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Burkina Faso : Silence et Répression sous la Junte

Dans les rues de Ouagadougou, le silence règne. La junte d’Ibrahim Traoré musèle les voix dissidentes et impose une surveillance accrue. Quel est le prix de cette "souveraineté" ? Lisez pour le découvrir...

Dans les ruelles animées de Ouagadougou, autrefois vibrantes de débats politiques passionnés, un silence pesant s’est installé. Les Burkinabè, jadis prompts à discuter de l’avenir de leur nation, murmurent désormais avec prudence. La peur d’être entendu, dénoncé ou envoyé de force au front a remplacé l’effervescence des conversations. Depuis le coup d’État du 30 septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré, à la tête d’une junte militaire, impose un régime où la dissidence est devenue un luxe dangereux. Comment ce jeune leader, inspiré par l’icône panafricaniste Thomas Sankara, a-t-il transformé le Burkina Faso en un pays où la méfiance règne en maître ?

Un Climat de Peur et de Surveillance

Les bars populaires de la capitale, autrefois des lieux de débat, sont devenus des espaces où l’on évite soigneusement les sujets sensibles. Les habitants décrivent une atmosphère où même les discussions familiales sont marquées par la suspicion. « Dès qu’on aborde la politique, le silence s’installe. Les gens se méfient, même entre frères », confie un résident, la voix empreinte de résignation. Cette méfiance n’est pas sans fondement : un mot mal interprété peut entraîner une arrestation ou un enrôlement forcé dans la lutte contre les groupes jihadistes, une mesure rendue légale par un décret de 2023.

« Pour un mot mal placé, on te traite comme un ennemi. Beaucoup ont été arrêtés sans raison claire. »

Les Wayiyans, ces comités de vigilance citoyenne, jouent un rôle clé dans ce climat de surveillance. Présents aux carrefours stratégiques de Ouagadougou, ces groupes, fervents soutiens de la junte, n’hésitent pas à signaler toute voix critique. Leur omniprésence renforce l’idée que chacun est surveillé, transformant la capitale en un espace où la liberté d’expression est un souvenir lointain.

Une Société Sous Contrôle

Le régime de Traoré ne se contente pas de réprimer ; il cherche à façonner une nouvelle mentalité, ancrée dans une vision souverainiste et décoloniale. Pour ce faire, des initiatives visant à modeler la jeunesse ont vu le jour. Parmi elles, des camps de vacances pour les enfants de 10 à 15 ans, où l’on enseigne des notions d’instruction civique et militaire. Vêtus de treillis, les participants apprennent à « penser nation » avant eux-mêmes, comme l’explique un jeune ayant suivi ce programme.

Les nouveaux bacheliers, quant à eux, doivent obligatoirement passer par une « immersion patriotique » d’un mois avant de s’inscrire à l’université. Ces cours, axés sur l’identité nationale, visent à forger une jeunesse « consciente et combative », selon les mots du ministre de l’Enseignement supérieur, Adjima Thiombiano. Mais pour certains observateurs, ces initiatives ne sont qu’une tentative de créer un citoyen militarisé, docile et prêt à suivre les ordres sans questionner.

Initiative Public cible Objectif
Camps de vacances Enfants (10-15 ans) Formation civique et militaire
Immersion patriotique Bacheliers Renforcer l’identité nationale

Répression des Comportements « Inciviques »

La junte ne se limite pas à contrôler les discours politiques. Des unités spéciales, les brigades laabal, patrouillent les quartiers populaires pour imposer des normes de propreté et de civisme. Ces brigades, en tenue militaire, peuvent infliger des travaux d’intérêt général à ceux jugés « inciviques ». Un habitant raconte avoir été forcé de désherber des espaces publics après avoir grillé un feu rouge, une expérience humiliante diffusée à la télévision nationale.

Si l’objectif affiché est de promouvoir un Burkina Faso plus propre et discipliné, les méthodes employées suscitent des critiques. « On sait que c’est pour le bien commun, mais la manière brutale de traiter les gens n’est pas juste », déplore un résident. Cette approche musclée reflète la volonté de la junte d’imposer ses idéaux, parfois au mépris des libertés individuelles.

Une Économie sous Pression

Sur le plan économique, la junte a misé sur le renforcement du secteur agricole et des approvisionnements via le port de Lomé, au Togo, pour éviter les pénuries. Ces efforts ont permis à Ouagadougou de maintenir un certain approvisionnement en produits de première nécessité. Cependant, les prix de ces produits ne cessent d’augmenter, pesant lourdement sur le pouvoir d’achat des habitants. Dans le nord du pays, plusieurs grandes villes restent sous le blocus des groupes jihadistes, qui attaquent les convois de ravitaillement, aggravant la situation.

Les habitants, bien que reconnaissant les efforts pour stabiliser l’économie, ressentent les limites de ces mesures. La hausse des prix, combinée à l’insécurité persistante, rend le quotidien de plus en plus difficile pour beaucoup.

La Presse Muselée et la Propagande en Ligne

La liberté d’expression, déjà fragile, s’est encore détériorée sous la junte. Les médias internationaux, accusés de servir des intérêts étrangers, ont été expulsés, tandis que les journalistes locaux marchent sur des œufs. « Faire un micro-trottoir est devenu presque impossible. Les gens ont peur de parler, même sur des sujets anodins », confie un journaliste. Les rares personnes prêtes à s’exprimer sont souvent des partisans du régime, rendant difficile une évaluation objective de la popularité de la junte.

« Les réseaux sociaux regorgent de publications glorifiant Traoré, mêlant désinformation et culte de la personnalité. »

Sur les réseaux sociaux, la junte bénéficie d’une propagande bien orchestrée. Des comptes influents, parfois suivis par des millions d’abonnés, diffusent des messages à la gloire de Traoré, souvent accompagnés de vidéos manipulées par l’intelligence artificielle. Ces publications, qui transcendent les frontières du Burkina Faso, présentent le capitaine comme un héros panafricain luttant contre une prétendue conspiration internationale. Cette stratégie de communication renforce son image, mais elle masque aussi les critiques et les réalités du terrain.

Un Bilan Sécuritaire en Demi-Teinte

L’un des engagements phares d’Ibrahim Traoré était de rétablir la sécurité dans un pays ravagé par les attaques jihadistes. Pourtant, trois ans après son arrivée au pouvoir, les résultats restent mitigés. La junte revendique avoir repris 72 % du territoire, mais ces chiffres, difficiles à vérifier, sont contestés par des experts. De vastes zones, notamment dans le nord, restent sous le contrôle des groupes armés, qui continuent de semer la terreur.

L’armée, censée protéger les civils, est elle-même accusée d’exactions. Les attaques jihadistes, bien que moins médiatisées par le régime, persistent, et les habitants des grandes villes vivent dans la crainte constante d’une nouvelle vague de violence. « À l’intérieur, les terroristes terrorisent. Dans les villes, c’est le pouvoir qui nous terrorise », résume un habitant, exprimant un sentiment de double menace.

Un Héritage Panafricain en Question

En s’inspirant de Thomas Sankara, figure emblématique du panafricanisme, Ibrahim Traoré a su capter l’imaginaire d’une partie de la population, notamment les jeunes. Son discours anti-impérialiste et sa quête d’une souveraineté nationale résonnent dans un pays marqué par des décennies d’influence étrangère. Cependant, pour certains analystes, cette rhétorique sert surtout à légitimer un pouvoir autoritaire, incapable de répondre pleinement aux défis sécuritaires et sociaux.

Le parallèle avec Sankara, assassiné en 1987, soulève des questions. Si le charisme et la vision de Traoré séduisent, ses méthodes brutales et son rejet assumé de la démocratie divisent. Le rêve d’un Burkina Faso indépendant et prospère reste entravé par une réalité complexe, où la répression et l’insécurité dominent.

Vers un Avenir Incertain

Le Burkina Faso d’Ibrahim Traoré est à la croisée des chemins. Entre aspirations souverainistes et dérives autoritaires, le pays oscille entre espoir et désillusion. Les initiatives patriotiques, bien qu’ambitieuses, risquent de n’être qu’un outil de contrôle, tandis que la lutte contre le jihadisme patine. Dans ce contexte, les Burkinabè, muselés par la peur, peinent à imaginer un avenir où la liberté et la sécurité coexisteraient.

La question demeure : jusqu’où la junte peut-elle aller dans sa quête de souveraineté sans sacrifier les libertés fondamentales ? Pour l’heure, Ouagadougou retient son souffle, dans l’attente d’un changement qui semble encore loin.

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