C’est un aveu inhabituel de la part d’un grand patron. Devant une commission d’enquête du Sénat américain, le CEO de Boeing Dave Calhoun a reconnu mardi la « gravité » des problèmes de sécurité et de culture d’entreprise qui secouent le géant aéronautique depuis plusieurs années maintenant. Une main sur le cœur, il a promis des « progrès » et des changements majeurs pour restaurer la confiance.
Boeing traverse en effet une zone de fortes turbulences depuis les deux tragiques accidents des 737 MAX en 2018 et 2019, qui ont fait 346 morts. Des drames qui ont mis en lumière de graves défaillances dans les processus de conception et de certification des avions, ainsi qu’une culture interne privilégiant les profits à la sécurité selon de nombreux observateurs.
« Nous comprenons la gravité »
Face aux sénateurs, Dave Calhoun, en poste depuis début 2020 pour redresser la barre, a tenté de faire amende honorable. « Notre culture est loin d’être parfaite, mais nous prenons des mesures et nous progressons », a-t-il déclaré. « Nous comprenons la gravité, et nous nous engageons à aller de l’avant en toute transparence et prise de responsabilité, tout en augmentant l’investissement des employés ».
Le dirigeant sexagénaire s’est même levé pour présenter ses excuses aux familles des victimes, dont certaines étaient présentes dans le public, brandissant les photos de leurs proches disparus. « Je m’excuse pour le chagrin que nous avons causé, et je veux que vous sachiez que nous sommes totalement mobilisés, en leur mémoire, à travailler et à nous concentrer sur la sécurité aussi longtemps » que nécessaire, a-t-il dit la voix émue.
Des « coquilles vides » pour les sénateurs
Mais pour les élus, ces belles paroles sonnent un peu creux. Le sénateur Richard Blumenthal, président de la commission, a reproché à Boeing « l’érosion de la culture de sécurité » au profit des actionnaires. Selon lui, les promesses ne sont que des « coquilles vides ».
De fait, malgré le changement de direction, Boeing continue d’accumuler les problèmes de production et de qualité sur ses différents avions : 737 MAX, 787 Dreamliner, 777X… Des audits internes et des contrôles des régulateurs ont identifié de multiples défauts de fabrication et de documentation ces derniers mois.
C’est une culture qui continue de donner priorité aux bénéfices, de pousser les limites et d’ignorer ses employés.
Richard Blumenthal, sénateur
Sous la menace de poursuites pénales
Plus grave encore, Boeing est menacé de poursuites pénales. Selon le ministère américain de la Justice, l’avionneur n’aurait « pas respecté ses obligations » dans le cadre d’un accord conclu en janvier 2021 après les crashs du MAX, qui prévoyait une surveillance renforcée pendant 3 ans. Boeing conteste, mais pourrait être traîné en justice d’ici juillet.
Pour Richard Blumenthal, ancien procureur, il existe des « éléments accablants » pour lancer des poursuites. De quoi mettre une pression supplémentaire sur les épaules de Dave Calhoun, dont le départ à la retraite est déjà prévu d’ici fin 2024. Aura-t-il le temps d’inverser le cours des choses d’ici là ?
Un « plan d’action complet » exigé
Le patron devra en tout cas répondre sur le « plan d’action complet » exigé par le régulateur de l’aviation (FAA) pour remédier à tous ces problèmes. Un plan remis fin mai, dont le contenu n’a pas été dévoilé mais qui doit permettre de renforcer les procédures de contrôle qualité et de certification.
Dave Calhoun assure que des progrès ont déjà été réalisés, avec une meilleure prise en compte des alertes des salariés et un effort de transparence. Mais il admet que le chemin est encore long, appelant à un changement de culture en profondeur. Un défi de taille pour un groupe habitué à prospérer grâce à sa proximité avec le pouvoir politique et les autorités de régulation.
La sécurité comme « priorité absolue »
« Nous comprenons que nous devons regagner la confiance, pas seulement celle de nos clients et du grand public, mais aussi celle de nos propres employés », a déclaré Dave Calhoun. « Cela doit être notre priorité absolue. » Tout en réaffirmant la solidité de Boeing, il a reconnu que l’entreprise était arrivée à « un point d’inflexion » en termes de sécurité et de qualité.
Un point d’inflexion crucial pour l’avenir de Boeing, mais aussi pour la sécurité de millions de passagers dans le monde. Car malgré ses déboires, le groupe reste un acteur majeur d’une industrie aéronautique en pleine reprise après la pandémie et qui a besoin d’avions fiables pour répondre à la demande. Espérons que sous la pression, Boeing saura enfin redresser la barre, dans le bon sens cette fois.