Imaginez la scène : une salle bondée, des cris, des députés qui en viennent presque aux mains, la télévision qui coupe brusquement la retransmission en direct. Mercredi, la Chambre des députés brésiliens a vécu l’un de ces moments où l’on sent que l’histoire du pays bascule en quelques heures.
Une loi qui change tout pour Jair Bolsonaro
À une large majorité de 291 voix contre 148, les députés ont adopté un texte qui pourrait réduire de manière spectaculaire la peine de l’ancien président. Condamné à 27 ans et 3 mois de prison pour tentative de coup d’État, Jair Bolsonaro verrait sa sanction tomber à environ deux ans et quatre mois si le Sénat valide également la proposition.
Le rapporteur du projet, le député Paulinho da Força, n’a pas caché sa satisfaction : « Bolsonaro verra sa peine réduite de 27 ans et trois mois à environ deux ans et quatre mois de prison ». La décision finale sur la durée exacte restera cependant entre les mains de la Cour suprême.
Un texte présenté comme une « pacification » nationale
Les promoteurs de la loi parlent d’un geste de réconciliation. « Un pays ne peut rester éternellement prisonnier de son passé récent », a lancé Paulinho da Força pendant les débats. L’argument est clair : tourner la page des violences du 8 janvier 2023, lorsque des milliers de partisans de Bolsonaro ont envahi les sièges du Congrès, du Palais présidentiel et de la Cour suprême.
Le texte ne concerne pas seulement l’ancien président. Il ouvre aussi la voie à une liberté conditionnelle pour plus d’une centaine de ses partisans condamnés pour ces mêmes événements. Un signal fort envoyé à la base bolsonariste qui n’a jamais accepté la victoire de Lula en 2022.
C’est un geste de réconciliation. Un pays ne peut rester éternellement prisonnier de son passé récent.
Paulinho da Força, rapporteur du projet de loi
Une séance parlementaire explosive
Les débats ont rapidement dégénéré. Le député Glauber Braga, connu pour ses positions très à gauche, a dénoncé une « offensive putschiste » avant de s’installer ostensiblement dans le fauteuil du président de la Chambre. Résultat : expulsion manu militari par la police législative.
Pendant plusieurs dizaines de minutes, la séance a été suspendue. La retransmission télévisée a été coupée sans explication. Les journalistes présents dans les tribunes ont été priés de quitter la salle, parfois avec une certaine brutalité. La Fédération nationale des journalistes a aussitôt condamné ces « actes de violence ».
Dans l’hémicycle, les nerfs étaient à vif. Certains députés de l’opposition brandissaient des portraits de Bolsonaro, tandis que ceux de la majorité agitaient des pancartes « Pas d’amnistie pour les putschistes ».
Pourquoi maintenant ?
Le projet dormait dans les tiroirs depuis des mois. Son inscription soudaine à l’ordre du jour, mardi soir, n’a rien d’un hasard. L’opposition de droite, emmenée par le député Sostenes Cavalcante, a reconnu sans détour sa stratégie : « Comme nous n’avons pas réussi à créer l’environnement politique nécessaire pour une amnistie totale, la première étape sera la réduction des peines ».
En clair : on avance pas à pas. D’abord alléger les condamnations, ensuite préparer le terrain pour 2026, année de la prochaine élection présidentielle. Car Jair Bolsonaro, même derrière les barreaux, reste le leader incontesté de la droite radicale brésilienne.
La majorité de gauche crie au scandale
Du côté du gouvernement Lula, on parle d’une « honte » et d’un « attentat contre la démocratie ». Le leader de la majorité, Lindbergh Farias, a été très clair : « Toute loi doit être générale. Nous faisons clairement une loi sur mesure pour bénéficier à Bolsonaro ».
Pour les parlementaires de gauche, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une tentative d’effacer les responsabilités du 8 janvier 2023 et de préparer le retour politique de l’ex-président.
Ce qui se passe aujourd’hui est une honte, un attentat contre la démocratie et un effort de plus pour l’immunité des putschistes.
Lindbergh Farias, leader de la majorité à la Chambre
Bolsonaro en détention : les conditions et la santé
Depuis fin novembre, Jair Bolsonaro, 70 ans, est détenu dans les locaux de la police fédérale à Brasília. Sa cellule, décrite par plusieurs sources, dispose d’un petit réfrigérateur, de la climatisation et d’une télévision – des conditions bien meilleures que celles de la plupart des détenus brésiliens.
Mardi, ses avocats ont réclamé une hospitalisation d’urgence, invoquant une « une aggravation significative » de son état de santé. L’ancien président souffre toujours des séquelles de l’attentat au couteau dont il a été victime en septembre 2018 lors d’un meeting de campagne. Une double intervention chirurgicale serait nécessaire selon la défense.
Et maintenant ? Le Sénat et la Cour suprême
Le texte doit encore passer l’épreuve du Sénat, où la majorité est plus fragile pour l’opposition. Ensuite, même en cas de vote favorable, la Cour suprême gardera la main sur l’application concrète des réductions de peine.
Beaucoup d’observateurs estiment que les juges, qui ont déjà condamné Bolsonaro coupable d’avoir conspiré pour se maintenir au pouvoir « de façon autoritaire », ne céderont pas facilement. Le bras de fer institutionnel est loin d’être terminé.
2026 déjà dans tous les esprits
Le timing n’échappe à personne. Vendredi dernier, Flavio Bolsonaro, sénateur et fils aîné de l’ex-président, a annoncé que son père l’avait désigné comme son représentant pour la prochaine présidentielle. Même incarcéré, Jair Bolsonaro prépare déjà son retour… ou celui de son clan.
Le Brésil reste coupé en deux. D’un côté, ceux qui voient dans cette loi un pas vers l’apaisement. De l’autre, ceux qui y voient la preuve que les institutions plient face à la pression de l’extrême droite. Une chose est sûre : les prochains mois risquent d’être électriques.
Résumé des faits clés :
- Peine actuelle de Bolsonaro : 27 ans et 3 mois
- Peine après application de la loi (si validée) : ~2 ans et 4 mois
- Vote à la Chambre : 291 pour, 148 contre
- Prochaine étape : examen au Sénat
- Plus de 100 partisans pourraient bénéficier d’une liberté conditionnelle
Le Brésil retient son souffle. Entre justice et politique, la ligne est plus fine que jamais. Et vous, pensez-vous que cette loi rapproche le pays de la réconciliation… ou d’un nouveau cycle de tensions ?









