Comment une banque peut-elle être liée à des atrocités commises à des milliers de kilomètres ? Un verdict rendu à New York a récemment secoué le monde financier en pointant du doigt une institution française, accusée d’avoir soutenu un régime responsable de crimes graves. Ce jugement, qui fait écho aux horreurs du Darfour, soulève des questions brûlantes sur la responsabilité des acteurs financiers dans les conflits mondiaux. Plongeons dans cette affaire complexe et ses implications.
Un Verdict Historique à New York
Le 17 octobre 2025, un jury populaire new-yorkais a rendu un verdict sans précédent. Une grande banque française a été reconnue complice d’exactions commises au Soudan sous le régime d’Omar el-Béchir. Ce procès civil, qui a duré plus d’un mois, a mis en lumière le rôle de l’institution dans des transactions commerciales ayant financé l’armée soudanaise et les milices Janjawid, responsables de violences brutales.
Le jury, composé de huit personnes, a attribué un total de 20,75 millions de dollars de dommages et intérêts à trois plaignants soudanais, aujourd’hui citoyens américains. Ces derniers ont partagé des témoignages poignants, décrivant des actes de torture, des emprisonnements et des pertes personnelles dévastatrices. Ce jugement marque un tournant, car il établit un précédent en matière de responsabilité civile des institutions financières.
Les Plaignants : Des Histoires de Souffrance
Les trois plaignants, deux hommes et une femme, ont chacun une histoire tragique marquée par les violences au Soudan. Entesar Osman Kasher, âgée de 41 ans, a relaté un calvaire insoutenable : emprisonnée, violée à plusieurs reprises, elle a également assisté au meurtre de proches sous ses yeux. Le jury lui a accordé 7,3 millions de dollars en compensation pour ses souffrances.
Abulgasim Suleman Adballa, né en 1976, était agriculteur et éleveur avant de fuir le Soudan. Il a reçu 6,7 millions de dollars. Turjuman Ramadan Turjuman, né en 1959, ancien juge et avocat des droits humains, s’est vu attribuer 6,75 millions de dollars. Leurs récits, empreints de douleur, ont profondément marqué le jury et mis en lumière les horreurs du conflit au Darfour.
Ce verdict est une victoire pour la justice et pour l’octroi des responsabilités.
Bobby DiCello, avocat des plaignants
Le Rôle de la Banque dans le Conflit
Entre la fin des années 1990 et 2009, la banque incriminée a joué un rôle clé au Soudan en facilitant des transactions financières, notamment via des lettres de crédit pour des contrats d’import-export. Ces opérations ont permis au régime d’Omar el-Béchir d’accéder à des fonds qui ont servi à équiper l’armée et les milices Janjawid, impliquées dans des exactions massives.
Selon des documents présentés au procès, l’institution était, pendant plusieurs années, la seule banque opérant dans le pays pour certaines transactions, gérant plus de 80 milliards de dollars entre 2002 et 2009. Ces fonds ont directement ou indirectement contribué à financer des opérations militaires dans un conflit qui, selon les Nations unies, a causé 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés au Darfour.
Chiffres clés du conflit au Darfour :
- 300 000 morts entre 2002 et 2008
- 2,5 millions de déplacés
- 80 milliards de dollars de transactions bancaires
Un Procès sous le Droit Suisse
Un élément surprenant de cette affaire est l’application du droit suisse. Le procès s’est tenu sous ce cadre juridique, car les opérations soudanaises étaient gérées par une filiale basée à Genève. Ce choix a suscité des débats, notamment parce que la banque a soutenu que des preuves essentielles n’avaient pas été admises au tribunal, arguant d’une mauvaise interprétation du droit suisse.
La banque a également annoncé son intention de faire appel, qualifiant le verdict de manifestement erroné. Elle conteste les conclusions du jury et affirme que le régime soudanais aurait commis ces exactions même sans son implication financière. Cette défense, cependant, n’a pas convaincu les jurés, qui ont examiné attentivement un accord de 2014 conclu avec la justice américaine.
L’Accord de 2014 : Une Ombre sur la Banque
En 2014, la banque a conclu un accord avec les autorités américaines pour éviter un procès pénal. Elle a reconnu avoir effectué des transactions en dollars avec le Soudan, l’Iran et Cuba, trois pays sous embargo américain, entre 2002 et 2012. Ces opérations incluaient des transferts financiers masqués pour le compte du Soudan, une pratique qui a coûté à la banque une amende record de 8,9 milliards de dollars.
Lors du procès new-yorkais, le jury a demandé à relire les 14 pages de la reconnaissance des faits issue de cet accord, signe de l’importance accordée à ces aveux. Cet élément a sans doute renforcé la conviction que l’institution avait une responsabilité directe dans le financement des exactions.
Un Précédent pour la Justice Internationale
Ce verdict est qualifié d’historique par les avocats des plaignants. Michael Hausfeld, l’un des principaux défenseurs, a souligné que cette décision pourrait servir de référence pour d’autres affaires impliquant des institutions financières soutenant des régimes oppressifs. Elle envoie un message clair : les banques ne peuvent plus ignorer les conséquences de leurs actions.
Ce verdict n’est que le début. C’est un présage de poursuites similaires pour défendre les droits des victimes.
Michael Hausfeld, avocat des plaignants
Le jugement pourrait ouvrir la voie à des dizaines d’autres procès, car des milliers de plaintes similaires de réfugiés soudanais aux États-Unis sont en attente. Cette affaire met en lumière la nécessité de responsabiliser les acteurs financiers dans les conflits internationaux, un sujet qui gagne en importance à l’ère de la mondialisation.
Les Implications pour le Secteur Bancaire
Ce verdict soulève une question cruciale : jusqu’où va la responsabilité des banques dans les conflits armés ? En facilitant des transactions pour des régimes autoritaires, les institutions financières peuvent-elles être tenues pour complices des crimes commis ? Cette affaire pourrait inciter les banques à renforcer leurs contrôles éthiques et à mieux évaluer les impacts de leurs activités.
Pour le secteur bancaire, ce jugement représente un avertissement. Les institutions financières devront désormais être plus vigilantes face aux risques liés à leurs opérations dans des zones de conflit. Cela pourrait également encourager des réformes dans les régulations internationales, obligeant les banques à adopter des pratiques plus transparentes.
Aspect | Impact du Verdict |
---|---|
Responsabilité bancaire | Les banques doivent revoir leurs pratiques pour éviter de financer des régimes oppressifs. |
Justice civile | Nouveau précédent pour poursuivre les complices financiers de crimes internationaux. |
Impact global | Possible vague de procès similaires contre d’autres institutions financières. |
Le Contexte du Conflit au Darfour
Le conflit au Darfour, qui a éclaté en 2003, est l’un des plus meurtriers de l’histoire récente. Alimenté par des tensions ethniques et des luttes pour les ressources, il a opposé le gouvernement soudanais et ses milices alliées, les Janjawid, aux populations locales. Les violences ont entraîné des massacres, des viols systématiques et des déplacements massifs de populations.
Omar el-Béchir, qui a dirigé le Soudan de 1989 à 2019, est accusé par la Cour pénale internationale de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Destitué en 2019, il reste un symbole des exactions commises sous son régime. Ce procès new-yorkais, bien que civil, renforce l’idée que la justice peut rattraper non seulement les auteurs directs, mais aussi leurs soutiens financiers.
Vers une Nouvelle Ère de Responsabilité ?
Ce verdict pourrait redéfinir la manière dont les institutions financières opèrent dans des contextes politiquement sensibles. En mettant en lumière le rôle des banques dans les conflits, il incite à une réflexion plus large sur l’éthique dans le secteur financier. Les victimes, comme Entesar, Abulgasim et Turjuman, deviennent des symboles de cette lutte pour la justice.
Alors que la banque prévoit de faire appel, l’issue de cette affaire reste incertaine. Mais une chose est claire : ce jugement marque un pas vers une plus grande accountability des acteurs financiers. À l’avenir, les banques devront peut-être repenser leur rôle dans les crises mondiales, sous peine de sanctions judiciaires et d’une perte de confiance publique.
En résumé : Ce verdict new-yorkais est un signal fort envoyé au monde financier. Les institutions ne peuvent plus se cacher derrière des transactions légales pour ignorer les conséquences de leurs actions. Une nouvelle ère de responsabilité s’ouvre-t-elle ?