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Burkina Faso : La Peine de Mort de Retour sous la Junte

Le Burkina Faso s’apprête à rétablir la peine de mort, abolie depuis 2018, et à durcir la répression contre l’homosexualité. Amnesty International alerte sur un outil répressif redoutable que la junte pourrait utiliser contre toute opposition. Vers une dérive autoritaire inquiétante ?

Imaginez un pays qui avait tourné le dos à la peine de mort il y a seulement sept ans, un pays qui se voulait résolument moderne sur les questions de droits humains. Et puis, presque du jour au lendemain, tout bascule. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui au Burkina Faso.

Un projet de loi qui fait froid dans le dos

Jeudi, le gouvernement militaire dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré a adopté un projet de loi visant à réintroduire la peine capitale dans le code pénal. Une décision brutale, prise sans vrai débat public, qui cible des infractions comme la haute trahison, les actes de terrorisme ou l’espionnage.

Pour comprendre le choc, il faut se rappeler que le Burkina Faso avait aboli la peine de mort en 2018, sous la présidence de Roch Marc Christian Kaboré. À l’époque, c’était un signal fort : le pays voulait s’aligner sur les standards internationaux en matière de droits de l’homme. La dernière exécution officielle remontait à 1988. Trente-cinq ans sans mettre personne à mort. Et voilà que tout cela pourrait être balayé.

« Le Burkina Faso doit immédiatement mettre fin à tout projet de rétablissement de la peine de mort, quelle que soit la nature des infractions ou des crimes commis »

Marceau Sivieude, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre

Pourquoi maintenant ? Le contexte sécuritaire explosif

Personne ne nie la gravité de la situation sécuritaire. Depuis 2015, le pays est ensanglanté par des attaques jihadistes affiliées à Al-Qaïda et à l’État islamique. Des pans entiers du territoire échappent au contrôle de l’État. Les civils paient le prix fort, les militaires aussi.

Dans ce chaos, la junte argue que des mesures exceptionnelles s’imposent. La peine de mort serait, selon elle, un outil dissuasif supplémentaire contre les « traîtres » et ceux qui collaboreraient avec les groupes armés. Mais pour les défenseurs des droits humains, c’est une réponse disproportionnée et dangereuse.

Car qui définira ce qu’est une « haute trahison » dans un régime où la critique est déjà considérée comme suspecte ? Plusieurs observateurs craignent que ce texte ne serve surtout à museler définitivement toute opposition.

Un deuxième volet tout aussi inquiétant : la criminalisation renforcée de l’homosexualité

Le même projet de loi ne se limite pas à la peine de mort. Il sanctionne également « la promotion et les pratiques homosexuelles et assimilées ». Ce n’est pas totalement nouveau : en septembre dernier, une première loi avait déjà été votée, prévoyant jusqu’à cinq ans de prison pour les personnes concernées.

Cette fois, le texte va plus loin. Il criminalise non seulement les actes, mais aussi leur « promotion ». Autrement dit, défendre les droits des personnes LGBT pourrait devenir un délit. Dans un pays où les discours de haine se multiplient, cette disposition risque d’ouvrir la porte à des abus graves.

À lire absolument : Ce projet de loi s’inscrit dans une logique plus large de rejet des « valeurs occidentales » prônées par le régime depuis le coup d’État de septembre 2022.

La junte Traoré et son virage souverainiste

Arrivé au pouvoir par un putsch en septembre 2022 – le deuxième en huit mois –, le capitaine Ibrahim Traoré, alors âgé de 34 ans, incarne une nouvelle génération de militaires africains hostiles à l’influence française et occidentale.

Ses discours résonnent auprès d’une partie de la jeunesse : souveraineté, dignité nationale, rupture avec les anciennes puissances coloniales. Le Burkina a expulsé les forces françaises, s’est rapproché de la Russie et de l’Iran, et multiplie les symboles anti-occidentaux.

Mais derrière la rhétorique, la réalité est plus sombre. La situation sécuritaire ne s’est pas améliorée, loin de là. Les attaques jihadistes se poursuivent, parfois plus meurtrières qu’avant. Et la répression contre les voix critiques s’est intensifiée.

Un climat de peur qui s’installe

Journalistes, défenseurs des droits humains, opposants politiques : beaucoup ont été arrêtés, enlevés ou contraints à l’exil. Des ONG dénoncent régulièrement l’usage de la disparition forcée comme arme de terreur.

Récemment encore, huit membres d’une organisation humanitaire spécialisée dans la sécurité ont été arrêtés pour « espionnage » avant d’être finalement libérés. Trois d’entre eux étaient européens. L’affaire a montré à quel point le soupçon est devenu la règle.

« La peine de mort risque d’être utilisée comme un outil répressif pour punir les voix discordantes »

Amnesty International

Cette phrase résume parfaitement les craintes. Dans un pays où critiquer la gestion de la crise sécuritaire peut déjà valoir une accusation de « démoralisation de l’armée », l’ajout de la peine capitale change complètement la donne.

Que peut faire la communauté internationale ?

Pour l’instant, les réactions sont timides. L’Union africaine, la Cédéao, les Nations unies observent sans vraiment condamner avec force. Peut-être parce que le régime de Ouagadougou joue habilement la carte anti-impérialiste et bénéficie du soutien discret de nouveaux partenaires.

Pourtant, le précédent est inquiétant. D’autres juntes en Afrique de l’Ouest – Mali, Guinée, Niger – ont déjà pris des mesures similaires : suspension de médias, expulsion d’ambassadeurs, durcissement législatif. Le Burkina semble vouloir aller encore plus loin.

Amnesty International appelle l’Assemblée législative de transition – organe créé par la junte elle-même – à rejeter ce projet. Mais dans un système où le pouvoir militaire nomme et contrôle les institutions, l’espoir paraît mince.

Et le peuple burkinabè dans tout ça ?

C’est la grande question. Une partie de la population, épuisée par l’insécurité et les promesses non tenues des civils, soutenait initialement la junte. Mais deux ans et demi après le coup d’État, le bilan est lourd : plus de morts, plus de déplacés, moins de libertés.

La réintroduction de la peine de mort et le durcissement contre les minorités sexuelles pourraient marquer un point de rupture. Quand la peur remplace l’espoir, même les régimes les plus populaires finissent par vaciller.

Le Burkina Faso se trouve aujourd’hui à un carrefour. Soit ce projet de loi est adopté et le pays s’enfonce dans une logique autoritaire et répressive. Soit, sous la pression interne et internationale, la junte recule. L’histoire nous dira bientôt quelle voie a été choisie.

En attendant, une chose est sûre : ce qui se joue à Ouagadougou dépasse largement les frontières du pays. C’est tout un modèle de gouvernance, tout un rapport aux droits humains qui est en train de basculer sous nos yeux.

Le retour de la peine de mort, dans un pays qui l’avait courageusement abolie, n’est jamais anodin. C’est un signal envoyé au monde entier : ici, la vie humaine peut de nouveau être ôtée au nom de la raison d’État.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Le contexte sécuritaire justifie-t-il de telles mesures ? Ou assiste-t-on à la naissance d’une dictature qui utilise le terrorisme comme prétexte pour écraser toute dissidence ? Le débat est ouvert. Et il est plus que jamais nécessaire.

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