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Boualem Sansal : La Paix France-Algérie Peut Aller Très Vite

« Si on le veut, la réconciliation peut aller très vite », affirme Boualem Sansal tout juste sorti de prison. Il rêve d’un Macron débarquant à Alger pour forcer la poignée de main avec Tebboune… Et vous, y croyez-vous ?

Et si la paix entre la France et l’Algérie ne tenait qu’à une poignée de main ? C’est, en substance, ce que propose Boualem Sansal, tout juste libéré après près d’un an derrière les barreaux. L’écrivain franco-algérien, connu pour ne jamais mâcher ses mots, refuse le pessimisme ambiant et affirme qu’une réconciliation sincère pourrait survenir très rapidement… à condition que les dirigeants le veuillent vraiment.

Un optimisme à contre-courant

Dans un contexte où les relations diplomatiques entre Paris et Alger semblent figées dans une guerre froide larvée, la voix de Boualem Sansal résonne comme un appel d’air frais. Libéré le 12 novembre dernier, il n’a pas attendu pour reprendre la parole et livrer une analyse à la fois simple et audacieuse : oui, la page peut être tournée. Et vite.

Son argument principal ? L’exemple franco-allemand d’après-guerre. Deux peuples qui s’étaient déchirés pendant des décennies ont su, en quelques années seulement, bâtir une amitié indéfectible. Pourquoi l’Algérie et la France en seraient-elles incapables ?

« C’est l’affaire d’une journée »

Interrogé sur la façon de sortir de l’impasse actuelle, l’écrivain ne tourne pas autour du pot. Il imagine un geste fort, presque théâtral : Emmanuel Macron prenant son avion, atterrissant à Alger sans prévenir et tendant la main au président Tebboune avec ces mots : « Je vais te forcer à me serrer la main ».

« Si on a des hommes d’État costauds, c’est l’affaire d’une journée. Si on le veut, tout peut aller très vite. Comme les Allemands et les Français après la guerre. »

Boualem Sansal

Ce scénario peut paraître naïf. L’intéressé assume totalement. Pour lui, c’est précisément cette naïveté-là, cette capacité à dépasser les rancœurs officielles, qui fait avancer le monde. Rester prisonnier des soupçons éternels mène à la paralysie.

Le peuple est prêt, pas les revanchards

Un point revient sans cesse dans ses propos : les Algériens, dans leur immense majorité, aspirent à la paix avec la France. Les jeunes rêvent d’étudier à Paris, Lyon ou Marseille. Les familles gardent un lien affectif fort avec la langue française, encore parlée à la maison même si elle disparaît des salles de classe.

Seule une minorité, qualifiée de « revanchards » des deux côtés de la Méditerranée, entretient la flamme de la discorde. Boualem Sansal propose de les laisser « se crêper le chignon entre eux » pendant que le reste de la société avance.

Cette fracture entre élites politiques et peuples est un thème récurrent chez l’auteur de 2084 ou Gouverner au nom d’Allah. Il l’observe aussi bien en Algérie qu’en France, où la communauté algérienne se sent parfois perdue entre deux chaises.

L’économie comme moteur de réconciliation

Au-delà des symboles, Boualem Sansal avance des pistes très concrètes. La première : relancer massivement les échanges économiques. Aujourd’hui moribonds, ils pourraient redevenir le ciment d’une relation apaisée.

La France a longtemps été le premier partenaire commercial de l’Algérie. Ce rang a été perdu au profit d’autres nations. Pour l’écrivain, il faut inverser la tendance : envoyer des chefs d’entreprise, des cadres, des investisseurs. L’intérêt bien compris, dit-il, responsabilise.

  • Reprise des grands contrats d’infrastructure
  • Développement de co-entreprises franco-algériennes
  • Formation professionnelle croisée
  • Retisser les liens universitaires et scientifiques

L’argent, selon lui, a cette vertu : il oblige à se parler, à négocier, à trouver des compromis. Là où la politique bloque, l’économie peut débloquer.

Et la Francophonie dans tout ça ?

Boualem Sansal va plus loin. Il rêve de voir l’Algérie réintégrer pleinement l’Organisation internationale de la Francophonie. Un symbole fort. Car, rappelle-t-il, pendant 132 ans, le français a été langue de l’administration, de l’école, mais aussi langue familiale pour des millions d’Algériens.

Aujourd’hui encore, dans les foyers, on passe naturellement du dialecte arabe au français. Pourtant, l’enseignement de cette langue a été marginalisé. Revenir dans le giron francophone serait un signal puissant envoyé à la jeunesse des deux pays.

Une année en prison qui n’a pas entamé sa liberté de ton

On aurait pu imaginer que près de douze mois derrière les barreaux auraient calmé l’ardeur de l’écrivain. Il n’en est rien. Interrogé sur d’éventuelles menaces, il répond avec un sourire dans la voix : il ne s’est « jamais senti menacé ».

Mieux : en prison, ses codétenus et même les gardiens l’ont rebaptisé « La Légende ». Celui qui a osé défier le régime au point, disent-ils, de contribuer à son effritement. Ce surnom l’a profondément marqué.

Assez, en tout cas, pour nourrir son prochain roman. Pas un témoignage sur la prison – cela ne l’intéresse pas – mais une grande fresque sur le pouvoir des légendes dans les sociétés. Comment des récits, vrais ou faux, structurent pendant des décennies les imaginaires collectifs.

Pourquoi cette urgence à faire la paix ?

Derrière l’optimisme de façade, Boualem Sansal porte une douleur. Celle de voir deux pays liés par l’histoire s’enfermer dans une « guerre permanente » qui empoisonne les esprits.

Cette tension crée, dit-il, une instabilité psychique et morale chez tout le monde. Les Algériens de France ne savent plus s’ils doivent rester ou rentrer. Les jeunes des deux côtés grandissent avec l’idée que l’autre est un ennemi héréditaire.

Il se bat depuis vingt ans pour que cette page soit tournée. Pas forcément pour effacer le passé – il sait que c’est impossible – mais pour cesser de le brandir comme une arme. On peut reconnaître les blessures sans pour autant refuser de se parler.

Un message aux deux présidents

Le message est clair, et il s’adresse directement à Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune. L’histoire jugera ceux qui auront eu le courage de tendre la main. Ou ceux qui auront préféré laisser pourrir la situation.

Boualem Sansal, lui, continuera à parler. À écrire. À déranger si nécessaire. Car c’est ainsi qu’il conçoit son rôle d’intellectuel : dire les choses, même quand elles dérangent, surtout quand elles dérangent.

En refermant cet entretien, une phrase reste en tête. Simple, presque enfantine, et pourtant lourde de sens :

« C’est la naïveté qui fait marcher le monde. »

Et si, pour une fois, on essayait ?

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