Imaginez un instant que votre cœur s’arrête définitivement et qu’un autre, fabriqué par l’homme, prenne le relais, non pas pour quelques heures, mais pour des années. C’est le rêve que porte Carmat depuis quinze ans. Le 1er décembre prochain, ce rêve pourrait basculer dans le cauchemar… ou au contraire connaître un incroyable rebond.
Un destin suspendu à une audience décisive
Depuis cet été, l’entreprise française traverse une zone de turbulences extrêmes. Placée en redressement judiciaire le 1er juillet, elle a vu une première offre de reprise rejetée en septembre pour manque de garanties financières solides. Aujourd’hui, une nouvelle proposition, plus étoffée, passe devant le tribunal des affaires économiques de Versailles. La décision tombera le 1er décembre. C’est tout simplement la survie du seul cœur artificiel total au monde qui se joue.
Que contient exactement cette nouvelle offre ?
Pierre Bastid, actuel président du conseil d’administration et actionnaire à hauteur de 17 %, a remis sur la table un projet ambitieux, cette fois soutenu par la holding Santé Holding, autre actionnaire historique. Les points clés sont clairs :
- Apport de 30 millions d’euros d’argent frais d’ici fin janvier
- Réduction de la masse salariale de légèrement plus de 10 %
- Rachat des actifs pour environ 2 millions d’euros
- Création d’une nouvelle société privée, Carmat SAS, non cotée en Bourse
- Financement partagé à parts égales entre les deux repreneurs liés par un pacte d’actionnaires
Cette sortie de la cotation permettrait d’échapper à la pression immédiate des marchés et de se concentrer sur le long terme, un choix stratégique souvent observé chez les entreprises de medtech en phase de maturité clinique.
D’où vient Carmat et pourquoi est-ce si important ?
Créée en 2008, l’entreprise doit son nom à deux piliers : le professeur Alain Carpentier, chirurgien cardiaque visionnaire, et le groupe Matra Défense, spécialiste des technologies de pointe. L’objectif était clair dès le départ : concevoir le premier cœur artificiel total biocompatible capable de remplacer durablement un cœur humain défaillant.
À ce jour, 122 patients ont reçu l’implant Aeson (nom commercial du cœur Carmat). Si les résultats ont parfois été marqués par des complications techniques graves, y compris des issues fatales par le passé, chaque implantation a permis d’affiner la technologie et de repousser les limites de la médecine cardiaque.
« Nous sommes l’une des très rares sociétés au monde à développer un cœur artificiel entier »
Cette phrase résume l’enjeu : il n’existe pratiquement pas d’alternative. Pour les patients en insuffisance cardiaque terminale non éligibles à une greffe, Carmat représente souvent le dernier espoir.
Les prochains défis si l’offre est acceptée
La nouvelle structure Carmat SAS, si elle voit le jour, ne chômera pas. Deux chantiers majeurs sont déjà annoncés :
- Obtention imminente du remboursement par la Sécurité sociale en France pour l’utilisation en thérapie de pont (implantation temporaire en attendant une greffe)
- Dépôt du dossier pour l’accès au marché américain dans la même indication
- Lancement en 2026 des études cliniques visant la reconnaissance comme prothèse définitive – l’ambition originelle du professeur Carpentier
Ces étapes sont cruciales. Le remboursement en France changerait radicalement l’équation économique et rendrait la prothèse accessible à davantage de centres hospitaliers. L’entrée sur le marché américain, quant à elle, ouvrirait des perspectives financières colossales.
Un contexte humain lourd
Derrière les chiffres et les plans de reprise, il y a d’abord des femmes et des hommes. Sur les quelque cent salariés que compte encore l’entreprise, plusieurs ont déjà choisi de partir ces derniers mois face à l’incertitude. La réduction de 10 % de la masse salariale, bien que modérée, touchera forcément des familles.
Mais pour ceux qui restent, et pour les patients en attente, l’espoir demeure intact. Chaque jour gagné est un jour de plus pour perfectionner une technologie qui, un jour peut-être, sauvera des milliers de vies par an.
Que se passera-t-il le 1er décembre ?
Le tribunal peut accepter l’offre telle quelle, la rejeter ou demander des garanties complémentaires. En cas de rejet définitif, la liquidation judiciaire deviendrait presque inévitable. En cas d’acceptation, Carmat entamerait une nouvelle vie, plus discrète, loin des projecteurs de la Bourse, mais peut-être plus solide.
Ce qui est certain, c’est que la France tout entière retiendra son souffle ce jour-là. Car au-delà de l’entreprise, c’est une partie de notre excellence médicale et technologique qui se joue.
Le cœur artificiel total reste une prouesse rare. Perdre Carmat serait un recul immense pour la medtech européenne. Le sauver, même au prix d’une restructuration profonde, serait un signal fort : oui, l’innovation de rupture peut survivre aux tempêtes financières.
Le 1er décembre, un tribunal près de Paris décidera si des milliers de patients garderont un espoir concret. Rendez-vous dans quelques jours pour savoir si le cœur made in France continuera de battre… artificiellement, mais plus fort que jamais.
Un seul cœur artificiel total existe au monde. Le 1er décembre, la France peut choisir de le maintenir en vie… ou de le laisser s’arrêter.
À suivre de très près.









