Imaginez : vous avez purgé votre peine, la porte de la prison est enfin entrouverte après trente années de détention. Et soudain, une nouvelle accusation, vieille de trois décennies, vient claquer cette porte au nez. C’est exactement ce qui arrive à Boualem Bensaïd, figure du terrorisme des années 1990 en France.
Une mise en examen qui tombe au pire moment
Jeudi, à 58 ans, l’homme a été inculpé pour vol avec arme et assassinat en relation avec une entreprise terroriste. Des faits remontant à l’été 1995, l’année même où il a commis l’attentat du RER Saint-Michel.
Le 11 juillet 1995, l’imam Abdelbaki Sahraoui, cofondateur du Front islamique du salut (FIS) et porte-parole à Paris, était abattu avec son secrétaire dans la mosquée de la rue Myrha, dans le 18e arrondissement. Une exécution en pleine vague d’attentats revendiqués par le Groupe islamique armé (GIA) algérien.
Pendant trente ans, les assassins n’ont jamais été identifiés officiellement. Jusqu’à cette semaine.
Les preuves qui resurgissent… trop tard ?
En 2003, une expertise balistique avait déjà établi qu’une arme saisie dans un appartement occupé notamment par Boualem Bensaïd était bien celle qui avait tué le secrétaire de l’imam.
En 2013, l’ADN de Bensaïd était identifié sur la scène ou sur l’arme. Pourtant, aucune poursuite n’avait été engagée à l’époque.
Aucun élément nouveau n’a été révélé depuis. Alors pourquoi maintenant ?
« Si la justice antiterroriste avait considéré avoir assez d’éléments pour le poursuivre, elle l’aurait fait en 2013 ! »
Me Romain Ruiz, avocat de Boualem Bensaïd
Une libération qui dérange
Boualem Bensaïd a été condamné en 2003 à la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans pour avoir posé la bombe du RER Saint-Michel le 25 juillet 1995 : huit morts, plus de 150 blessés.
Sa période de sûreté a pris fin le 1er août dernier. Théoriquement, il était libérable… à condition d’être expulsé vers l’Algérie.
Il aurait été le premier condamné à perpétuité pour terrorisme en France à sortir de prison après avoir purgé intégralement sa peine de sûreté.
Mais cette perspective semble en gêner certains.
« Il y a des personnes qui ne veulent pas le voir sortir »
Me Romain Ruiz
« Des méthodes de barbouzes »
Les termes sont violents. Lors d’une conférence de presse vendredi, les avocats ont dénoncé une opération destinée à « maintenir Boualem Bensaïd en détention jusqu’à ce que mort s’ensuive ».
Pour eux, cette inculpation tardive n’a qu’un seul but : empêcher toute libération, même conditionnelle.
Me Romain Ruiz parle ouvertement de « méthodes de barbouzes » et de dossier « enterré pendant au moins vingt ans » par l’antiterrorisme lui-même.
Les dates clés du dossier
- 11 juillet 1995 : assassinat de l’imam Sahraoui et de son secrétaire
- 25 juillet 1995 : attentat de Saint-Michel (8 morts)
- 2003 : expertise balistique lie une arme saisie chez Bensaïd à l’assassinat
- 2013 : ADN de Bensaïd identifié
- 1er août 2025 : fin de la période de sûreté
- Décembre 2025 : nouvelle mise en examen
Une défense qui contre-attaque
Les avocats ont annoncé qu’ils saisissaient immédiatement la cour d’appel de Paris d’une requête en nullité de cette mise en examen.
Ils estiment que le délai raisonnable est largement dépassé et que les droits de la défense sont bafoués.
Pour eux, ressusciter un dossier dormant depuis plus de dix ans, sans élément nouveau, relève de l’arbitraire.
1995, l’année noire du terrorisme en France
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut se replonger dans l’été 1995. La France vit sous la menace permanente du GIA.
Attentats dans le métro, dans les rues, prise d’otages du vol Air France Alger-Paris en décembre 1994… Le pays est traumatisé.
L’imam Sahraoui, modéré, partisan du dialogue, était une cible pour les plus radicaux du GIA qui le considéraient comme un traître au jihad.
Son assassinat avait été un signal fort : même dans Paris, personne n’était à l’abri.
Entre justice et realpolitik
Trente ans plus tard, la question de l’expulsion vers l’Algérie complique tout. Alger refuse souvent de reprendre ses ressortissants condamnés pour terrorisme.
Sans accord d’expulsion, la libération reste bloquée. Et tant que l’intéressé reste en prison, pas besoin d’accord…
Certains y voient une forme de detention administrative déguisée, hors de tout cadre légal.
Un précédent dangereux ?
Si cette stratégie venait à fonctionner, elle pourrait créer un précédent inquiétant : rouvrir indéfiniment des dossiers anciens pour maintenir en détention des condamnés qui arrivent au bout de leur peine.
Le respect de la chose jugée, le délai raisonnable, la sécurité juridique : autant de principes qui seraient mis à mal.
Les avocats de Boualem Bensaïd l’ont dit sans détour : cette affaire dépasse largement leur client. Elle interroge le fonctionnement même de la justice antiterroriste française trente ans après les faits.
Affaire à suivre, donc. Très attentivement.
Une seule question demeure : la justice agit-elle encore pour la vérité… ou pour éviter une libération qui embarrasserait tout le monde ?









