Imaginez un pays où un ex-président condamné à 27 ans de prison pour avoir tenté de renverser la démocratie pourrait ressortir libre dans moins de deux ans. Ce scénario, aussi incroyable qu’il paraisse, est en train de se dessiner au Brésil. Et des millions de Brésiliens refusent de l’accepter.
Une loi qui fait trembler la jeune démocratie brésilienne
Mercredi soir, après une séance parlementaire particulièrement tendue, la Chambre des députés a adopté en première lecture une proposition de loi qui ouvrirait la voie à une réduction spectaculaire de la peine de Jair Bolsonaro. Passer de vingt-sept années fermes à un peu plus de deux ans : le contraste est violent. Et il choque profondément une partie de la population.
Le texte doit encore passer devant le Sénat, où les forces sont plus équilibrées. Même en cas de veto présidentiel de Lula, la Chambre basse conserve le dernier mot. Autrement dit, les alliés de l’ancien président détiennent actuellement toutes les cartes pour faire aboutir leur projet.
« Pas d’amnistie » : le cri qui monte du peuple
Dès l’annonce du vote, les réseaux sociaux se sont enflammés. Le hashtag #SemAnistia (« pas d’amnistie ») a immédiatement pris la tête des tendances au Brésil. Un autre slogan circule tout aussi vite : « Parlement ennemi du peuple ».
Dans la foulée, un appel national à manifester dimanche a été lancé. Rio de Janeiro, São Paulo, Brasilia, Recife, Recife, Belo Horizonte… Plus d’une dizaine de grandes villes sont concernées. L’objectif est clair : faire pression avant le vote décisif au Sénat et montrer que la rue refuse toute forme d’impunité.
« Rendons le Parlement au peuple »
Caetano Veloso, 83 ans, légende vivante de la musique brésilienne
Le chanteur a publié ces mots vendredi sur ses réseaux, appelant à une nouvelle « protestation musicale » comme celle de septembre dernier sur la plage de Copacabana. Ce jour-là, des milliers de personnes s’étaient rassemblées autour de lui, de Gilberto Gil et de Chico Buarque pour dire non à une amnistie totale. Le message avait été entendu : le projet d’amnistie pure et simple avait été abandonné. Aujourd’hui, la menace revient sous une forme déguisée.
Que reproche-t-on exactement à Jair Bolsonaro ?
Pour bien comprendre l’ampleur du scandale, il faut revenir sur les faits jugés par la Cour suprême. Jair Bolsonaro a été reconnu coupable d’avoir conspiré pour se maintenir au pouvoir « de façon autoritaire » après sa défaite électorale de 2022 face à Luiz Inácio Lula da Silva.
Les juges ont estimé qu’un plan précis avait été élaboré : déclarer l’état d’exception, arrêter des ministres de la Cour suprême, suspendre le Congrès. Selon les procureurs, seule la frilosité de la hiérarchie militaire a empêché le coup d’État de se concrétiser.
L’ancien président, lui, crie à la persécution politique et continue de se présenter comme une victime du système. Pourtant, les preuves accumulées lors du procès – écoutes, messages, témoignages d’officiers – ont convaincu la plus haute juridiction du pays.
Un Parlement encore très bolsonariste
Comment expliquer qu’une telle loi puisse être votée trois ans seulement après les événements ? La réponse tient en un mot : la composition de la Chambre des députés. Malgré la victoire de Lula en 2022, les législatives ont donné une majorité confortable aux partis de droite et d’extrême droite.
Le « Centrão », ce bloc pragmatique et souvent accusé de clientélisme, s’est allié aux bolsonaristes les plus radicaux pour faire passer le texte. Beaucoup y voient une revanche politique, une façon de protéger l’ancien chef de l’État et, par extension, l’ensemble du mouvement qui le soutient encore.
Edinho Silva, président du Parti des travailleurs (PT) de Lula, n’a pas mâché ses mots :
« Ils ont approuvé la réduction des peines pour ceux qui ont planifié et tenté de mener un coup contre la démocratie. C’est inacceptable. Descendons dans la rue pour protéger ce qui est essentiel à la démocratie. »
Une mobilisation qui rappelle les grandes heures de la résistance
La manifestation de septembre sur Copacabana avait déjà marqué les esprits. Sous un soleil brûlant, des dizaines de milliers de personnes avaient formé une marée rouge – couleur historique de la gauche brésilienne. Les artistes les plus respectés du pays avaient répondu présent, transformant l’événement en un immense concert pour la démocratie.
Dimanche, l’ambition est la même : occuper l’espace public, montrer que la société civile reste vigilante. Les organisateurs misent sur la présence de figures culturelles fortes et sur la colère accumulée depuis le vote de mercredi.
À São Paulo, le rassemblement est prévu sur l’avenue Paulista, lieu symbolique où Bolsonaro lui-même organisait ses propres manifestations pendant son mandat. Un choix lourd de sens : reprendre le terrain à ceux qui, il y a encore peu, criaient « mythe » à chaque évocation du coup d’État.
Quelles issues possibles dans les prochains jours ?
Plusieurs scénarios s’offrent encore au Brésil.
- Le Sénat rejette le texte ou l’amende fortement → la pression redescend.
- Le Sénat valide, Lula pose son veto → retour à la Chambre, qui peut passer en force.
- La rue est si massive que les parlementaires reculent, comme en septembre.
L’histoire récente montre que la mobilisation populaire peut faire plier les élus. Reste à savoir si la colère d’aujourd’hui sera assez forte pour répéter l’exploit.
Ce qui est sûr, c’est que le Brésil vit un de ces moments où tout semble possible. Soit le pays confirme que personne n’est au-dessus des lois, même un ancien président. Soit il ouvre la porte à une impunité qui pourrait encourager d’autres aventures autoritaires à l’avenir.
Dimanche, les Brésiliens auront le choix : rester chez eux et accepter le risque d’un précédent dangereux, ou descendre dans la rue et rappeler que la démocratie, ça se défend tous les jours.
Le monde entier regardera.









