Imaginez une salle obscure à Cannes, où l’attente est à son comble pour le dernier opus d’une réalisatrice auréolée d’une Palme d’or. Les lumières s’éteignent, le silence s’installe, et pourtant, à la fin de la projection, un murmure perplexe traverse l’audience. Alpha, le nouveau film de Julia Ducournau présenté en compétition à Cannes 2025, promettait une exploration audacieuse d’un monde ravagé par une étrange pandémie. Mais entre ambition démesurée et exécution chaotique, ce drame laisse un goût d’inachevé. Plongeons dans cette œuvre qui oscille entre éclairs de génie et dérives confuses.
Un Retour Attendu à Cannes pour Julia Ducournau
Quatre ans après le choc de Titane, couronné Palme d’or en 2021, Julia Ducournau revient sur la Croisette avec Alpha. Cette réalisatrice française, connue pour son audace et son style viscéral, avait marqué les esprits avec des films comme Grave et Titane, mêlant horreur corporelle et réflexions sociales. Avec Alpha, elle s’attaque à un sujet brûlant : une pandémie transformant les corps en statues de marbre, une métaphore qui semble évoquer à la fois le sida des années 1980 et les récents traumatismes du Covid. Mais là où Titane brillait par sa radicalité, Alpha semble se perdre dans ses propres ambitions.
Le film met en scène une adolescente, prénommée Alpha, jouée avec intensité par une actrice encore peu connue. Marquée par un mystérieux tatouage en forme de « A », elle navigue dans un monde où la peur de la contamination domine. Autour d’elle, une mère médecin paniquée et un oncle toxicomane en retrait composent un tableau familial dysfonctionnel. Mais malgré ces prémisses intrigantes, le scénario s’embourbe dans un mélange de genres qui ne trouve jamais son équilibre.
Une Esthétique Visuelle Percutante mais Déroutante
L’un des points forts de Alpha réside dans son esthétique. Julia Ducournau, fidèle à son style, livre des images soignées, presque hypnotiques, qui rappellent l’exubérance visuelle des années 1980. Les scènes dans la piscine, où un nuage de sang déclenche la panique, sont d’une beauté troublante, mêlant poésie et horreur. Cependant, cette recherche esthétique semble parfois prendre le pas sur la cohérence narrative.
« L’esthétique de Alpha est un véritable clip morbide, à mi-chemin entre un film d’auteur et un blockbuster des années 80. »
Cette surcharge visuelle, bien que séduisante, donne l’impression d’un film qui privilégie la forme au fond. Les références aux années 1980, qu’il s’agisse de la bande-son ou des costumes, sont omniprésentes mais semblent parfois plaquées, comme un hommage maladroit à une époque révolue. On sent l’influence de réalisateurs comme Jean-Jacques Beineix, mais sans la maîtrise qui rendait ses films inoubliables.
Un Scénario Ambitieux mais Confus
Le cœur du problème d’Alpha réside dans son scénario. En voulant aborder des thèmes aussi vastes que la pandémie, la transformation corporelle et les tensions familiales, Ducournau s’éparpille. L’histoire oscille entre un drame intimiste et une fresque dystopique, sans jamais choisir son camp. Les métaphores, bien que riches, restent floues : le virus qui pétrifie les corps est-il une allégorie du sida, du Covid, ou d’une peur plus universelle ? Cette ambiguïté, loin d’enrichir le récit, le rend hermétique.
Les personnages, bien qu’interprétés avec conviction, peinent à susciter l’empathie. Alpha, l’héroïne, est une adolescente tourmentée, mais ses motivations restent opaques. Tahar Rahim, dans un rôle secondaire, apporte une intensité dramatique, mais son personnage est sous-exploité. Quant à la mère, ses crises d’angoisse face à la contamination sont réalistes mais répétitives, alourdissant le rythme du film.
Quelques éléments clés du scénario :
- Un virus mystérieux transforme les corps en statues de marbre.
- Alpha découvre un tatouage en forme de « A » sur son bras.
- La peur de la contamination divise une famille déjà fragile.
- Des références aux années 1980, entre sida et esthétique rétro.
Une Métaphore sur la Pandémie : Réussie ou Manquée ?
À l’heure où le monde sort à peine de la crise du Covid, un film sur une pandémie fictive semblait être une idée audacieuse. Julia Ducournau a déclaré dans une interview qu’elle aurait réalisé Alpha de la même manière, Palme d’or ou non. Cette assurance est louable, mais le résultat manque de clarté. Le film tente de tisser un lien entre les années 1980, marquées par l’épidémie de sida, et notre époque contemporaine. Pourtant, cette double temporalité brouille les pistes plus qu’elle ne les éclaire.
Le choix de situer l’action dans un passé indéfini (les années 1980 ne sont jamais explicitement mentionnées) ajoute à la confusion. Les spectateurs, déjà désorientés par un montage saccadé, peinent à ancrer le récit dans un contexte précis. Cette ambiguïté peut être vue comme une volonté artistique, mais elle dessert l’impact émotionnel du film.
« J’ai voulu explorer la peur de l’autre à travers le prisme d’une pandémie, qu’elle soit réelle ou métaphorique. » – Julia Ducournau
Tahar Rahim : Une Lueur dans l’Obscurité
Si Alpha parvient à captiver par moments, c’est en grande partie grâce à ses acteurs. Tahar Rahim, habitué des rôles complexes, livre une performance sobre mais puissante. Son personnage, un oncle en marge de la société, apporte une touche d’humanité dans un récit souvent froid. Malheureusement, son temps à l’écran est limité, et l’on regrette que son rôle ne soit pas plus développé.
L’héroïne, Alpha, est incarnée par une jeune actrice dont l’énergie brute compense un scénario parfois bancal. Sa scène dans la piscine, où elle se blesse et déclenche une panique collective, est un moment fort, chargé d’une tension viscérale. Pourtant, même ces instants ne suffisent pas à sauver l’ensemble du film.
Comparaison avec Titane : Un Pas en Arrière ?
Difficile de ne pas comparer Alpha à Titane, le précédent film de Ducournau, qui avait secoué Cannes par son audace et sa singularité. Là où Titane osait un mélange détonant de genres (horreur, thriller, drame familial), Alpha semble hésiter. Le film veut être à la fois un drame psychologique, un thriller dystopique et une réflexion sur la société, mais il échoue à fusionner ces ambitions.
En 2021, Titane avait divisé les spectateurs, mais son audace avait séduit le jury de Cannes. Alpha, en revanche, risque de laisser le public perplexe. Les critiques précédentes du festival, comme celles de Sound of Falling ou Dossier 137, soulignent une compétition 2025 marquée par des œuvres ambitieuses mais inégales. Alpha s’inscrit dans cette tendance, avec des idées fortes mais mal exploitées.
Aspect | Forces | Faiblesses |
---|---|---|
Esthétique | Visuels percutants, ambiance rétro | Surcharge visuelle, manque de cohérence |
Scénario | Thèmes ambitieux, métaphores riches | Confusion narrative, manque de clarté |
Acteurs | Performance intense de Tahar Rahim | Personnages sous-développés |
Cannes 2025 : Une Compétition Contrastée
Le Festival de Cannes 2025, qui se déroule du 13 au 24 mai, propose une sélection éclectique, avec des films comme The Phoenician Scheme de Wes Anderson ou La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch. Pourtant, Alpha peine à se démarquer dans cette compétition relevée. Les critiques des autres films, comme Sound of Falling, pointent des œuvres souvent trop ambitieuses, et Alpha ne fait pas exception.
Le contexte du festival, marqué par des controverses comme les menaces de la CGT ou l’affaire Johnny Depp, ajoute une tension supplémentaire. Pourtant, sur la Croisette, c’est bien le cinéma qui reste au centre des débats. Alpha, malgré ses défauts, suscite des discussions passionnées, preuve que Julia Ducournau sait encore provoquer.
Un Film qui Divise : Faut-il le Voir ?
Alpha est un film qui ne laisse pas indifférent. Ses images marquantes et son ambition en font une œuvre à voir pour les amateurs de cinéma audacieux. Cependant, ceux qui recherchent une histoire cohérente ou des personnages attachants risquent d’être déçus. Le film, bien qu’imparfait, reste une expérience sensorielle unique, fidèle à l’univers de sa réalisatrice.
Pour les fans de Julia Ducournau, Alpha est une étape dans son parcours, moins aboutie que Titane mais riche en promesses pour ses futurs projets. Pour les autres, il s’agit d’un ovni cinématographique, à la croisée des genres, qui demande une certaine ouverture d’esprit.
Pourquoi regarder Alpha ?
- Pour l’esthétique visuelle, audacieuse et immersive.
- Pour la performance de Tahar Rahim, toujours juste.
- Pour les amateurs de récits dystopiques et métaphoriques.
Pourquoi passer son chemin ?
- Si vous préférez les récits linéaires et clairs.
- Si les métaphores trop ambiguës vous frustrent.
Le Futur de Julia Ducournau
Julia Ducournau reste une voix unique dans le cinéma français. Malgré les faiblesses d’Alpha, sa capacité à provoquer et à explorer des thèmes complexes est indéniable. À seulement 41 ans, elle a déjà marqué le cinéma mondial avec des films qui repoussent les limites du genre. Alpha n’est peut-être qu’une étape, un projet ambitieux qui pave la voie pour des œuvres plus abouties.
Le Festival de Cannes, avec sa capacité à révéler des talents et à susciter des débats, reste le lieu idéal pour des réalisateurs comme Ducournau. Alpha, malgré ses défauts, rappelle que le cinéma est un art qui ose, qui dérange, et qui, parfois, trébuche. Mais c’est dans ces trébuchements qu’on trouve parfois les germes de l’innovation.
En attendant le verdict du jury présidé par Ruben Östlund, Alpha restera l’un des films les plus discutés de cette édition 2025. Réussite partielle ou échec audacieux, il ne laisse personne indifférent. Et vous, oserez-vous plonger dans cet univers déroutant ?