Imaginez une petite ville de pêcheurs, nichée sur la côte méditerranéenne, transformée en quelques décennies en une métropole de gratte-ciel accueillant des millions de visiteurs. Benidorm, en Espagne, incarne cette métamorphose audacieuse. De ses débuts modestes sous le régime de Franco à son statut de pionnière du tourisme de masse, cette ville ne laisse personne indifférent. Entre plages bondées, bars animés et une skyline digne de New York, Benidorm assume fièrement son identité unique, défiant les critiques avec une énergie contagieuse.
Benidorm : Une Révolution Touristique Sous Franco
Dans les années 1950, Benidorm n’était qu’un modeste village de 3 000 âmes, vivant de la pêche et de petites maisons blanches. Aujourd’hui, elle peut accueillir jusqu’à 400 000 personnes en haute saison, un exploit rendu possible par une vision audacieuse et des choix urbanistiques radicaux. Cette transformation n’a pas été un hasard : elle est le fruit d’une ambition politique et économique, portée par des figures locales et soutenue par un contexte historique particulier.
Les Origines d’un Pari Audacieux
L’histoire de Benidorm comme destination touristique commence avec Pedro Zaragoza Orts, maire de la ville de 1950 à 1966. Convaincu que le tourisme pouvait transformer l’économie locale, il a vu dans les visiteurs étrangers une opportunité de prospérité. À une époque où l’Espagne franquiste était isolée sur la scène internationale, les devises étrangères apportées par les touristes représentaient une aubaine. Zaragoza a su capitaliser sur le soleil, les plages et une certaine idée du bonheur pour attirer les foules.
Benidorm n’a pas d’usines de voitures ou de savons. Ce que nous avons, c’est une fabrique d’hôtels et de loisirs.
Ángela Barceló, propriétaire de l’hôtel Les Dunes
Cette vision n’a pas été sans obstacles. L’arrivée des premiers touristes, notamment des femmes en bikini, a provoqué un tollé dans une société espagnole encore très conservatrice. L’évêque d’Alicante s’est opposé au maire, menaçant même d’excommunication. Pourtant, Zaragoza a obtenu un soutien inattendu : le dictateur Franco lui-même, qui a envoyé sa femme et sa fille passer leurs vacances à Benidorm, légitimant ainsi la ville comme destination touristique.
Le Rôle Clé des Femmes dans la Métamorphose
Si Pedro Zaragoza a été le visionnaire, les femmes de Benidorm ont été les véritables architectes de cette révolution. Dans les années 1950, alors que les hommes étaient souvent absents, travaillant dans la marine marchande ou à la pêche, ce sont elles qui ont pris les rênes. Elles ont ouvert des hôtels, des restaurants et des établissements de loisirs, posant les fondations de l’industrie touristique locale.
Un exemple emblématique est celui de l’hôtel Les Dunes, fondé en 1957 par la grand-mère d’Ángela Barceló. À l’époque, une femme ne pouvait pas ouvrir de compte bancaire sans l’autorisation de son mari, mais cela n’a pas empêché ces pionnières de bâtir un empire touristique. De trois étages à ses débuts, l’hôtel en compte aujourd’hui 25, symbole de l’essor fulgurant de la ville.
Fait marquant : Les femmes de Benidorm ont non seulement lancé l’industrie touristique, mais elles ont aussi défié les normes sociales d’une Espagne traditionaliste, prouvant que l’audace et l’entrepreneuriat n’ont pas de genre.
Une Croissance Verticale Controversée
Benidorm est aujourd’hui reconnaissable à sa skyline impressionnante, avec une centaine de gratte-ciel dominant la côte. Cette croissance verticale a permis à la ville de concentrer un grand nombre de visiteurs sur seulement sept kilomètres de plages. Si cette densité urbaine a longtemps été critiquée, elle est aujourd’hui vantée comme un modèle de développement durable.
Vicente Mayor, ingénieur en chef adjoint de la mairie, explique que cette concentration permet une gestion efficace des ressources. Par exemple, la collecte des déchets est réalisée en quelques heures, et l’usage de la voiture est presque superflu grâce à la proximité des infrastructures. Comparée aux villes à l’urbanisme dispersé, Benidorm minimise les pertes dans ses réseaux de distribution d’eau.
| Avantages de l’urbanisme vertical | Impact |
|---|---|
| Concentration urbaine | Réduit les déplacements en voiture |
| Gestion des déchets | Collecte rapide et efficace |
| Réseaux d’eau | Moins de pertes par rapport aux villes étendues |
Un Melting-Pot Culturel et Social
Benidorm n’est pas seulement une destination touristique ; c’est aussi un lieu où les cultures et les modes de vie se rencontrent. Dès les années 1960, la ville est devenue un refuge pour la communauté homosexuelle, qui y a ouvert ses premiers bars dans une Espagne encore très répressive. Cette ouverture, rare pour l’époque, a contribué à façonner l’identité cosmopolite de la ville.
Le maire Zaragoza a également su promouvoir Benidorm à travers des initiatives originales, comme le Festival de la chanson, qui a révélé des talents comme Julio Iglesias. Ces événements ont attiré une clientèle variée, des familles aux jeunes fêtards, en passant par les retraités britanniques en quête de soleil.
Il y a quelque chose pour tout le monde. Des bars animés, des tapas dans la vieille ville, et une ambiance unique.
Stuart Reed, touriste britannique
Un Modèle Touristique Toujours Vivant
En 2024, l’Espagne a accueilli environ 94 millions de touristes, faisant d’elle la deuxième destination mondiale derrière la France. Benidorm, avec ses 2,8 millions de visiteurs, reste un acteur majeur de cette industrie. Pourtant, la ville continue de diviser. Pour certains, ses gratte-ciel et son tourisme de masse sont une aberration. Pour d’autres, comme Maribel Soler, une touriste française, Benidorm est mal comprise.
“Quand je dis que je vais à Benidorm, on me répond : ‘Quelle ville horrible !’”, confie-t-elle. “Mais c’est parce qu’ils ne la connaissent pas. J’aime New York, et j’aime aussi Benidorm.” Cette comparaison avec New York illustre une réalité : Benidorm, avec son urbanisme audacieux, est bien plus qu’une simple station balnéaire.
Benidorm Face à l’Avenir
Alors que le tourisme de masse est de plus en plus critiqué pour ses impacts environnementaux, Benidorm se positionne comme une réponse possible à ces défis. Sa densité urbaine, souvent décriée, est aujourd’hui vue comme une solution pour limiter l’étalement urbain et préserver les espaces naturels. La ville continue d’innover, cherchant à concilier croissance touristique et responsabilité écologique.
Benidorm, c’est aussi une leçon d’adaptabilité. D’un village de pêcheurs à une métropole touristique, elle a su tirer parti de ses atouts pour devenir une destination incontournable. Son histoire, portée par des visionnaires comme Pedro Zaragoza et des entrepreneuses comme la grand-mère d’Ángela Barceló, est un témoignage de résilience et d’audace.
Benidorm, une ville qui divise mais ne laisse jamais indifférent. Et si son modèle était l’avenir du tourisme ?
En conclusion, Benidorm n’est pas seulement une destination de vacances. C’est une ville qui a su transformer les contraintes d’une époque en opportunités, défiant les conventions pour devenir un symbole du tourisme mondial. Entre ses gratte-ciel, ses plages et son histoire riche, elle continue de fasciner et d’attirer ceux qui osent la découvrir.
