Sur le Caillou, cette île d’Océanie au destin mouvementé, les églises chrétiennes s’érigent plus que jamais en havres de paix et de dialogue. Alors que l’archipel vient de traverser un épisode de violence d’une rare intensité qui a profondément choqué la population, catholiques et protestants entendent préserver coûte que coûte des lieux de mélange et de réconciliation entre les communautés.
Des paroisses garantes du vivre-ensemble
Durement éprouvées par les émeutes qui ont embrasé Nouméa et sa périphérie à la mi-mai, les paroisses locales n’ont pas pour autant renoncé à leur vocation d’ouverture et de brassage communautaire. « L’Église a toujours été ici un espace de dialogue, on essaye difficilement d’incarner le vivre-ensemble », souligne le père Roch Apikaoua, vicaire général de la cathédrale Saint-Joseph à Nouméa. Une mission délicate sur ce territoire encore marqué par les blessures de l’Histoire, entre population autochtone kanak et communauté calédonienne d’origine européenne.
Dans ce contexte de fortes tensions, les lieux de culte apparaissent comme autant de précieux points de rencontre et d’apaisement entre des groupes qui s’ignorent trop souvent. « Lors des messes, on voit des Kanak, des Caldoches, des Wallisiens, des Tahitiens… C’est l’un des rares endroits où toutes les communautés se mélangent vraiment », observe Joël Piawaé, paroissien de l’église de la Conception au Mont-Dore.
Une tradition de médiation
Ce rôle de pont et de dialogue intercommunautaire n’est pas nouveau pour les églises chrétiennes en Nouvelle-Calédonie. Durant les tragiques « Événements » des années 1984-1988, période de quasi guerre civile entre indépendantistes kanak et loyalistes, les paroisses avaient déjà joué un rôle clé de médiation et de retour à la paix. Une implication saluée par les accords de Matignon en 1988 puis de Nouméa en 1998, qui ont confié aux autorités religieuses une mission officielle de consolidation du lien social.
L’Église a une responsabilité importante dans la construction d’une Calédonie plurielle et réconciliée.
– Hippolyte Sinewami, chef coutumier de Lifou
Une influence en déclin
Malgré cet engagement en faveur de la cohésion sociale, les églises chrétiennes voient leur influence s’éroder ces dernières années en Nouvelle-Calédonie. La pratique religieuse diminue régulièrement, notamment chez les jeunes générations. Et la parole des autorités ecclésiastiques ne fait plus autant autorité qu’auparavant dans un débat public de plus en plus polarisé.
Alors que l’avenir institutionnel du Caillou reste en suspens, avec la perspective d’un troisième référendum sur l’indépendance, les responsables religieux peinent parfois à se faire entendre. « On a moins de poids qu’avant pour apaiser les tensions et rapprocher les points de vue », regrette Pasteur Jérôme Teinturier, de l’Église protestante de Kanala. Un aveu d’impuissance qui en dit long sur la fragilité du tissu social calédonien.
Garder espoir malgré tout
Malgré ce contexte difficile, les paroisses entendent bien rester des lieux de brassage et d’échange, à contre-courant des logiques de repli identitaire. « Plus que jamais, nos églises doivent être ouvertes à tous et montrer qu’un autre chemin est possible, que les communautés peuvent vivre ensemble malgré leurs différences », insiste Roch Apikaoua.
Un message d’espoir et de fraternité bien nécessaire, alors que la Nouvelle-Calédonie s’apprête à vivre des mois décisifs pour construire son avenir commun. Face aux fractures et aux tensions, catholiques et protestants veulent croire que la voie du dialogue finira par l’emporter. Et que leurs églises resteront ces petites flammes qui, dans la nuit calédonienne, continuent obstinément de briller.