Imaginez la scène : début novembre, dans le Bureau ovale, Donald Trump reçoit une délégation de grands patrons suisses. Sur la table, entre les dossiers, trônent soudain une montre Rolex et un lingot d’or personnalisé. Dix jours plus tard, miracle diplomatique, les droits de douane punitifs de 39 % imposés aux produits helvétiques tombent à 15 %. Simple hasard ou cadeau intéressé ? Deux députés viennent de porter l’affaire devant la justice fédérale.
Quand le luxe suisse rencontre la realpolitik américaine
Cette histoire commence par une photo. Une simple image publiée après la rencontre montre clairement les objets offerts posés bien en évidence sur le bureau présidentiel. Les médias suisses et américains s’en emparent immédiatement. On parle déjà de gold bar diplomacy, la diplomatie du lingot d’or. Le terme fait mouche.
Car le timing est troublant. La délégation helvétique était venue plaider la cause de l’économie suisse, durement touchée par les taxes américaines décidées quelques mois plus tôt. Objectif affiché : convaincre le président élu de revenir sur ces mesures protectionnistes. Mission accomplie en un temps record.
Une dénonciation pénale déposée le 26 novembre
Greta Gysin et Raphaël Mahaim, députés des Verts suisses, n’ont pas attendu. Le 26 novembre, ils adressent une dénonciation pénale au procureur général de la Confédération. Leur demande est claire : ouvrir une enquête pour déterminer si ces cadeaux constituent un avantage indu au sens du droit pénal.
« Dans cette affaire de grande portée nationale et internationale, nous pensons que les événements en cause méritent des éclaircissements de la justice. Il en va de la crédibilité de nos institutions, du respect de l’État de droit et de la réputation de la Suisse sur le plan international. »
Greta Gysin et Raphaël Mahaim, députés Verts
Ils invoquent expressément l’article 322sexies du Code pénal suisse qui réprime la corruption d’agents publics étrangers. Peu importe que le bénéficiaire soit président des États-Unis : dès lors qu’un avantage est octroyé pour influencer une décision officielle, l’infraction peut être constituée.
Que sait-on exactement des cadeaux offerts ?
Les informations restent parcellaires. On parle d’une horloge de table Rolex – probablement un modèle Day-Date en or massif – et d’un lingot d’or issu des ateliers MKS PAMP, l’un des leaders mondiaux du raffinage. La valeur totale n’est pas publique, mais elle se chiffre facilement en plusieurs centaines de milliers de francs suisses.
Sur les photos, le lingot porte une gravure personnalisée. Un détail qui renforce l’impression d’un présent pensé pour marquer les esprits. Quant à la montre, elle arbore le célèbre président bracelet et un cadran reconnaissable entre mille.
Aucun communiqué officiel n’a précisé le sort final de ces objets. Sont-ils restés dans le patrimoine personnel du président ? Ont-ils été déclarés comme cadeaux d’État ? Les députés soulignent ce manque de transparence dans leur courrier.
Une visite privée qui pose question
Ce qui choque particulièrement, c’est le caractère non officiel de la délégation. Aucun représentant du Conseil fédéral, aucun diplomate de carrière. Seulement des PDG et directeurs généraux parmi les plus puissants du pays.
Parmi eux, on reconnaît Jean-Frédéric Dufour, patron de Rolex, et Marwan Shakarchi, à la tête de MKS PAMP. Des hommes habitués aux cercles de pouvoir, mais dont la présence à Washington à titre privé interroge sur la frontière entre intérêts économiques et action étatique.
Les Verts avaient déjà critiqué cette « diplomatie parallèle » dès l’annonce de la rencontre. Pour eux, confier la défense des intérêts nationaux à quelques capitaines d’industrie sans contrôle démocratique est déjà problématique. Les cadeaux viennent ajouter une couche de suspicion.
Le calendrier qui alimente les soupçons
Reprenons la chronologie :
- Début novembre → visite des patrons suisses et remise des cadeaux
- Mi-novembre → annonce conjointe Berne-Washington d’une déclaration d’intention
- Fin novembre → droits de douane ramenés de 39 % à 15 %
Le lien de cause à effet semble évident pour beaucoup. Même si les négociations techniques avaient sans doute commencé plus tôt, la rapidité de l’accord après la visite privée ne passe pas inaperçue.
Les organisations patronales suisses, elles, se félicitent du résultat. Pour elles, peu importe la méthode, seule compte la défense de l’emploi et de la compétitivité. Un pragmatisme qui choque dans un pays attaché à sa probité légendaire.
La Suisse face à son image de probité
La Confédération helvétique a bâti sa réputation sur la transparence, la neutralité et l’État de droit. Chaque scandale de corruption, même mineur, est vécu comme une blessure d’amour-propre collectif.
Cette affaire arrive au pire moment. La Suisse négocie actuellement avec l’Union européenne un nouvel accord-cadre. Toute suspicion de pratiques douteuses pourrait être exploitée par les partenaires pour durcir leur position.
Au niveau interne aussi, le débat fait rage. Les réseaux sociaux helvétiques bruissent de commentaires indignés. #GoldBarDiplomacy devient viral en quelques heures. La presse romande et alémanique consacre éditoriaux sur éditoriaux à la question.
Que risque-t-on concrètement ?
Si l’enquête aboutit à des poursuites, les donneurs encourent jusqu’à cinq ans de prison ou une amende pouvant atteindre 540 000 francs suisses. Les entreprises elles-mêmes pourraient être sanctionnées pour défaut de surveillance.
Mais le principal risque reste immatériel : la réputation. Rolex, de MKS PAMP et, au-delà, de toute l’économie suisse. Dans le secteur du luxe et de la finance, l’image de probité est un actif stratégique.
Washington, de son côté, applique des règles très strictes sur les cadeaux aux élus. Un président peut accepter des présents jusqu’à 480 dollars. Au-delà, ils doivent être remis au National Archives ou achetés par le bénéficiaire. Reste à savoir si ces règles ont été respectées.
Vers une affaire d’État ?
Pour l’instant, le Ministère public de la Confédération n’a pas communiqué. Mais la pression monte. D’autres parlementaires pourraient se joindre à la dénonciation. La société civile s’empare du sujet.
Ce qui avait commencé comme une simple visite de courtoisie pourrait se transformer en scandale politico-financier majeur. L’image de la Suisse irréprochable est en jeu. Et avec, en toile de fond, la question éternelle : jusqu’où les intérêts économiques peuvent-ils dicter la politique étrangère d’un État ?
L’enquête dira si les cadeaux étaient de simples marques de respect… ou le prix d’un allègement fiscal de plusieurs centaines de millions. En attendant, le lingot et la Rolex continuent de briller sur les photos du Bureau ovale. Symbole d’une diplomatie qui, parfois, préfère l’or aux discours.
Une montre et un lingot peuvent-ils acheter une décision présidentielle ?
La justice suisse va devoir trancher.
Affaire à suivre, évidemment. Car derrière les dorures et les mécanismes de précision, c’est toute la conception suisse de la diplomatie et de l’éthique qui se retrouve sur le banc des accusés.









