Que reste-t-il des silences d’une enfance marquée par la perte ? Dans un village catalan baigné de soleil, une jeune fille, Marina, feuillette un journal intime. Ses pages renferment des vérités douloureuses, celles d’une époque où le sida ravageait des familles entières. À Cannes 2025, Romeria, l’enfant du silence, réalisé par Carla Simon, a captivé les spectateurs par sa délicatesse et sa profondeur, explorant un drame personnel ancré dans une tragédie collective.
Un Écho Intime des Années Sida
Le cinéma a souvent abordé le sida, mais rarement avec une telle intimité. Romeria n’est pas un simple film sur une épidémie ; c’est une plongée dans les cicatrices laissées par la maladie sur une famille, et plus encore, sur une enfant. Carla Simon, réalisatrice espagnole acclamée, s’inspire de sa propre histoire pour tisser ce récit. Ses parents, emportés par le sida dans les années 90, sont le point de départ d’une œuvre qui transcende le personnel pour toucher l’universel.
Marina, jouée par la débutante Llucia Garcia, est une adolescente adoptée après la mort de ses parents. Pour obtenir une bourse universitaire, elle doit faire reconnaître sa filiation par ses grands-parents. Ce voyage administratif devient une quête identitaire, où chaque document, chaque conversation, révèle des fragments de son passé. Le film, en compétition pour la Palme d’or, se distingue par sa capacité à mêler l’intime et l’historique sans jamais tomber dans le pathos.
Une Réalisatrice au Cœur de l’Histoire
Carla Simon n’est pas une inconnue dans le monde du cinéma. Son premier film, Été 93, avait déjà exploré le deuil d’une fillette orpheline, remportant un succès critique notable. Avec Romeria, elle prolonge cette réflexion, mais avec une ambition nouvelle. Le film s’éloigne de la chronique enfantine pour embrasser une fresque plus large, où les années sida se dessinent en arrière-plan, discrètes mais omniprésentes.
« Ce film est une lettre à mes parents, mais aussi à tous ceux qui ont traversé cette époque dans l’ombre. »
Carla Simon, réalisatrice
Simon excelle à capturer la douleur sans l’exhiber. Les silences, les regards, les paysages ruraux catalans : tout dans Romeria respire la retenue. Cette approche contraste avec d’autres films de la sélection cannoise, comme Alpha, qui opte pour une esthétique baroque et un traitement plus frontal du même sujet.
Llucia Garcia, une Révélation
Le casting est un des atouts majeurs du film. Llucia Garcia, avec son visage d’une innocence désarmante, porte Romeria avec une justesse rare. Son interprétation de Marina, partagée entre curiosité et appréhension, donne au film une ancre émotionnelle. Chaque scène où elle lit le journal intime de sa mère est un moment de grâce, où le spectateur retient son souffle, suspendu à ses découvertes.
Les seconds rôles, notamment les grands-parents, apportent une profondeur supplémentaire. Leur réticence initiale à parler du passé reflète une société qui, dans les années 90, préférait taire la maladie. Ce silence, pesant, est au cœur du film : il est à la fois un fardeau pour Marina et une clé pour comprendre son histoire.
Le Sida, une Toile de Fond Discrète mais Puissante
Contrairement à d’autres œuvres sur le sida, Romeria ne s’appesantit pas sur les détails médicaux ou les statistiques. La maladie est là, dans les non-dits, dans les absences. Simon choisit de montrer ses conséquences à travers les yeux d’une adolescente, offrant une perspective nouvelle. Le film ne juge pas, ne moralise pas : il observe, avec une tendresse infinie, les traces laissées par une épidémie.
Pour mieux comprendre l’impact du sida dans les années 80 et 90, voici quelques éléments clés :
- Une crise mondiale : Dans les années 80, le sida touche des millions de personnes, souvent stigmatisées.
- Le silence social : La honte et la peur empêchent les discussions ouvertes sur la maladie.
- Conséquences familiales : Des milliers d’enfants, comme Marina, deviennent orphelins.
Ces points, bien que non explicitement détaillés dans le film, imprègnent chaque scène. La réalisatrice préfère suggérer plutôt qu’expliquer, laissant au spectateur le soin de combler les silences.
Une Mise en Scène Épurée
Visuellement, Romeria est un bijou. Les paysages catalans, filmés avec une lumière douce et naturelle, contrastent avec la lourdeur du sujet. Les plans serrés sur les visages, notamment celui de Marina, capturent chaque émotion avec une précision chirurgicale. La musique, discrète, accompagne sans envahir, laissant la place aux sons du quotidien : le vent, les pas, un cahier qu’on ouvre.
Simon évite les effets dramatiques faciles. Pas de flashbacks larmoyants, pas de dialogues explicatifs. Tout est dans l’ellipse, dans ce qui n’est pas dit. Cette sobriété fait de Romeria une œuvre à part dans la compétition cannoise, où d’autres films, comme The History of Sound, misent sur une intensité plus marquée.
Cannes 2025 : Une Compétition Éclectique
Le Festival de Cannes 2025 a offert une sélection riche et variée. Romeria se distingue parmi des films comme Alpha, qui explore aussi le sida mais avec une approche radicalement différente, ou Vie privée, une comédie plus légère portée par Jodie Foster. Voici un aperçu des forces en présence :
Film | Réalisateur | Thème |
---|---|---|
Romeria | Carla Simon | Sida, deuil, quête identitaire |
Alpha | Julia Ducournau | Sida, addiction, drame baroque |
Vie privée | Rebecca Zlotowski | Thérapie, comédie |
Si Alpha impressionne par son audace visuelle, Romeria séduit par sa retenue et son humanité. Les deux films, bien que traitant du même sujet, ne pourraient être plus différents, prouvant la richesse des regards portés sur une même époque.
Pourquoi Romeria Marque les Esprits
Ce qui rend Romeria si mémorable, c’est sa capacité à parler à tous. Le sida, bien que central, n’est qu’un point de départ pour explorer des thèmes universels : la famille, la mémoire, la résilience. Marina n’est pas seulement une orpheline ; elle est le miroir de quiconque a cherché à comprendre ses origines.
« Marina, c’est nous tous, à la recherche de réponses dans les silences du passé. »
Un spectateur à Cannes
Le film invite à réfléchir sur la manière dont les sociétés affrontent (ou évitent) les crises. Les grands-parents de Marina, par leur silence, incarnent une génération qui a préféré oublier. Mais Marina, elle, veut savoir. Et c’est dans cette quête de vérité que le film trouve sa force.
Un Film en Lice pour la Palme d’Or
À Cannes, la compétition est rude. Pourtant, Romeria a toutes ses chances pour la Palme d’or. Sa simplicité, loin des artifices de certains concurrents, pourrait séduire le jury. Après l’Ours d’or remporté par Nos soleils à la Berlinale, Carla Simon confirme qu’elle est une voix majeure du cinéma contemporain.
Les thèmes du film résonnent particulièrement en 2025, où les crises sanitaires et sociales restent d’actualité. Romeria rappelle que derrière chaque statistique, il y a des histoires humaines, des vies brisées, mais aussi des espoirs. Voici quelques raisons pour lesquelles le film pourrait marquer l’histoire du festival :
- Une histoire universelle : Le deuil et la quête d’identité touchent tous les publics.
- Une réalisatrice audacieuse : Carla Simon transforme son vécu en une œuvre accessible.
- Une performance d’actrice : Llucia Garcia crève l’écran par sa sincérité.
Le film n’est pas sans défauts. Certains spectateurs pourraient lui reprocher un rythme lent, ou une fin ouverte qui laisse des questions en suspens. Mais c’est précisément dans cette ambiguïté que réside sa beauté : Romeria ne donne pas toutes les réponses, tout comme la vie.
Un Regard sur l’Héritage du Sida
Le sida, bien qu’il ne soit plus la menace qu’il était dans les années 90, reste un sujet brûlant. Les progrès médicaux ont transformé la maladie en une condition chronique pour beaucoup, mais les stigmates persistent. Romeria ne cherche pas à faire un cours d’histoire, mais à montrer comment une crise peut façonner des générations.
En Catalogne, où se déroule le film, la maladie a frappé durement, souvent dans des communautés rurales où l’information manquait. Marina, en fouillant dans le passé, découvre non seulement ses parents, mais aussi une société confrontée à ses propres tabous. Ce regard rétrospectif est d’autant plus pertinent aujourd’hui, à une époque où les crises sanitaires continuent de diviser.
Un Film à Voir Absolument
Romeria, l’enfant du silence est une œuvre qui reste avec vous longtemps après le générique. Il ne s’agit pas seulement d’un film sur le sida, mais d’une réflexion sur ce que signifie grandir dans l’ombre d’une tragédie. Carla Simon, avec une sensibilité rare, signe un film qui pourrait bien repartir de Cannes avec un prix majeur.
Pour les amateurs de cinéma, c’est une occasion de découvrir une réalisatrice au sommet de son art, et une actrice, Llucia Garcia, qui promet de marquer les années à venir. Alors, si vous avez la chance de voir Romeria, préparez-vous à être ému, troublé, et peut-être même changé.
Et vous, que feriez-vous si un journal intime révélait les secrets de votre passé ?