Dans les rues animées de La Paz, l’odeur du pain frais, autrefois omniprésente, s’est évanouie. Les étals des petites boutiques, habituellement débordants de marraqueta, ce pain croustillant emblématique, sont désespérément vides. Cette pénurie, bien plus qu’une anecdote, est le symptôme d’une crise économique profonde qui secoue la Bolivie à l’approche d’une élection présidentielle cruciale. À quelques jours du scrutin, la population, lassée par les files d’attente et les prix en hausse, exprime un ras-le-bol généralisé. Que se passe-t-il dans ce pays andin, et quelles perspectives les élections pourraient-elles ouvrir ?
Une Crise Économique qui Touche au Quotidien
La Bolivie traverse une période de turbulences économiques sans précédent. Les rayons des épiceries se vident, les stations-service affichent des files interminables, et le dollar, denrée rare, voit sa valeur s’envoler. Cette situation, qui affecte directement le quotidien des Boliviens, alimente un mécontentement croissant. Wilson, un père de famille de 39 ans, incarne cette frustration. Après avoir parcouru plusieurs boutiques sans trouver de marraqueta, il se résigne à acheter du pain industriel. « On attend les élections pour changer ce modèle qui nous a appauvris », confie-t-il, la voix lourde de déception.
« On n’a aucun espoir avec ce gouvernement. La marraqueta, c’est le pain des pauvres, et même ça, on ne l’a plus. »
Ligia, 70 ans, habitante de La Paz
La pénurie alimentaire n’est que la partie visible de l’iceberg. Le carburant, essentiel pour les chauffeurs comme Manuel, un taxiste de la capitale, manque cruellement. Après des heures d’attente pour remplir son réservoir, il déplore : « Tout a augmenté : les œufs, le lait, l’huile, même les pièces pour ma voiture. » Cette situation, exacerbée par une inflation galopante, touche toutes les couches de la population.
L’Inflation : Un Fléau Inédit
En juillet 2025, l’inflation annuelle en Bolivie a atteint un niveau record de 25 %, du jamais-vu depuis près de deux décennies. Ce chiffre, bien que préoccupant, ne raconte qu’une partie de l’histoire. Les produits de première nécessité, comme l’huile ou le riz, disparaissent régulièrement des étals, faute de matières premières. Paradoxalement, le prix de la marraqueta reste stable, grâce aux subventions gouvernementales sur la farine. Mais cette mesure, bien qu’appréciée, ne suffit pas à apaiser les tensions.
Données clés sur l’inflation en Bolivie :
- Inflation en juillet 2025 : 25 %, un record depuis 2008.
- Augmentation de la masse monétaire : +20 % entre 2023 et 2024.
- Pauvreté : 44 % de la population touchée, selon des estimations indépendantes.
Pour Napoleón Pacheco, économiste à l’université Mayor de San Andrés, la Bolivie flirte dangereusement avec l’hyperinflation. Cette situation résulte en grande partie de l’émission massive de monnaie par le gouvernement, une tentative désespérée de stabiliser une économie en chute libre. Mais cette stratégie, loin de résoudre les problèmes, aggrave les déséquilibres.
La Pénurie de Dollars : Une Économie en Péril
Autrefois portée par ses exportations de gaz naturel, l’économie bolivienne s’effondre depuis 2017. Les réserves de dollars, essentielles pour financer les importations et les subventions, se sont presque taries. En moins d’un an, la valeur du dollar sur le marché parallèle a doublé, entraînant une flambée des prix des produits importés. « On ne trouve plus rien, et quand on trouve, c’est hors de prix », se lamente Carlos, un retraité de 65 ans, qui envisage de voter pour un candidat de droite, une première pour lui.
« Il n’y a plus de dollars, plus d’essence, plus de médicaments. N’importe qui vaut mieux que ça. »
Carlos, 65 ans, retraité
Le manque de devises étrangères a des répercussions en cascade. Les entreprises peinent à importer des matières premières, les hôpitaux manquent de médicaments, et les files d’attente s’allongent devant les stations-service. Cette crise, qui touche tous les secteurs, alimente un sentiment d’urgence à l’approche des élections.
Les Élections : Un Tournant pour la Bolivie ?
Le scrutin présidentiel de 2025 s’annonce comme un moment charnière. Pour la première fois en deux décennies, la gauche, qui a dominé la scène politique sous la houlette d’Evo Morales, n’est plus favorite. Morales, écarté par la limite des mandats et visé par un ordre d’arrestation, ne peut se présenter. Le président sortant, Luis Arce, très impopulaire, ne brigue pas un nouveau mandat. Les candidats de gauche, comme Andrónico Rodríguez et Eduardo del Castillo, peinent à convaincre, loin derrière les favoris dans les sondages.
À l’inverse, deux figures de droite, Samuel Doria Medina, homme d’affaires modéré, et Jorge Quiroga, ancien président, dominent les intentions de vote. Leur programme, axé sur l’austérité, promet de réduire les subventions et de fermer les entreprises publiques déficitaires. Mais ces mesures, bien que nécessaires pour certains, risquent d’aggraver la situation des plus pauvres.
Candidat | Position | Programme |
---|---|---|
Samuel Doria Medina | Centre-droit | Austérité, réduction des subventions |
Jorge Quiroga | Droite | Privatisation, rigueur budgétaire |
Un Quotidien Marqué par la Précarité
La crise économique a des conséquences humaines dramatiques. Selon la Fondation Jubileo, le taux de pauvreté atteindrait 44 %, un chiffre bien supérieur aux estimations officielles. Cette dégradation du niveau de vie touche particulièrement les plus vulnérables, qui dépendent des subventions pour survivre. Ligia, 70 ans, résume l’ampleur du désarroi : « La marraqueta, c’est tout ce qu’on a, et même ça, on ne l’a plus. »
Les files d’attente, qu’il s’agisse de carburant, de pain ou de médicaments, sont devenues le symbole d’une société en crise. Les Boliviens, habitués à un certain niveau de stabilité sous les gouvernements précédents, se sentent abandonnés. Cette frustration pourrait redessiner le paysage politique du pays.
Vers une Austérité Inévitable ?
Les favoris du scrutin, Doria Medina et Quiroga, proposent des réformes radicales. Leur objectif : stabiliser l’économie en réduisant les dépenses publiques. Mais ces mesures, bien qu’elles puissent attirer les investisseurs, risquent de peser lourdement sur la population. La suppression des subventions sur le carburant, par exemple, pourrait entraîner une nouvelle hausse des prix, rendant le quotidien encore plus difficile.
Pour Napoleón Pacheco, l’avenir s’annonce sombre. « Une période de sang, de sueur et de larmes s’annonce », prévient-il, évoquant les sacrifices que les Boliviens devront consentir. Pourtant, pour beaucoup, le statu quo n’est plus tenable. La question reste : les électeurs opteront-ils pour un changement radical, ou chercheront-ils à préserver les acquis sociaux, au risque de prolonger la crise ?
Les Défis d’une Transition
La Bolivie se trouve à un carrefour. Les défis économiques, sociaux et politiques qui se posent exigent des solutions audacieuses, mais les marges de manœuvre sont limitées. Les réserves de dollars sont au plus bas, les exportations de gaz ne suffisent plus à renflouer les caisses, et la confiance envers les institutions s’effrite. Les Boliviens, épuisés par les pénuries et l’inflation, placent leurs espoirs dans les élections, mais le chemin vers la stabilité reste incertain.
Les enjeux majeurs des élections :
- Stabilisation économique : Réduire l’inflation et relancer les exportations.
- Réduction des pénuries : Assurer l’approvisionnement en carburant et denrées.
- Confiance politique : Restaurer la crédibilité des institutions.
En attendant le verdict des urnes, les Boliviens continuent de faire face à un quotidien marqué par l’incertitude. Les files d’attente, les étals vides et les prix exorbitants rappellent chaque jour l’ampleur de la crise. Mais au-delà des chiffres et des statistiques, c’est l’espoir d’un avenir meilleur qui pousse les citoyens à se mobiliser pour ce scrutin historique.