Imaginez-vous parcourir une avenue animée de Beyrouth, où les klaxons des voitures se mêlent aux échos des mélodies intemporelles de Ziad Rahbani. Cette image, autrefois impensable, est devenue réalité avec la décision récente de rebaptiser l’avenue Hafez al-Assad en hommage à cet icône culturelle libanaise. Ce choix, loin d’être anodin, résonne comme un tournant historique, un adieu symbolique à des décennies d’influence syrienne au Liban. Mais que signifie réellement ce changement de nom pour les Libanais, et pourquoi suscite-t-il autant d’émotions contradictoires ?
Un Symbole de Renouveau à Beyrouth
La décision de renommer l’avenue Hafez al-Assad, située dans le sud de Beyrouth et menant à l’aéroport international, a été annoncée par le gouvernement libanais en août 2025. Cette artère, autrefois nommée en l’honneur de l’ancien président syrien, porte désormais le nom de Ziad Rahbani, figure emblématique de la culture libanaise. Fils de la légendaire chanteuse Fairouz, Rahbani a marqué des générations par ses compositions musicales, ses pièces de théâtre et son humour mordant, ancrés dans l’âme du Liban.
Ce changement intervient dans un contexte politique et social bouleversé. La chute de Bachar al-Assad, fils de Hafez, en décembre 2024, a ébranlé les équilibres régionaux, affaiblissant notamment le Hezbollah, allié historique de la Syrie. En choisissant de remplacer le nom d’un leader controversé par celui d’un artiste unificateur, le Liban semble vouloir tourner une page sombre de son histoire.
Pourquoi Hafez al-Assad Divise-t-il Encore ?
De 1976 à 2005, la Syrie, sous la présidence de Hafez al-Assad, a exercé une influence dominante sur le Liban. Cette période, marquée par une présence militaire et politique, reste associée à des souvenirs douloureux pour beaucoup de Libanais. Assassinats politiques, répression et ingérence dans les affaires internes du pays ont laissé des cicatrices profondes.
“Hafez al-Assad est associé à des périodes sombres de l’histoire libanaise, marquées par des massacres, des exactions et des assassinats,”
Ziad Itani, dramaturge et acteur libanais
Pour beaucoup, voir le nom de Hafez al-Assad orner une avenue majeure de Beyrouth était un rappel constant de cette époque. Le changement de nom est perçu comme une libération symbolique, un moyen de reléguer cette période aux “oubliettes de l’histoire”, comme l’a exprimé le député Mark Daou sur les réseaux sociaux.
Ziad Rahbani : Une Icône Unificatrice
Ziad Rahbani, décédé en juillet 2025, est bien plus qu’un artiste. Ses œuvres, mêlant jazz, théâtre et satire sociale, capturent l’essence de la société libanaise, ses luttes et ses espoirs. Ses chansons, souvent interprétées par sa mère Fairouz, et ses pièces comme Shi Feshil ou Bennesbeh Labokra Chou? sont devenues des références culturelles. Rahbani incarnait une forme d’unité nationale, transcendant les clivages sectaires et politiques.
En lui dédiant une avenue aussi stratégique, le gouvernement libanais envoie un message clair : la culture peut guérir les blessures du passé. Pour les habitants comme Hassan Roumani, qui emprunte quotidiennement cette route, ce changement est un soulagement psychologique :
“À chaque fois que je passais par l’autoroute Assad, j’avais l’impression que Hafez al-Assad et l’armée syrienne étaient encore présents au Liban. Là, je me sens soulagé : cette période est révolue.”
Hassan Roumani, résident de Beyrouth
Un Contexte Politique Explosif
Le renommage de l’avenue s’inscrit dans un moment de bouleversements majeurs au Liban. La chute du régime Assad en Syrie a affaibli le Hezbollah, qui traverse une période de fragilité après une guerre coûteuse avec Israël. Parallèlement, le gouvernement libanais a chargé l’armée de mettre en œuvre un plan audacieux visant à désarmer le Hezbollah d’ici fin 2025, une mesure sans précédent.
Ce plan, combiné au changement de nom de l’avenue, reflète une volonté de redéfinir l’identité politique du Liban. Cependant, ces décisions ne font pas l’unanimité. Certains, notamment les sympathisants du Hezbollah, y voient une provocation. L’analyste Fayçal Abdel Sater a qualifié ce renommage de “totalement inacceptable”, dénonçant une décision motivée par des intentions politiques.
Le renommage de l’avenue Rahbani n’est pas seulement un changement de plaque. C’est un acte symbolique qui reflète les luttes de pouvoir actuelles et les aspirations d’un peuple en quête de renouveau.
Une Décision Qui Divise
Si Ziad Rahbani est largement célébré, le choix de son nom pour remplacer celui de Hafez al-Assad a suscité des réactions mitigées. Dans le sud de Beyrouth, bastion du Hezbollah, certains habitants perçoivent cette décision comme une attaque directe contre leur identité politique. Le Hezbollah, bien que fragilisé, reste une force influente, et ce changement de nom pourrait exacerber les tensions communautaires.
Pour d’autres, cette initiative est une célébration de la résilience libanaise. Elle marque une volonté de se réapproprier l’espace public et de valoriser des figures qui unissent plutôt que de diviser. Le contraste entre Hafez al-Assad, symbole d’un passé autoritaire, et Ziad Rahbani, emblème de la créativité, est frappant.
Un Héritage Culturel Contre un Passé Politique
Le choix de Ziad Rahbani n’est pas anodin. Ses œuvres, souvent critiques des élites et des divisions sectaires, ont donné une voix aux frustrations des Libanais tout en célébrant leur identité. En dédiant une avenue à son nom, le Liban met en avant un héritage culturel qui transcende les conflits politiques.
Voici quelques raisons pour lesquelles Ziad Rahbani est une figure si emblématique :
- Musique intemporelle : Ses compositions, comme celles interprétées par Fairouz, sont ancrées dans la mémoire collective.
- Théâtre engagé : Ses pièces abordent des thèmes sociaux et politiques avec une ironie mordante.
- Unité nationale : Rahbani a su parler à toutes les communautés, transcendant les divisions religieuses.
En comparaison, le nom de Hafez al-Assad évoque des souvenirs de contrôle et de conflits. Le remplacement de son nom par celui de Rahbani est perçu comme un acte de réappropriation culturelle, une manière de redonner à Beyrouth une identité libanaise authentique.
Vers un Nouveau Chapitre pour le Liban ?
Le renommage de l’avenue Ziad Rahbani n’est qu’une étape dans un processus plus large de transformation au Liban. Avec le désarmement prévu du Hezbollah et la fin de l’influence syrienne, le pays se trouve à un carrefour historique. Mais ce chemin vers le renouveau est semé d’embûches. Les tensions communautaires, les défis économiques et les incertitudes politiques restent des obstacles majeurs.
Pourtant, pour beaucoup de Libanais, ce changement de nom est un signe d’espoir. Il symbolise une volonté de se tourner vers l’avenir, en s’appuyant sur la richesse culturelle du pays plutôt que sur les stigmates du passé. Comme l’a exprimé un habitant de Beyrouth, “cette avenue porte désormais le nom d’un homme qui nous a fait rire, rêver et réfléchir. C’est un pas vers la guérison.”
Ancien Nom | Nouveau Nom | Signification |
---|---|---|
Avenue Hafez al-Assad | Avenue Ziad Rahbani | Passage d’un symbole d’oppression à une célébration de la culture libanaise |
En conclusion, le renommage de l’avenue Ziad Rahbani à Beyrouth est bien plus qu’un simple changement administratif. C’est un acte chargé de symbolisme, reflétant les aspirations d’un peuple à se libérer des chaînes du passé tout en célébrant son identité culturelle. Si les divisions persistent, cette décision marque un pas vers un Liban plus uni, où la culture pourrait devenir un pont vers la réconciliation. Reste à savoir si ce geste audacieux ouvrira la voie à une véritable transformation ou s’il ne sera qu’un symbole éphémère dans une région en proie à l’instabilité.