Le paysage politique du Burkina Faso vient de connaître un nouveau séisme. Vendredi dernier, le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte au pouvoir, a pris une décision fracassante en démettant de ses fonctions le Premier ministre et en dissolvant l’intégralité du gouvernement. Cette annonce soudaine, révélée par un décret présidentiel, a pris tout le monde de court, y compris les observateurs les plus avisés de la scène politique burkinabè.
Un limogeage sans explication officielle
Si le décret signé par le « président du Faso » est on ne peut plus clair concernant le renvoi du Premier ministre et la dissolution du gouvernement, il reste en revanche muet sur les motivations exactes derrière ce choix radical. Aucune justification n’a été apportée, laissant libre cours aux spéculations les plus diverses sur les raisons ayant poussé le capitaine Traoré à franchir le Rubicon.
En attendant la nomination d’un nouveau gouvernement, les ministres démis de leurs fonctions sont chargés d’expédier les affaires courantes, afin d’assurer un minimum de continuité dans la gestion des dossiers les plus urgents. Mais cette situation transitoire ne saurait durer éternellement, au risque de paralyser durablement l’action de l’État.
Un premier ministre fragilisé depuis son arrivée
Nommé Premier ministre en octobre 2022, quelques semaines seulement après le putsch qui a porté Ibrahim Traoré au pouvoir, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla n’aura pas réussi à s’imposer durablement à la tête de l’exécutif burkinabè. Malgré la formation de trois gouvernements successifs en l’espace de quelques mois, sa position est toujours apparue extrêmement fragile, soumise en permanence aux aléas d’une vie politique particulièrement instable et imprévisible.
Le Burkina Faso, théâtre de l’instabilité politique
Depuis le début de l’année 2022, le Burkina Faso traverse une période de profonde instabilité politique. En janvier, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba avait renversé le président démocratiquement élu Roch Marc Christian Kaboré lors d’un premier coup d’État. Mais son règne fut de courte durée, puisqu’il a été chassé du pouvoir en septembre par un second putsch mené par le capitaine Traoré, l’obligeant à s’exiler au Togo voisin.
Ces bouleversements à répétition ont profondément déstabilisé le pays, déjà confronté à une grave crise sécuritaire marquée par la recrudescence des attaques jihadistes. Avec près de deux millions de déplacés internes et plus de 26 000 morts depuis 2015, dont 13 500 depuis le putsch de septembre 2022, le Burkina Faso paie un lourd tribut à l’insécurité qui gangrène toute la région du Sahel.
Un repositionnement diplomatique risqué
Confronté à cette situation sécuritaire dramatique, le Burkina Faso a opéré ces derniers mois un repositionnement diplomatique spectaculaire, en tournant le dos à la France, son ancienne puissance coloniale, pour se rapprocher de la Russie. En s’alliant avec le Mali et le Niger au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), la junte burkinabè a clairement affiché sa volonté de tracer sa propre voie, au risque de s’isoler sur la scène internationale.
C’est un pays avec lequel on peut faire des progrès
Karamoko Jean-Marie Traore, ministre burkinabè des Affaires étrangères, à propos de la Russie
Ce pari est loin d’être gagné d’avance, comme en témoigne la décision prise en janvier dernier par le Burkina Faso, le Mali et le Niger de quitter la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), une organisation régionale jugée trop inféodée aux intérêts français. Un divorce consommé début juillet avec la création d’une confédération entre ces trois pays, visant à approfondir leur intégration politique et économique.
Un avenir politique incertain
Au-delà des enjeux sécuritaires et diplomatiques, c’est bien la question de l’avenir politique du Burkina Faso qui se pose avec une acuité toute particulière au lendemain de ce nouveau coup de force du capitaine Traoré. Alors que le pays est censé amorcer un processus de transition devant aboutir à un retour des civils au pouvoir, cette énième crise gouvernementale vient semer le doute sur la capacité des autorités de transition à tenir leurs engagements.
Dans ce contexte d’incertitude généralisée, une chose est sûre : le peuple burkinabè, durement éprouvé par des années de violence et d’instabilité chronique, aspire plus que jamais à un retour à une vie normale. Mais pour y parvenir, il faudra d’abord réussir l’indispensable reconstruction politique et institutionnelle du pays, un défi immense qui nécessitera la mobilisation de toutes les énergies et de toutes les bonnes volontés.