Comment des institutions censées protéger les plus vulnérables peuvent-elles devenir des refuges pour des criminels ? En Bolivie, une affaire récente a secoué les consciences : deux prêtres jésuites, aujourd’hui octogénaires, ont été condamnés pour avoir couvert les agissements d’un prêtre pédocriminel il y a plusieurs décennies. Cette histoire, révélée par un journal intime découvert après la mort du coupable, soulève des questions brûlantes sur la responsabilité des institutions religieuses et la quête de justice des victimes. Plongeons dans cette affaire qui, bien que locale, résonne à l’échelle mondiale.
Une Condamnation Historique en Bolivie
En 2023, un tribunal bolivien a prononcé une sentence qui a marqué les esprits : deux jésuites espagnols, Marcos Recolons et Ramon Alaix, ont été condamnés à un an de prison chacun. Leur crime ? Avoir couvert les agissements d’un prêtre, Alfonso Pedrajas, qui avait avoué dans son journal intime avoir agressé plus de 80 mineurs dans les années 1970 et 1980. Ces actes odieux se sont déroulés dans un collège de Cochabamba, où Pedrajas officiait comme enseignant et guide spirituel.
Cette condamnation, bien que symbolique en raison de l’âge avancé des accusés, constitue une première dans le pays. Elle met en lumière une réalité sombre : la protection institutionnelle dont ont bénéficié certains prédateurs au sein de l’Église. Mais comment cette affaire a-t-elle éclaté au grand jour, et pourquoi a-t-elle pris autant de temps ?
Le Journal Intime qui a Tout Changé
Le scandale a émergé en avril 2023, lorsqu’un journal intime, tenu par Alfonso Pedrajas, a été rendu public. Ce document, découvert après sa mort en 2009, est une confession accablante. Pedrajas y détaille ses agressions sur des dizaines d’enfants et d’adolescents, tout en révélant avoir été protégé par ses supérieurs. Ces écrits, d’une froideur glaçante, décrivent un homme conscient du mal qu’il infligeait, mais convaincu que ses actes resteraient impunis.
« J’ai fait du mal à beaucoup de personnes », écrivait Pedrajas dans son journal, un aveu qui contraste avec l’absence de remords concret.
Ce journal a été un électrochoc pour les victimes, qui, des décennies plus tard, ont enfin vu une lueur d’espoir pour obtenir justice. Mais il a aussi révélé une vérité dérangeante : les responsables de l’époque, bien qu’informés, n’ont jamais dénoncé les faits aux autorités. Cette omerta institutionnelle est au cœur de l’affaire.
Les Victimes au Cœur de la Lutte
Les plaignants, d’anciens élèves du collège Juan XXIII à Cochabamba, ont porté cette affaire devant la justice. Leur combat, long et douloureux, illustre la résilience des survivants face à un système qui, pendant des années, a minimisé ou ignoré leurs souffrances. Wilder Flores, porte-parole des victimes, a qualifié cette condamnation de victoire historique, bien que partielle.
Pour ces anciens élèves, aujourd’hui adultes, le verdict représente plus qu’une simple sanction. Il symbolise une reconnaissance officielle des abus qu’ils ont subis et une condamnation des mécanismes qui ont permis à ces crimes de rester cachés. Cependant, la peine d’un an, assortie d’une exemption d’incarcération en raison de l’âge des accusés, laisse un goût d’inachevé.
« Nous étions des enfants, et on nous a fait croire que la justice était rendue par les jésuites. » – Wilder Flores, représentant des victimes.
Une Institution sous le Feu des Projecteurs
Marcos Recolons et Ramon Alaix, les deux jésuites condamnés, occupaient des postes de direction au sein de la Compagnie de Jésus à Cochabamba. Leur rôle leur donnait une autorité considérable, mais aussi une responsabilité. La justice a établi qu’ils avaient connaissance des agissements de Pedrajas, mais n’ont jamais alerté les autorités, préférant gérer l’affaire en interne. Ce choix, loin d’être isolé, reflète une pratique malheureusement courante dans certaines institutions religieuses à l’époque.
Ce silence institutionnel a permis à Pedrajas de poursuivre ses activités sans entrave jusqu’à sa mort d’un cancer en 2009, à l’âge de 66 ans. Aucun procès n’a jamais eu lieu de son vivant, laissant les victimes sans recours pendant des décennies. Cette affaire soulève une question cruciale : comment les institutions religieuses peuvent-elles regagner la confiance des fidèles après de tels scandales ?
Un Verdict Symbolique, mais Insuffisant ?
La condamnation des deux jésuites, bien qu’historique, a suscité des réactions mitigées. D’un côté, elle marque un pas vers la reconnaissance des victimes et la fin de l’impunité. De l’autre, la courte durée de la peine et l’absence d’incarcération effective laissent certains observateurs sceptiques. Pour beaucoup, cette décision ne représente que la partie émergée de l’iceberg, comme l’a souligné Wilder Flores.
En effet, les abus au sein des institutions religieuses ne se limitent pas à ce cas isolé. Des milliers de documents internes, encore inaccessibles, pourraient révéler l’ampleur d’un système de couverture plus large. Les victimes appellent à une transparence totale et à des enquêtes approfondies pour identifier d’autres responsables.
Événement | Détails |
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Années 1970-1980 | Alfonso Pedrajas agresse plus de 80 mineurs à Cochabamba. |
2009 | Mort de Pedrajas, sans procès. |
2023 | Publication du journal intime et condamnation des jésuites. |
Un Combat Loin d’Être Terminé
Pour les victimes, cette condamnation n’est qu’un début. Pedro Lima, ancien jésuite et l’un des plaignants, a qualifié ce verdict de jour historique pour le collège Juan XXIII et pour la Bolivie. Cependant, il insiste sur la nécessité de poursuivre les investigations. D’autres survivants, dans d’autres institutions, pourraient encore attendre justice.
Les révélations de cette affaire ont également ravivé le débat sur la responsabilité des institutions religieuses face aux abus. Comment prévenir de tels drames à l’avenir ? Quelles mesures concrètes peuvent être mises en place pour protéger les enfants et garantir la transparence ? Ces questions, universelles, transcendent les frontières de la Bolivie.
Vers une Justice plus Large ?
Ce verdict, bien que limité, ouvre la voie à d’autres poursuites. Les victimes espèrent que cette affaire incitera d’autres survivants à briser le silence et à exiger des comptes. Les institutions religieuses, de leur côté, sont confrontées à un défi majeur : restaurer leur crédibilité tout en assumant leur passé.
En Bolivie, comme ailleurs, la lutte pour la justice continue. Les survivants, portés par leur courage et leur détermination, rappellent que la vérité, même enfouie pendant des décennies, finit toujours par éclater. Cette affaire, bien que douloureuse, est un pas vers un avenir où les institutions seront tenues responsables de leurs actes.