Dimanche, les Boliviens se rendront aux urnes pour élire leur prochain président, un scrutin qui pourrait marquer un tournant historique après deux décennies de socialisme. Dans un pays épuisé par une crise économique sans précédent, où l’inflation atteint des sommets et les pénuries de carburant paralysent le quotidien, la population aspire à un changement. Mais quel avenir attend cette nation andine de 11,3 millions d’habitants ?
Un scrutin sous haute tension
La Bolivie traverse une période de turbulences. Avec une inflation annuelle frôlant les 25 %, un record en près de deux décennies, et des pénuries de dollars et de carburant, le mécontentement populaire est palpable. Les files d’attente pour l’essence s’allongent, les prix grimpent, et le modèle économique hérité des années socialistes semble à bout de souffle. Ce contexte explosif place l’élection présidentielle de ce dimanche sous le signe de l’incertitude.
Le président sortant, Luis Arce, a choisi de ne pas se représenter, laissant un vide au sein du Mouvement vers le socialisme (MAS), au pouvoir depuis 2006. Sa décision intervient après un conflit ouvert avec son ancien mentor, Evo Morales, figure emblématique de la gauche latino-américaine. Ce schisme au sein du MAS a fracturé la gauche, affaiblissant ses chances dans les urnes.
La gauche en perte de vitesse
Le MAS, autrefois dominant, semble perdre du terrain. Les candidats de gauche, comme Andronico Rodriguez, président du Sénat, et Eduardo del Castillo, ne parviennent pas à mobiliser. Selon les derniers sondages, Rodriguez recueille seulement 5,5 % des intentions de vote, tandis que del Castillo stagne à 1,5 %. Ces chiffres, calculés sur l’ensemble du corps électoral, traduisent un désamour croissant pour le projet socialiste.
“Les gens se sont rendu compte que ces vingt dernières années n’ont servi à rien. Le modèle socialiste n’a pas fonctionné.”
Miguel Angel Miranda, étudiant de 21 ans à La Paz
Ce sentiment d’échec est partagé par une population lassée par les promesses non tenues. Les avancées sociales des années Morales, comme la réduction de la pauvreté et le triplement du PIB, sont aujourd’hui éclipsées par la crise. Depuis 2017, la chute des revenus gaziers a précipité le pays dans une spirale économique, aggravée par une gestion jugée chaotique.
La droite en pole position
Face à ce désenchantement, deux figures de la droite se détachent : Samuel Doria Medina, homme d’affaires influent de 66 ans, et Jorge “Tuto” Quiroga, ancien président intérimaire âgé de 65 ans. Les sondages leur attribuent respectivement 21 % et 20 % des intentions de vote, les plaçant en tête pour un probable second tour prévu le 19 octobre. Leur discours, axé sur une rupture avec le modèle étatiste, séduit une population en quête de stabilité.
Samuel Doria Medina promet un gouvernement d’austérité, mettant fin aux dépenses jugées excessives des années précédentes. Plus modéré, il incarne une droite pragmatique, centrée sur la relance économique.
Jorge Quiroga, quant à lui, adopte un ton plus radical, promettant de “tout changer” et dénonçant “vingt ans de gaspillage”. Son expérience politique et son franc-parler en font un adversaire redoutable.
Les deux candidats partagent un objectif commun : démanteler l’héritage d’Evo Morales, accusé d’avoir instauré un système inefficace. Mais leurs approches diffèrent, et le second tour s’annonce comme un duel stratégique entre deux visions de la droite.
Evo Morales, l’ombre du passé
Impossible de parler de cette élection sans évoquer Evo Morales. Premier président indigène de Bolivie, il a marqué le pays par ses réformes sociales et son charisme. Mais aujourd’hui, il est une figure clivante. Écarté de la course électorale par une décision judiciaire limitant les mandats présidentiels, Morales est également visé par un mandat d’arrêt dans une affaire controversée. Retranché dans son fief rural, il continue d’influencer le débat.
“Nous n’allons pas légitimer cette élection truquée.”
Evo Morales, ancien président de la Bolivie
Ses partisans, encore nombreux dans les zones rurales et autochtones, appellent au vote nul, tandis que Morales menace de mobiliser ses soutiens en cas de victoire de la droite. Cette posture radicalise le climat électoral, déjà marqué par des blocages de routes orchestrés par ses alliés.
Une fracture au sein du MAS
Le conflit entre Morales et Arce a profondément divisé le MAS, autrefois monolithe. Accusant son ancien allié de mauvaise gestion et de manipulation institutionnelle, Morales a exacerbé les tensions en soutenant des mouvements de protestation. Ces divisions ont affaibli la gauche, laissant le champ libre à la droite.
“Le pire ennemi de la gauche a été la gauche elle-même. La corruption, la mauvaise gestion et l’improvisation ont fatigué la population.”
Daniel Valverde, politologue
Ce constat est partagé par de nombreux Boliviens, qui reprochent au MAS son incapacité à anticiper la crise économique. Les pénuries de carburant et de gaz, essentielles dans un pays où l’énergie est un moteur économique, ont amplifié le mécontentement.
Le quotidien des Boliviens à l’épreuve
Pour les habitants, la crise est avant tout concrète. Saturnina Sahuira, une vendeuse ambulante de 47 ans, incarne ce désarroi. Mère de cinq enfants, elle raconte son quotidien marqué par l’absence d’essence et de gaz, des ressources vitales pour son activité. Longtemps fidèle au MAS, elle exprime aujourd’hui sa déception face à un système qui semble avoir oublié les plus modestes.
- Pénuries : Essence, diesel et gaz manquent cruellement.
- Inflation : Les prix explosent, rendant le quotidien insoutenable.
- Désillusion : Les politiques sociales, autrefois plébiscitées, ne suffisent plus.
Ce désenchantement touche particulièrement les communautés indigènes, autrefois piliers du MAS. Bien que Morales ait donné une voix aux populations aymaras et quechuas, la crise économique a érodé leur confiance.
Vers un retour à la stabilité ?
Pour Daniela Osorio Michel, chercheuse en études régionales, les Boliviens recherchent avant tout un retour à la stabilité. “Les gens veulent un gouvernement capable de résoudre les problèmes concrets, comme l’accès au carburant et la maîtrise des prix”, explique-t-elle. Cette aspiration pourrait bénéficier aux candidats de droite, dont les promesses de rigueur économique trouvent un écho.
Outre le président et le vice-président, les électeurs renouvelleront également le parlement bicaméral, un enjeu crucial pour la future gouvernance. Une victoire de la droite pourrait redessiner le paysage politique bolivien, mettant fin à une ère socialiste qui a profondément marqué le pays.
Un second tour décisif
Sauf surprise, le scrutin de dimanche débouchera sur un second tour entre Doria Medina et Quiroga. Ce face-à-face inédit à droite promet un débat intense sur l’avenir économique et politique de la Bolivie. Les deux candidats devront convaincre une population divisée, entre ceux qui rêvent d’un renouveau et ceux qui restent attachés à l’héritage de Morales.
Candidat | Position | Intentions de vote |
---|---|---|
Samuel Doria Medina | Centre-droit | 21 % |
Jorge “Tuto” Quiroga | Droite | 20 % |
Andronico Rodriguez | Gauche | 5,5 % |
Eduardo del Castillo | Gauche | 1,5 % |
Ce tableau illustre l’écart entre la droite et la gauche, mais aussi la fragmentation du vote. La question est désormais de savoir si la droite saura capitaliser sur ce momentum ou si les tensions internes et l’influence persistante de Morales viendront perturber le scrutin.
Les défis du prochain président
Quel que soit le vainqueur, le prochain président devra relever des défis colossaux. Restaurer la confiance dans les institutions, relancer une économie à l’arrêt et apaiser les tensions sociales seront des priorités. La Bolivie, riche en ressources naturelles mais fragilisée par des années de mauvaise gestion, a besoin d’un leadership fort et visionnaire.
- Économie : Stabiliser les prix et résoudre les pénuries.
- Politique : Réconcilier une population divisée.
- Social : Restaurer la confiance dans les institutions.
La Bolivie se trouve à un carrefour. Ce scrutin, plus qu’une simple élection, est un référendum sur l’avenir du pays. La droite parviendra-t-elle à imposer une nouvelle vision ? Ou l’héritage socialiste, malgré ses revers, continuera-t-il d’influencer le débat ? Les semaines à venir seront décisives.
En attendant, les Boliviens, comme Saturnina Sahuira, espèrent des jours meilleurs. “On veut juste vivre normalement, sans avoir à se battre pour du carburant ou pour nourrir nos enfants”, confie-t-elle. Un vœu simple, mais qui résume l’ampleur du défi à venir.