Le monde a les yeux rivés sur la Syrie. Après 24 ans d’un règne sans partage, le président Bachar el-Assad a été contraint de fuir le pays ce dimanche face à l’avancée fulgurante des rebelles. Un séisme politique dont les ondes de choc se propagent bien au-delà des frontières syriennes, en particulier sur les marchés pétroliers mondiaux.
Les cours du brut s’enflamment
Dès l’annonce de la chute du régime, les prix du pétrole se sont envolés. Le baril de Brent de la mer du Nord, référence européenne, a bondi de plus de 1% pour atteindre 71,84 dollars. Son homologue américain, le WTI, a quant à lui grimpé de 1,19%, à 68 dollars. Une réaction à la hauteur de l’enjeu géopolitique que représente la Syrie.
Tous les regards sont braqués sur la Syrie. Les marchés tentent d’évaluer ce qu’un changement de régime pourrait signifier.
– John Evans, analyste chez PVM
L’avenir incertain de l’or noir syrien
Même si la Syrie n’est pas un acteur majeur du marché pétrolier, sa position stratégique et ses alliances inquiètent les investisseurs. Le pays produit environ 380 000 barils par jour, une goutte d’eau à l’échelle mondiale. Mais ses réserves prouvées avoisineraient les 2,5 milliards de barils selon certaines estimations. De quoi attiser les convoitises dans un contexte de transition énergétique.
Jusqu’ici, l’exploitation des ressources syriennes était largement contrôlée par le régime via des compagnies nationales, avec le soutien de firmes russes et iraniennes. Le renversement de Bachar el-Assad rebat les cartes et ouvre une période d’incertitude. Qui va contrôler les champs pétroliers ? Quelle sera la politique énergétique des nouvelles autorités ? Le brut syrien va-t-il inonder le marché ou rester sous terre ?
Le grand jeu des puissances régionales
Au-delà de ces questions, c’est tout l’équilibre géopolitique régional qui est chamboulé. Allié historique de Damas, Moscou voit sa position fragilisée par la chute d’el-Assad. Un coup dur pour Vladimir Poutine qui misait sur la Syrie pour renforcer son influence au Moyen-Orient et sécuriser les débouchés de son industrie pétrolière. La Russie, deuxième producteur mondial, craint qu’un changement de régime ne remette en cause les contrats passés avec les compagnies russes.
L’Iran, autre soutien de poids du régime syrien, fait face aux mêmes défis. Téhéran, quatrième réservoir de pétrole de la planète, utilisait la Syrie comme un hub pour exporter son brut malgré les sanctions américaines. Une route désormais menacée par le chaos syrien.
La position de l’Iran et de la Russie dans la région est considérablement affaiblie. Cela explique la nervosité des marchés pétroliers.
– Bjarne Schieldrop, analyste chez SEB
Les pays du Golfe en embuscade
A l’inverse, la chute d’el-Assad pourrait profiter à certains pays producteurs du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, qui voyaient d’un mauvais œil l’alliance entre Damas, Téhéran et Moscou. Riyad et Abou Dhabi espèrent récupérer des parts de marché en Syrie et imposer leur agenda énergétique dans la région.
Des sources proches du dossier évoquent déjà des discussions en coulisses entre les rebelles syriens et des émissaires des monarchies du Golfe. L’objectif: préparer l’après-Assad et poser les jalons d’une nouvelle coopération pétrolière. Reste à savoir si ces manœuvres pourront se concrétiser sur un terrain syrien toujours très instable et fragmenté.
Vers un nouveau choc pétrolier ?
Pour l’heure, la prudence reste de mise sur les marchés. Si la Syrie venait à sombrer dans le chaos, à l’image de la Libye post-Kadhafi, le spectre d’une flambée incontrôlée des cours n’est pas à exclure. Un scénario cauchemardesque pour des économies mondiales déjà malmenées par l’inflation et les récessions qui se profilent.
Dans ce contexte, tous les regards sont désormais tournés vers les prochaines décisions de l’OPEP+, qui regroupe les principaux pays exportateurs. En début de semaine, le cartel a confirmé son intention de stabiliser les prix en poursuivant ses réductions de production. Un pari risqué alors que la demande, soutenue par la réouverture de la Chine, menace de s’emballer.
La chute de Bachar el-Assad ouvre une nouvelle page incertaine et potentiellement explosive pour le secteur pétrolier et l’économie mondiale. Dans les prochaines semaines, l’évolution de la situation sur le terrain syrien et les réactions des grandes puissances seront déterminantes. Une chose est sûre : le Moyen-Orient reste plus que jamais le poumon énergétique de la planète, avec son lot de soubresauts et de défis géopolitiques.