Imaginez-vous en train de dormir tranquillement quand, soudain, une explosion déchire la nuit et transforme un lieu de soin en tombeau. C’est exactement ce qui s’est passé mercredi soir à Mrauk U, dans l’ouest de la Birmanie.
Une frappe aérienne qui laisse le pays sans voix
Vers 21 heures, un avion militaire a largué ses bombes sur l’hôpital général de cette ville historique de l’État Rakhine. Le bilan, encore provisoire, fait état d’au moins 31 morts et 68 blessés. Des chiffres qui risquent de s’alourdir dans les prochaines heures.
Sur place, l’image est apocalyptique : une aile entière de l’établissement réduite en poussière, un cratère béant au milieu de la cour, des lits recouverts de gravats. Une vingtaine de corps, enveloppés dans des couvertures, reposent à même le sol à l’extérieur, dans l’attente d’être identifiés.
« La situation est terrible »
Wai Hun Aung, travailleur humanitaire présent sur place
Le témoignage bouleversant d’un habitant
Maung Bu Chay, menuisier de 61 ans, a tout perdu en une fraction de seconde. Sa femme, sa belle-fille et le père de celle-ci se trouvaient dans le bâtiment au moment de l’impact.
« J’ai entendu l’explosion depuis mon village. J’ai passé toute la nuit sans savoir où les bombes étaient tombées. Quand j’ai appris qu’ils étaient dans le bâtiment complètement détruit, j’ai compris qu’ils n’avaient pas survécu. Je ressens une forte colère et de la défiance dans mon cœur. »
Maung Bu Chay
Son histoire n’est malheureusement pas isolée. Des familles entières pleurent leurs proches, fauchés alors qu’ils cherchaient simplement à se soigner.
L’État Rakhine, théâtre d’une guerre sans merci
L’hôpital de Mrauk U se trouve en pleine zone contrôlée par l’Armée d’Arakan (AA), l’un des groupes armés ethniques les plus puissants du pays. L’AA a d’ailleurs confirmé que dix patients avaient été « tués sur le coup » lors de la frappe.
Cet État côtier, coincé entre la baie du Bengale et les montagnes frontalières avec le Bangladesh, échappe presque totalement au contrôle de la junte depuis plusieurs années. L’armée tente pourtant, par tous les moyens, de reprendre la main avant les élections qu’elle organise à partir du 28 décembre.
Et tous les moyens incluent, visiblement, le bombardement indiscriminé de civils.
Une stratégie aérienne qui s’intensifie depuis 2021
Depuis le coup d’État militaire qui a renversé le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi en février 2021, l’armée birmane a fait des frappes aériennes son arme favorite. Des villages entiers, des écoles, des marchés, et maintenant des hôpitaux : plus rien ne semble à l’abri.
Les observateurs notent une intensification spectaculaire ces derniers mois. La junte, en difficulté face à une résistance coordonnée de multiples groupes rebelles, mise sur la terreur pour reprendre le terrain perdu.
Chronologie rapide depuis le coup d’État :
- Février 2021 – Coup d’État militaire
- 2021-2022 – Répression massive des manifestations pacifiques
- 2023 – Lancement de l’offensive conjointe « Alliance des trois frères »
- 2024-2025 – Multiplication des bombardements aériens sur zones rebelles
- Décembre 2025 – Élections controversées prévues
Des élections sous haute tension
La junte présente ces élections comme une « sortie de crise ». Dans les faits, la plupart des partis d’opposition sont dissous, Aung San Suu Kyi reste en prison, et les zones rebelles promettent de tout faire pour empêcher le scrutin.
L’Armée d’Arakan a été claire : aucun bureau de vote ne sera toléré sur le territoire qu’elle contrôle. La réponse de l’armée ? Des bombes.
Pendant ce temps, la communauté internationale condamne mollement, tandis que la Chine, voisine et principale alliée économique de la junte, appelle à « rétablir la stabilité sociale » par ces mêmes élections.
Un blocus qui affame la population
En parallèle des bombardements, l’armée a imposé un blocus quasi-total sur l’État Rakhine. Résultat : une explosion des cas de malnutrition, particulièrement chez les enfants.
Le Programme alimentaire mondial parle d’une « augmentation spectaculaire de la faim ». Les routes sont coupées, les convois humanitaires bloqués ou attaqués, les hôpitaux détruits. La population civile paie le prix fort d’un conflit dont elle n’est pas actrice.
Et lorsque enfin un établissement médical fonctionne encore, il devient une cible.
Vers une spirale sans fin ?
La destruction de l’hôpital de Mrauk U n’est pas un « dommage collatéral ». C’est une démonstration de force brutale à l’approche d’un scrutin que personne, hormis la junte et ses soutiens, ne reconnaît comme légitime.
Chaque bombe larguée renforce la détermination des groupes armés et éloigne un peu plus toute perspective de retour à la paix. Les civils, eux, continuent de compter leurs morts.
Dans la nuit de Mrauk U, sous les décombres encore fumants, une question hantait tous les survivants : jusqu’où ira cette guerre avant que le monde ne réagisse vraiment ?
Pour l’instant, la seule réponse qui résonne est celle des moteurs d’avions qui reviennent, nuit après nuit, semer la mort là où il devrait y avoir la vie.









