L’affaire Sihem Bensedrine continue de susciter l’indignation en Tunisie et au-delà des frontières. Cette figure emblématique de l’opposition, ancienne présidente de l’Instance Vérité et Dignité (IVD), est en détention depuis août dernier. Ses avocats viennent de lancer un appel à la justice pour exiger sa libération immédiate, dénonçant une affaire montée de toutes pièces à des fins politiques.
Une opposante dans le collimateur de la justice
Sihem Bensedrine fait l’objet de pas moins de sept affaires, dont des accusations de « corruption financière » et de « falsification » du rapport final de l’IVD publié en 2020. Créée dans la foulée de la Révolution de 2011, cette instance avait pour mission de faire la lumière sur les violations des droits humains commises par l’État tunisien entre 1955 et 2013.
Mais pour le comité de défense de Mme Bensedrine, il ne fait aucun doute que ces poursuites sont motivées par ses prises de position critiques envers le pouvoir en place. « Il s’agit d’une affaire montée de toutes pièces pour des raisons politiques », a martelé Me Abderraouf Ayadi, l’un de ses avocats, lors d’une conférence de presse.
Une magistrature « aux ordres »
Les avocats de l’opposante dénoncent une justice partiale et instrumentalisée. « La magistrature aujourd’hui en Tunisie est aux ordres », a asséné Me Ayadi, pointant du doigt les pressions exercées sur les juges. Malgré plusieurs demandes de libération déposées depuis septembre, « jusqu’à ce jour nous n’avons reçu aucune réponse », a-t-il déploré.
Le comité de défense réclame donc « l’annulation de toutes les représailles judiciaires qui ciblent Mme Bensedrine, et ce en violation des garanties légales assurant l’immunité des membres de l’IVD dans l’exercice de leur mission ». Une immunité qui devait protéger les commissaires contre d’éventuelles poursuites liées à leur travail d’établissement de la vérité sur les exactions commises par le passé.
Des accusations « infondées »
Parmi les griefs retenus contre Sihem Bensedrine, figure celui d’avoir perçu un pot-de-vin pour ajouter au rapport de l’IVD un paragraphe accusant la Banque Franco-Tunisienne (BFT) de corruption. Des accusations « totalement infondées » selon ses avocats, qui y voient une tentative de discréditer le travail de l’instance et de faire taire une voix critique.
Car avant de présider l’IVD, Mme Bensedrine était déjà une figure connue de la société civile tunisienne. Journaliste et militante des droits humains, elle avait elle-même subi des exactions sous l’ancien régime. Son combat pour la vérité et la justice lui vaut aujourd’hui d’être dans le viseur du pouvoir.
L’inquiétude de la communauté internationale
L’affaire Bensedrine suscite des remous bien au-delà de la Tunisie. En août dernier, des experts indépendants des droits de l’Homme mandatés par l’ONU avaient appelé les autorités tunisiennes à garantir « un procès équitable » à l’opposante, s’inquiétant que son arrestation puisse « s’apparenter à un harcèlement judiciaire ».
« L’arrestation de Mme Bensedrine soulève de sérieuses inquiétudes quant au respect du droit à la liberté d’opinion et d’expression en Tunisie et a un effet dissuasif sur les journalistes, les défenseurs des droits humains et la société civile en général. »
Experts de l’ONU
Un avertissement qui fait écho aux préoccupations exprimées par de nombreuses ONG quant à la dérive autoritaire du régime tunisien depuis l’arrivée au pouvoir du président Kaïs Saïed en 2019. Le chef de l’État, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021, est accusé de museler toute voix discordante et de remettre en cause les acquis démocratiques de la révolution.
Dans ce contexte, le sort de Sihem Bensedrine apparaît comme un test pour la justice tunisienne et plus largement pour l’état de droit dans le pays. Ses soutiens espèrent que la mobilisation nationale et internationale finira par payer et que l’opposante retrouvera bientôt la liberté. Mais au-delà de son cas personnel, c’est bien l’avenir des libertés en Tunisie qui est en jeu.