Dans les rues de Nancy, un phénomène inquiétant se propage : les bureaux de poste, autrefois si ancrés dans le quotidien des habitants, tirent leur révérence les uns après les autres. Derrière ces fermetures en cascade, un constat implacable : la rentabilité n’est plus au rendez-vous. Face à cette nouvelle donne, La Poste est contrainte de revoir son modèle et de s’adapter, non sans susciter l’incompréhension et la colère de certains usagers.
Une vague de fermetures qui déferle sur Nancy
Parmi les dix bureaux de poste encore en activité à Nancy, quatre ont d’ores et déjà été condamnés. Une décision radicale qui bouscule le quotidien des habitants, comme en témoigne Marie, une cliente fidèle : “C’est ma Poste de référence. Quand j’ai besoin d’envoyer un colis ou de retirer de l’argent, c’est ici que je viens. Je serai obligée d’aller ailleurs maintenant, c’est vraiment dommage.”
Pour d’autres, c’est le principe même du service public qui est remis en question. Un client révolté s’insurge : “La Poste, pour moi, c’est un service public. Elle doit le rester et ne pas devenir un simple service commercial”. Des mots forts qui résonnent comme un cri d’alarme face à une mutation jugée inéluctable par l’entreprise.
Des commerçants à la rescousse
Pour pallier ces fermetures massives, La Poste mise sur un nouveau modèle : le transfert de certains services postaux chez des commerçants partenaires. Ainsi, à Nancy, pas moins de 17 commerces vont endosser le rôle de “points poste”. Une cliente se veut rassurante : “On pourra y trouver les prestations essentielles, je pense. Acheter des timbres, envoyer un recommandé, c’est déjà bien.”
Du côté des commerçants, on y voit une opportunité. Le gérant d’un tabac qui accueille des clients de La Poste depuis quelques semaines explique : “Ça fait venir une clientèle qui ne venait pas dans mon bureau de tabac. Ils pourront acheter d’autres produits. La Poste fermant dans le quartier, je pense qu’il fallait maintenir une présence postale dans la rue. C’est un complément pour nous et ça rend service au public”.
S’adapter ou disparaître
Face à la chute vertigineuse de fréquentation de ses bureaux nancéiens (-42,5% en moins de 10 ans), La Poste affirme que cette restructuration était incontournable. Hélène Favre-Monnet, directrice adjointe en charge de la présence postale Grand-Est, justifie : “Il fallait s’adapter et passer d’une logique de lieu à une logique de besoins. Ce que veulent nos clients, c’est accéder aux services postaux.”
Concrètement, cela se traduit par des services quasi-similaires, disponibles sur des horaires élargis chez les commerçants partenaires. Dans une supérette, Dylan, qui s’occupait auparavant de la mise en rayon et de la caisse, est désormais aussi un peu postier. “On apprend à être polyvalent”, confie-t-il. “On a reçu la formation de La Poste qui nous permet de faire presque tout ce qu’on trouve dans un bureau de poste. La seule différence, c’est qu’on ne gère pas directement l’argent ou le côté banque.”
Des communes rurales laissées pour compte
Si cette mutation permet de préserver, sous une forme différente, une présence postale en ville, qu’en est-il dans les campagnes ? Depuis les années 80, La Poste a fermé pas moins de 10 000 bureaux en France selon les syndicats, laissant de nombreuses communes rurales sur le carreau.
C’est le cas de Falck, en Moselle, 2500 âmes, où le bureau de poste a définitivement baissé le rideau il y a neuf ans. Pour pallier ce manque, le maire Pascal Rapp a dû ouvrir une agence postale communale en mairie, un service qui lui coûte 12 000 euros par an. “On nous conseillait de monter une agence pour pouvoir se substituer à la Poste. Mais on a surtout l’impression qu’il y a une volonté de se décharger”, dénonce l’élu, amer.
Karine, secrétaire de mairie, endosse désormais aussi la casquette de postière quelques heures par semaine. Un changement qu’elle vit difficilement : “C’est bien beau, mais c’est par exemple deux heures par jour, le jeudi après-midi et deux heures le vendredi matin. Il faut quand même jongler avec tout ça quand on travaille. C’était mieux quand on avait partout nos bureaux de poste.”
Une réorganisation profonde mais à quel prix ?
À Nancy, cette restructuration impacte directement une dizaine de postiers. Si leurs emplois sont préservés, avec une réaffectation pour étoffer les horaires d’ouverture des bureaux restants, le modèle social de La Poste est clairement bousculé. Pour les usagers aussi, c’est tout un pan de leur quotidien qui se transforme, avec des services certes maintenus mais éparpillés.
Derrière ces fermetures et ces transferts d’activité, c’est finalement la question de l’avenir du service public postal qui se pose. Entre impératifs économiques et mission d’intérêt général, La Poste semble avoir tranché. Reste à savoir si ce virage stratégique lui permettra de relever le défi de la modernité sans perdre son âme. L’avenir nous le dira, mais une chose est sûre : le paysage postal français est en train de changer de visage, et les habitants devront apprendre à composer avec cette nouvelle donne.