater que la Bourse de Paris et les taux d’emprunt français font preuve d’une étonnante résilience. Le CAC 40 a même clôturé dans le vert jeudi, progressant de 0,37%. Quant à l’OAT à 10 ans, référence de la dette française, son taux a légèrement baissé à 2,88%. Comment expliquer cette apparente sérénité des investisseurs face aux turbulences politiques ?
Un scénario anticipé par les marchés
Selon plusieurs analystes, la chute du gouvernement était largement anticipée par les acteurs financiers. « Les cours des actions françaises, qui ont beaucoup baissé la semaine dernière, intègrent déjà la chute du gouvernement« , confirme Mabrouk Chetouane, chef économiste chez Natixis IM. Ainsi, les mauvaises nouvelles étant déjà « dans les cours », comme disent les boursiers, l’officialisation de la censure n’a pas provoqué de nouveau décrochage.
Une visibilité paradoxalement accrue
Aussi surprenant que cela puisse paraître, certains investisseurs considèrent que le départ forcé de l’exécutif pourrait apporter une meilleure visibilité sur l’évolution des finances publiques. « Paradoxalement, la motion de censure peut être perçue comme une bonne nouvelle par les investisseurs qui manquaient de plus en plus de visibilité sur le budget de la France« , souligne M. Chetouane.
Les investisseurs attendent désormais de voir quelles seront les orientations budgétaires du prochain gouvernement pour ajuster leurs positions.
Un stratégiste de marché
Des incertitudes persistent
Néanmoins, tous les observateurs s’accordent à dire que la situation reste hautement incertaine et que de nouveaux soubresauts ne sont pas à exclure. Plusieurs points d’interrogation demeurent, notamment sur la capacité des forces politiques à s’entendre rapidement pour former un nouveau gouvernement stable et sur la crédibilité du prochain budget qui sera présenté.
- Quelle coalition pour diriger le pays ?
- Quel cap budgétaire et quelles réformes ?
- Quelle réaction des agences de notation ?
Autant de questions auxquelles les investisseurs seront très attentifs dans les prochains jours et les prochaines semaines. En attendant d’y voir plus clair, les marchés retiennent pour l’instant leur souffle, comme s’ils étaient sur un fil.
La BCE, filet de sécurité anti-crise
Par ailleurs, nombre d’analystes soulignent que même en cas de nouvelle dégradation de la note française par les agences de rating, l’impact serait amorti par la politique accommodante de la Banque centrale européenne. Son programme anti-crise et ses rachats d’actifs constituent un puissant filet de sécurité pour les pays endettés de la zone euro comme la France.
Tant que la BCE maintient ses taux bas et son soutien, le risque d’un dérapage incontrôlé des taux d’intérêt français reste contenu.
Un gérant obligataire
Vers une hausse des primes de risque ?
Certains avertissent toutefois que si la situation politique devait se dégrader durablement, avec par exemple une incapacité prolongée à former un gouvernement, les investisseurs pourraient finir par exiger des primes de risque plus élevées pour détenir de la dette française. Un scénario qui pénaliserait un pays dont la dette publique avoisine déjà les 120% du PIB.
Pour l’heure, les taux français demeurent à des niveaux historiquement bas, signe que les marchés font encore confiance à la signature de la France malgré la crise politique. Mais cette confiance n’est pas sans limite ni condition. Les prochaines semaines seront donc décisives pour jauger la réaction des marchés face aux remous de la vie politique hexagonale.
Un test grandeur nature pour l’économie française
Plus largement, l’épisode actuel constitue un véritable test pour la résilience économique et la stabilité financière de la France dans un contexte international déjà compliqué, entre guerre en Ukraine, envolée des prix de l’énergie et ralentissement de la croissance mondiale. Si les fondamentaux tricolores semblent solides, comme en témoigne la résistance actuelle de la Bourse et de la dette, rien ne garantit que cette immunité durera éternellement.
À travers la réaction des investisseurs et des marchés, c’est donc bien la solidité du modèle français qui est sur la sellette. Un modèle qui a su traverser bien des tempêtes par le passé mais qui n’est pas à l’abri d’une remise en cause si la classe politique échoue à restaurer rapidement la confiance et la lisibilité dont les acteurs économiques ont besoin. L’avenir nous dira si l’accalmie actuelle n’est qu’une brève embellie avant la tempête ou si l’économie française est désormais suffisamment robuste pour encaisser les chocs politiques.