InternationalSociété

BNP Paribas Face à la Justice pour Complicité au Soudan

Un géant bancaire français accusé de complicité dans les atrocités au Soudan. Le verdict approche, mais que révèlera ce procès historique ?

Un procès retentissant secoue les couloirs de la justice new-yorkaise. Une grande banque française est accusée d’avoir joué un rôle dans les horreurs perpétrées sous le régime d’Omar el-Béchir au Soudan. Les récits des victimes, bouleversants, jettent une lumière crue sur les liens entre finance internationale et violations des droits humains. Comment une institution financière peut-elle être tenue responsable des exactions d’un régime autoritaire ? Ce dossier explore les enjeux d’une affaire complexe, où se croisent justice, responsabilité et mémoire collective.

Un Procès Historique à New York

Depuis le 9 septembre, un tribunal civil fédéral de New York examine une affaire hors norme. Trois plaignants soudanais, aujourd’hui citoyens américains, accusent une banque française d’avoir facilité les atrocités commises sous le régime d’Omar el-Béchir. Ce dernier, qui a dirigé le Soudan de 1989 à 2019, est poursuivi par la Cour pénale internationale pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les plaignants affirment que la banque, par ses services financiers, a permis au régime de financer ses milices, responsables de massacres et d’exactions.

Ce procès n’est pas qu’une affaire juridique. Il soulève des questions éthiques profondes : une banque peut-elle être tenue pour responsable des agissements d’un État client ? Les témoignages des victimes, déchirants, contrastent avec les arguments techniques des avocats de la défense. Plongeons dans les détails de cette affaire qui pourrait redéfinir les responsabilités des institutions financières.

Les Plaignants : des Vies Brisées

Les trois plaignants, deux hommes et une femme, portent les cicatrices d’un passé douloureux. Leurs récits, livrés devant le tribunal, sont un cri de douleur et de résilience. Une femme de 41 ans, Entesar Osman Kasher, a partagé la perte tragique de sa famille, massacrée sous ses yeux. Elle a décrit des mois d’emprisonnement, marqués par des violences physiques et sexuelles répétées. « Je n’ai plus de famille », a-t-elle déclaré, la voix brisée, devant les huit jurés.

« Je n’ai plus de famille. » – Entesar Osman Kasher, plaignante dans le procès.

Les deux autres plaignants, Abulgasim Suleman Adballa, un ancien agriculteur, et Turjuman Ramadan Turjuman, ex-juge et avocat des droits humains, ont également vu leurs vies détruites. Battus, torturés, dépossédés de leurs biens, ils incarnent les innombrables victimes du conflit au Darfour. Leurs témoignages ne laissent personne indifférent, mais suffiront-ils à établir la responsabilité de la banque ?

Le Rôle de la Banque : Facilitatrice ou Simple Intermédiaire ?

La banque, présente au Soudan de la fin des années 1990 à 2009, est accusée d’avoir fourni des lettres de crédit pour des contrats d’import-export. Ces transactions, principalement liées au commerce de pétrole et de produits agricoles, auraient permis au régime de Khartoum de générer des milliards de dollars en devises étrangères. Selon les plaignants, ces fonds ont directement financé l’armée soudanaise et les milices Janjawid, responsables d’atrocités au Darfour.

Pour la défense, l’argument est clair : il n’existe aucun lien direct entre les activités de la banque et les souffrances des plaignants. Les avocats soutiennent que les transactions étaient légales en Europe à l’époque et que le Soudan aurait trouvé d’autres moyens de vendre son pétrole, même sans l’intervention de la banque. Ils insistent également sur le fait que la banque n’a jamais prêté d’argent directement au gouvernement soudanais ni financé d’achats d’armes.

Les transactions incriminées portaient sur un volume total de six milliards de dollars de marchandises, selon les chiffres présentés au procès.

Un Contexte de Guerre et de Nettoyage Ethnique

Le conflit au Darfour, entre 2002 et 2008, a laissé des traces indélébiles. Selon les Nations unies, il a causé la mort de 300 000 personnes et le déplacement de 2,5 millions d’autres. Les milices Janjawid, soutenues par Khartoum, ont semé la terreur, détruisant villages, cultures et moyens de subsistance. Ce conflit, souvent qualifié de nettoyage ethnique, est au cœur des accusations portées contre la banque.

Les plaignants soutiennent que, sans les ressources financières générées par les activités commerciales facilitées par la banque, le régime n’aurait pas eu les moyens de mener une telle campagne de violence. Cependant, la défense rétorque que le Soudan, riche en pétrole, aurait de toute façon trouvé des acheteurs pour ses ressources, avec ou sans l’intermédiaire de la banque.

Une Défense Basée sur la Légalité

Les avocats de la banque ont minutieusement détaillé le contexte historique du Soudan, soulignant que les transactions étaient conformes aux lois européennes et suisses à l’époque. Ils ont également rappelé que des institutions internationales, comme le Fonds monétaire international, collaboraient avec le Soudan pendant cette période. Selon eux, la banque n’a fait qu’exécuter des opérations commerciales courantes, sans jamais enfreindre son propre code éthique, qui interdisait notamment le financement d’armes.

Un haut responsable de la banque, chargé des opérations liées aux matières premières et à l’exportation entre 2006 et 2010, a témoigné que les transactions portaient exclusivement sur des produits agricoles et pétroliers. « Nous n’avons jamais prêté d’argent au Soudan », a-t-il affirmé, insistant sur le rôle strictement intermédiaire de la banque.

« Il n’y a aucun rapport entre le comportement de la banque et ce qui est arrivé aux plaignants. » – Avocate de la défense lors du procès.

Un Procès sous Législation Suisse

Fait inhabituel, ce procès est jugé sous le prisme des lois suisses, car les activités incriminées étaient rattachées à une entité basée à Genève. Cette particularité a suscité des tensions diplomatiques. L’ambassadeur de Suisse aux États-Unis a exprimé ses préoccupations, estimant que l’affaire remet en question la souveraineté suisse. Selon lui, les transactions étaient parfaitement légales en Suisse à l’époque, et certaines interprétations du dossier contredisent la législation helvétique sur la responsabilité.

Cette dimension internationale ajoute une couche de complexité. Le procès ne se limite pas à une bataille juridique entre des individus et une banque : il soulève des questions sur la portée des lois nationales dans un monde globalisé. Comment juger des actes commis à des milliers de kilomètres, dans un contexte où les législations diffèrent ?

Les Enjeux d’une Condamnation

Si le jury conclut que la banque est responsable, les implications pourraient être considérables. Une condamnation établirait un précédent pour d’autres institutions financières opérant dans des zones de conflit. Elle enverrait un message clair : les banques ne peuvent plus se contenter d’être des intermédiaires neutres. Leur rôle dans la chaîne économique des régimes autoritaires pourrait les exposer à des poursuites.

Pour les plaignants, une victoire serait avant tout symbolique. Elle offrirait une reconnaissance officielle de leurs souffrances et une forme de justice, même tardive. Mais pour la banque, les conséquences financières et réputationnelles pourraient être lourdes, surtout après une amende de 6,6 milliards de dollars payée en 2014 pour des transactions avec des pays sous embargo américain, dont le Soudan.

Période Événement Impact
2002-2008 Conflit au Darfour 300 000 morts, 2,5 millions de déplacés
1990-2009 Activités de la banque au Soudan 6 milliards de dollars de transactions
2014 Amende pour violations d’embargo 6,6 milliards de dollars payés

Vers un Verdict Décisif

Les plaidoiries finales ont eu lieu récemment, et le jury délibère désormais. Les instructions du juge Alvin Hellerstein, qui préside l’affaire, seront déterminantes. Les plaignants ont dénoncé une banque qui, selon eux, a « alimenté et soutenu » un régime criminel. La défense, elle, insiste sur l’absence de lien direct et sur la légalité des opérations. Quel que soit le verdict, cette affaire marquera un tournant dans la manière dont les institutions financières sont perçues dans les conflits internationaux.

Ce procès ne ramènera pas les proches disparus ni n’effacera les traumatismes des victimes. Mais il pourrait offrir une forme de justice, tout en rappelant que les décisions économiques ont des conséquences humaines. Alors que le monde observe, une question demeure : jusqu’où s’étend la responsabilité des acteurs financiers dans les tragédies mondiales ?

Un verdict qui pourrait changer la donne pour les banques et les victimes de conflits. À suivre…

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.