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Bulgarie : Pourquoi des Dizaines de Milliers Descendent dans la Rue

Des dizaines de milliers de Bulgares crient « Démission ! » devant le Parlement. Le budget 2026 et l’arrivée imminente de l’euro ont mis le feu aux poudres. Mais derrière cette colère ? Et surtout… jusqu’où ira le mouvement ?

Imaginez une place noire de monde, des drapeaux qui claquent dans le vent glacial de décembre, et des milliers de voix qui hurlent le même mot : « Démission ! ». Mercredi soir, Sofia a de nouveau tremblé sous les pas de dizaines de milliers de manifestants. Ce n’est pas la première fois en trois semaines, et ce ne sera probablement pas la dernière.

Une colère qui ne désenfle pas

Tout a commencé fin novembre. Le gouvernement tente de faire passer en urgence le budget 2026 – le premier rédigé en euros, puisque la Bulgarie doit adopter la monnaie unique le 1er janvier. Mais la pilule ne passe pas. Hausses d’impôts, cotisations sociales en hausse… Pour beaucoup, ces mesures ne servent qu’à camoufler des détournements massifs.

Sous la pression de la rue, le texte est retiré le 3 décembre. Un nouveau projet est déposé cette semaine. Résultat ? Les manifestants sont encore plus nombreux.

« La corruption est partout. La situation est intolérable. La plupart de mes amis ont quitté la Bulgarie et ne reviendront jamais. Il faut que les parasites quittent le pouvoir. »

Gergana Gelkova, 24 ans, employée de commerce

Les jeunes en première ligne

Ce qui frappe, c’est la présence massive de la jeunesse. Étudiants, jeunes actifs, trentenaires… Toute une génération qui n’a connu que l’instabilité politique et la corruption systémique refuse de baisser les bras.

Ils brandissent des pancartes « J’en ai marre ! » ou simplement « Dégagez ». Leur message est clair : le problème n’est pas seulement budgétaire. C’est un ras-le-bol global.

La sociologue Boryana Dimitrova, directrice de l’institut Alpha Research, résume parfaitement la situation :

« Les Bulgares n’ont plus confiance ni dans les institutions ni dans leurs dirigeants. Ces derniers mois s’est ajoutée l’angoisse des prix avec l’arrivée de l’euro. Le budget a simplement traduit le problème devenu banal de la corruption dans un langage que tout le monde comprend. »

Un exécutif suspendu à un fil

Le gouvernement actuel est une coalition bancale formée en janvier dernier, après… sept élections législatives en moins de quatre ans. À sa tête, les conservateurs du GERB de l’incontournable Boïko Borissov, soutenus au Parlement par le parti de la minorité turque (Mouvement des droits et libertés).

Mercredi, Borissov a lâché une phrase lourde de sens devant les députés :

« Il nous reste 20 mètres jusqu’à la ligne d’arrivée – entrer dans l’euro le 1er janvier. »

Traduction : on tient jusqu’au passage à l’euro, et après… on verra. Une démission post-1er janvier n’est donc pas exclue.

Delyan Peevski, l’homme qui cristallise la haine

Dans la foule, un nom revient sans cesse : Delyan Peevski. Ancien magnat des médias, sanctionné par les États-Unis et le Royaume-Uni pour corruption, il dirige le parti de la minorité turque. C’est lui qui offre, grâce à ses députés, la majorité parlementaire au gouvernement.

Pour les manifestants et opposition, Peevski incarne tout ce qui ne va pas : influence occulte sur la justice, les médias, les services de sécurité. Un État dans l’État.

Et maintenant ? Trois scénarios possibles

La situation est explosive. Plusieurs issues se dessinent.

  • Le gouvernement tient jusqu’au 1er janvier, adopte l’euro, puis démissionne, entraînant de nouvelles élections.
  • La rue obtient gain de cause avant Noël et provoque une chute immédiate du cabinet.
  • Le président Roumen Radev, qui soutient ouvertement les manifestants et vient d’annoncer la création de son propre parti, profite du chaos pour faire une entrée fracassante au Parlement lors du prochain scrutin.

Boryana Dimitrova voit même un quatrième scénario : que le mouvement redonne de l’air à la coalition libérale et pro-occidentale « Nous continuons le changement – Bulgarie démocratique » (PP-DB), à l’origine de la mobilisation.

Un pays épuisé par l’instabilité

Depuis 2020, la Bulgarie vit au rythme des crises. Manifestations anti-corruption, gouvernements qui tombent les uns après les autres, records d’élections anticipées… Le pays le plus pauvre de l’Union européenne paie aussi le prix d’une corruption endémique : selon Transparency International, il figure, avec la Hongrie et la Roumanie, parmi les États membres les plus mal notés.

Ajoutez à cela l’inquiétude liée à l’adoption de l’euro – peur de l’inflation, perte de souveraineté monétaire – et vous obtenez un cocktail explosif.

Vers un huitième scrutin en cinq ans ?

Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, c’est que la rue ne lâchera pas. Les rassemblements se multiplient dans tout le pays, pas seulement à Sofia. Plovdiv, Varna, Burgas… La colère est nationale.

Et tant que la confiance ne sera pas restaurée – ce qui passe, pour beaucoup, par le départ des « parasites » – les places resteront noires de monde.

L’hiver s’annonce long à Sofia.