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Bangladesh : Exhumation d’une Fosse Commune de 114 Victimes

À Dacca, une fosse commune contenant peut-être 114 corps de manifestants tués en 2024 commence à livrer ses secrets. Des familles attendent depuis plus d’un an. Que vont révéler les ossements ? L’opération vient de débuter…

Imaginez attendre plus d’un an avant de savoir si les restes de votre frère, de votre fils ou de votre ami reposent dans une fosse commune anonyme. À Dacca, ce cauchemar devient réalité pour des dizaines de familles bangladaises qui, depuis dimanche, suivent avec angoisse les premières pelletées de terre dans le cimetière de Rayerbazar.

Une exhumation historique sous supervision internationale

La police bangladaise a lancé une opération d’envergure pour retrouver et identifier les corps d’au moins 114 personnes tuées lors du soulèvement populaire de juillet-août 2024. Ce mouvement massif avait conduit à la chute du gouvernement autoritaire dirigé pendant quinze ans par Sheikh Hasina.

L’opération bénéficie du soutien direct du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme et de l’expertise reconnue mondialement de l’anthropologue médico-légal argentin Luis Fondebrider. Ce spécialiste dirige depuis près de quarante ans des missions similaires dans les zones les plus douloureuses de la planète.

Un cimetière devenu lieu de mémoire brute

Le cimetière de Rayerbazar, dans la capitale, abrite depuis l’été 2024 une fosse commune creusée à la hâte. L’association caritative Anjuman Mufidul Islam y avait inhumé 80 corps non réclamés en juillet, puis 34 supplémentaires en août. Aucun nom, aucune cérémonie : juste des numéros et la terre.

Ces dépouilles proviennent toutes des semaines les plus sanglantes de la contestation. Des jeunes, pour la plupart, abattus alors qu’ils réclamaient plus de justice sociale et la fin d’un régime accusé de corruption et de répression.

« Nous l’avons cherché partout »

Mohammed Nabil, à la recherche de son frère Sohel Rana, 28 ans, disparu en juillet 2024

Comme Mohammed Nabil, des centaines de proches errent encore entre espoir et deuil impossible. L’absence de corps empêche la closure, le rituel funéraire, la simple possibilité de pleurer sur une tombe.

Un processus scientifique long et délicat

Les autorités estiment que la fosse contient exactement 114 corps, mais le chiffre définitif ne sera connu qu’à la fin des travaux. Chaque dépouille sera exhumée avec précaution, photographiée, numérotée, puis transférée vers des laboratoires pour autopsie et tests ADN.

Le temps joue contre les experts. Plus d’une année sous terre dans le climat tropical humide du Bangladesh a détruit les tissus mous. Seuls les os gardent encore, peut-être, assez d’ADN pour parler.

« Travailler sur les ossements prendra beaucoup plus de temps », a prévenu Abu Taleb, haut responsable de la police. Plusieurs semaines, voire plusieurs mois, seront nécessaires avant de pouvoir rendre un nom à chaque squelette.

Luis Fondebrider, l’homme des fosses du monde entier

À la tête de l’équipe, Luis Fondebrider apporte une expérience unique. Fondateur en 1984 de l’Équipe argentine d’anthropologie médico-légale, il a participé à l’identification de milliers de disparus de la dictature militaire (1976-1983). Bosnie, Rwanda, Guatemala, Colombie… son CV ressemble à une carte des grandes tragédies contemporaines.

Devant les journalistes massés à l’entrée du cimetière, l’Argentin a insisté : « Le processus est complexe et unique. Nous garantirons que les normes internationales seront respectées. » Une phrase lourde de sens quand on connaît les accusations de manipulation passées sous l’ancien régime.

Des massacres qui ont fait basculer le pays

Retour en arrière. Juillet 2024. Ce qui avait commencé comme une protestation étudiante contre un système de quotas jugé injuste dans la fonction publique dégénère rapidement. Le gouvernement répond par une répression d’une violence extrême : tirs à balles réelles, arrestations massives, coupures d’internet.

En quelques semaines, le bilan officiel grimpe à plusieurs centaines de morts. L’ONU, elle, avance le chiffre terrifiant de 1 400 victimes. Des chiffres qui ont contribué à faire tomber Sheikh Hasina, contrainte à l’exil en Inde où elle réside toujours.

Le mois dernier, un tribunal bangladais l’a condamnée à la peine de mort par contumace pour crimes contre l’humanité. Une sentence symbolique tant qu’elle reste hors du pays, mais qui marque la volonté du nouveau pouvoir de tourner la page.

Pourquoi cette exhumation est plus qu’un travail technique

Au-delà des analyses scientifiques, l’opération de Rayerbazar porte une charge politique et émotionnelle immense. Rendre un nom à chaque victime, c’est reconnaître officiellement leur existence et leur sacrifice. C’est aussi documenter, preuve par preuve, l’ampleur de la répression.

Dans de nombreux pays sortant de période autoritaire – Argentine, Chili, Afrique du Sud –, l’identification des victimes a été le premier pas vers la réconciliation nationale. Le Bangladesh semble aujourd’hui emprunter le même chemin.

Les étapes clés de l’opération

  • Repérage précis de la fosse grâce aux registres de l’association caritative
  • Exhumation corps par corps sous contrôle judiciaire et international
  • Documentation photographique et relevés anthropologiques
  • Transfert vers laboratoires pour extraction ADN sur os et dents
  • Comparaison avec les profils génétiques fournis par les familles
  • Remise officielle des restes identifiés aux proches

Et après ?

L’exhumation de Rayerbazar n’est qu’un début. D’autres sites suspectés existent à travers le pays. Des enquêtes judiciaires internationales pourraient suivre. Et surtout, des milliers de familles continuent d’attendre des réponses.

Chaque pelletée de terre soulève la poussière du passé, mais aussi l’espoir ténu que la vérité, enfin, éclaire les vivants. Dans le silence lourd du cimetière de Dacca, on n’entend plus que le bruit discret des pelles et, parfois, les sanglots étouffés de ceux qui espèrent reconnaître un jour le visage aimé sous un numéro de corps.

Car au fond, derrière les protocoles scientifiques et les rapports d’experts, il y a toujours cette question simple et déchirante : où est mon enfant ?

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