Imaginez un matin glacé de décembre. Le givre craque sous les bottes, le souffle forme des nuages blancs, et un homme accroupi taille ses pieds de vigne avec la même minutie qu’il mettait autrefois à ajuster sa position sur le vélo. Cet homme, c’est Axel Domont. Hier équipier discret de Romain Bardet sur le Tour de France, aujourd’hui vigneron passionné qui refuse catégoriquement la chimie dans ses trois hectares savoyards.
Quand le corps dit stop, la terre appelle
Huit fractures de la clavicule, un traumatisme crânien, une oreille interne abîmée, un bassin cassé… Le palmarès médical d’Axel Domont ressemble à un rapport de guerre. À 34 ans, après une dernière chute lourde sur une course australienne en 2020, il comprend que le peloton ne veut plus de lui – ou plutôt que lui ne veut plus du peloton.
Pendant ses six semaines d’immobilisation à l’hôpital en 2019, il passe le temps autrement : il s’inscrit à des cours de viticulture par correspondance. Le déclic. Le vin, qui était déjà sa « récréation » avec son ancien coéquipier Clément Chevrier (devenu sommelier), devient soudain l’avenir possible.
« J’avais trop tiré sur la corde, il était temps de sauter le pas. »
Une philosophie intacte : refus de la « chimie »
Ce qui frappe chez Axel Domont, c’est la continuité. La même éthique qui l’avait tenu éloigné du dopage dans le cyclisme professionnel, il l’applique aujourd’hui à la vigne.
Zéro glyphosate, zéro fongicide de synthèse, zéro levure exogène, zéro chaptalisation, filtration minimale et sulfites réduits au strict minimum. Il nourrit ses sols au fumier et au compost, bichonne chaque cep comme il bichonnait autrefois ses jambes avant une étape de montagne.
« Je ne vais pas bousiller mon raisin avec de la chimie », lâche-t-il en taillant une mondeuse. « On peut faire un vin excellent sans ça. »
Les cépages qu’il a choisis de défendre :
- Mondeuse noire – le pinot noir savoyard, tannique et poivré
- Jacquère – la star des Apremont, fraîche et minérale
- Altesse (ou roussette) – noble et rare, capable de très grands blancs
Des cuvées qui portent la trace du vélo
Difficile de complètement couper le cordon. Deux de ses cuvées rendent hommage à son ancienne vie :
Flamme Rouge – pour le dernier kilomètre, celui où tout se joue.
Kilomètre 0 – là où tout commence, le départ réel après le défilé.
Le reste du temps, il ne regarde presque plus les courses. Son nouveau peloton, c’est les saisons, les gelées printanières, les orages de grêle, les vendanges sous la pluie. Un rythme plus lent, mais tout aussi impitoyable.
Un succès commercial… sans salaire
Entre 13 000 et 20 000 bouteilles par an, 70 % partent à l’export – surtout Japon et États-Unis. Certaines tables étoilées françaises se battent pour avoir quelques cartons. Pourtant, depuis 2020, Axel Domont ne se verse toujours aucun salaire.
Il vit sur ses économies de coureur (9 000 € nets mensuels en fin de carrière) et réinvestit tout dans le domaine. Un choix assumé : il préfère attendre que la machine tourne plutôt que de faire des compromis sur la qualité.
« L’important est que le vin me fasse vibrer. Le reste viendra. »
Le vin nature, une forme de rédemption
Dans le milieu du vin nature, on connaît l’histoire d’Axel. Beaucoup y voient une forme de rédemption collective : un ancien pro qui refuse la performance dopée, puis refuse la viticulture dopée. Il incarne la possibilité d’une autre voie, plus lente, plus respectueuse du vivant.
Et quand on lui parle du « milieu bling-bling » qu’est devenu le cyclisme professionnel, il hausse les épaules. Il n’a plus rien à prouver là-bas. Sa nouvelle victoire d’étape, c’est quand un client japonais lui écrit que sa mondeuse 2024 est la plus belle qu’il ait jamais bue.
Un avenir déjà tracé dans les jarres
La cuvée 2025, encore en cours d’élevage dans les jarres en grès et les vieilles barriques, fait déjà parler les amateurs. Ceux qui ont goûté les premiers échantillons parlent d’un millésime « historique » pour la Savoie.
Quant à Axel, il continue de se lever à l’aube, de marcher entre ses rangs de vigne, de parler à ses ceps comme on parle à de vieux compagnons. Le vélo est toujours là, accroché dans la grange, couvert de poussière. Peut-être ressortira-t-il un jour, pour le plaisir.
Mais pour l’instant, il a trouvé mieux qu’une seconde carrière : il a trouvé une seconde vie.
Un homme qui a roulé à 45 km/h dans les descentes du Tour de France
marcherait aujourd’hui à 3 km/h entre ses vignes.
Et il n’a jamais été aussi heureux.
Dans un monde où tout va toujours plus vite, plus fort, plus chimique, l’histoire d’Axel Domont fait figure d’antidote. Preuve qu’on peut quitter les projecteurs sans éteindre la lumière intérieure. Preuve, surtout, qu’un raisin bien vivant vaut tous les podiums du monde.









