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Carburant à Bamako : Retour à la Normale ou Simple Répit ?

Les files d’attente de deux kilomètres ont disparu à Bamako, les pompistes servent à nouveau en quelques minutes… mais des sources parlent d’une trêve secrète avec le JNIM qui arrive à expiration. La capitale respire, le reste du Mali suffoque toujours. Et demain ?

Imaginez-vous coincé des heures sous un soleil de plomb, moteur éteint, dans une file interminable simplement pour mettre vingt litres d’essence. Pendant plusieurs semaines, c’est ce qu’ont vécu des centaines de milliers de Bamakois. Et puis, presque du jour au lendemain, les pompes se remettent à couler normalement. Miracle ? Pas vraiment.

Un retour à la normale aussi soudain qu’inquiétant

Depuis quelques jours, la capitale malienne respire à nouveau. Les interminables queues devant les stations-service, parfois longues de deux kilomètres, se sont évaporées. Un automobiliste, encore incrédule, confiait vendredi : il a été servi en quelques minutes là où il patientait autrefois une demi-journée.

La circulation a repris son rythme chaotique habituel, les motos rugissent, les Sotrama klaxonnent. Même les générateurs privés, qui tournaient nuit et jour pendant la crise, se taisent un peu plus souvent. Pourtant, derrière cette accalmie se cache une réalité bien plus complexe qu’une simple amélioration logistique.

Comment le carburant est-il revenu ?

L’arrivée massive de camions-citernes a tout changé. Des convois lourdement escortés traversent désormais le pays depuis le Niger voisin, membre comme le Mali et le Burkina Faso de l’Alliance des États du Sahel (AES).

Quatre-vingt-deux citernes ont été annoncées en grande pompe, protégées par l’armée malienne, les paramilitaires russes de l’Africa Corps et même surveillées par des drones. Un dispositif impressionnant, coûteux, et qui pose immédiatement la question de sa pérennité.

« Ce mécanisme va assurer l’approvisionnement correct et régulier du Mali »

Un membre du gouvernement malien

En parallèle, les autorités ont signé un accord avec les importateurs pour accélérer les formalités douanières. Résultat : les camions passent plus vite, les réservoirs se remplissent, la vie reprend.

L’ombre d’une trêve officieuse

Mais plusieurs sources, y compris au sein même du Conseil national de transition, l’organe législatif dirigé par les militaires, parlent d’autre chose : une trêve officieuse négociée avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM).

Cet accord aurait été conclu il y a environ un mois, lors de la libération d’un otage émirati contre une rançon colossale – certains parlent de 50 millions de dollars. Depuis, les attaques contre les convois de carburant ont brutalement cessé.

Coïncidence ? Peu probable. Des témoins directs affirment que le JNIM a volontairement levé la pression sur les axes routiers stratégiques. Et cette trêve, jamais reconnue officiellement, serait aujourd’hui sur le point d’expirer.

« S’il le faut nous allons signer une vingtaine de trêves si c’est utile pour le bonheur de nos populations »

Un membre du Conseil national de transition

La phrase est révélatrice : pragmatisme ou aveu d’impuissance ? Les autorités semblent prêtes à tout pour éviter que la capitale ne s’asphyxie à nouveau.

Bamako soulagée, le reste du Mali oublié

Car si la capitale retrouve des couleurs, le reste du pays, lui, continue de souffrir. À Mopti, dans le centre, aucune station n’aurait été réapprovisionnée depuis septembre. À Ségou, le rationnement reste la règle. À Sikasso, au sud-est, la situation s’est même dégradée ces derniers jours.

« Hier soir, seulement quatre stations servaient encore du carburant », témoigne un habitant. « On a l’impression que tout a été envoyé à Bamako ».

Le constat est amer : le Mali ne se limite pas à sa capitale. Dans de nombreuses localités du centre et du sud, le blocus jihadiste se poursuit, les générateurs tournent au ralenti, l’électricité n’est fournie que six heures par jour, parfois moins. Les problèmes d’eau potable s’ajoutent à la crise énergétique.

Une stratégie viable sur le long terme ?

Escorter chaque convoi avec des moyens militaires considérables a un coût exorbitant. Matériel, carburant pour les escortes elles-mêmes, soldats, mercenaires… Une source sécuritaire s’interroge ouvertement :

« La question est de savoir si cette stratégie d’escorte, extrêmement coûteuse en termes de moyens, est viable sur le long terme »

En parallèle, l’armée malienne a lancé une vaste opération de ratissage dans les zones concernées. Mais les jihadistes du JNIM, affiliés à Al-Qaïda, ont démontré ces derniers mois leur capacité à frapper là où on ne les attend pas.

La semaine dernière encore, ils annonçaient publiquement leur intention d’intensifier leurs actions à l’expiration de la trêve. Le message est clair : rien n’est définitivement réglé.

Les leçons d’une crise révélatrice

Cette pénurie de carburant a mis en lumière la fragilité extrême d’un pays enclavé, dépendant de longues routes vulnérables et d’alliances régionales précaires. Elle a aussi révélé les limites d’une stratégie purement militaire face à un adversaire qui maîtrise parfaitement la guerre asymétrique.

Enfin, elle pose une question plus profonde : jusqu’où un État peut-il accepter de négocier, même officieusement, avec ceux qu’il combat officiellement ? La realpolitik a ses raisons que la communication gouvernementale ignore.

Aujourd’hui, les Bamakois remplissent leur réservoir avec une pointe d’angoisse : et si demain les pompes se tarissaient à nouveau ? Beaucoup continuent de faire le plein à chaque occasion, par réflexe de survie.

Car dans ce Mali en guerre depuis plus de dix ans, l’accalmie n’est jamais qu’un répit. Et le prochain blocus, quand il viendra, risque d’être encore plus douloureux.

En résumé : Bamako revit grâce à des convois lourdement protégés et, selon de nombreuses sources, grâce à une trêve secrète avec le JNIM. Mais cette accalmie est fragile, coûteuse, et ne concerne que la capitale. Le reste du pays continue de payer le prix d’un conflit qui ne semble pas près de s’éteindre.

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