Culture

Au Festival Lumière, le cinéma classique sous le prisme de #MeToo

Le Festival Lumière a été le théâtre de vifs débats sur le devenir des œuvres cinématographiques problématiques à l'aune des bouleversements sociétaux post-#MeToo. Entre volonté de contextualisation et tentation de censure, la place du cinéma classique est plus que jamais questionnée...

Au cœur de la ville des frères Lumière, berceau du cinématographe, le Festival Lumière fête cette année ses 15 ans. Mais en coulisses des tapis rouges et des rétrospectives, un sujet brûlant agite les professionnels réunis : comment appréhender le cinéma classique à l’aune des bouleversements sociétaux initiés par le mouvement #MeToo ?

Le patrimoine cinématographique face aux nouveaux paradigmes

Dans le cadre du Marché international du film classique, rendez-vous incontournable du secteur, une table ronde au titre évocateur a fait salle comble : “Comment faire vivre le cinéma classique à l’aune des changements de paradigmes sociétaux ?”. Preuve s’il en fallait que la question préoccupe au plus haut point l’industrie du 7ème art.

Car depuis l’avènement de #MeToo et la libération de la parole des victimes de violences sexuelles, c’est tout un pan du cinéma, de ses icônes et de son héritage artistique qui vacille. Des cinéastes tels que Roman Polanski ou Woody Allen, des acteurs comme Gérard Depardieu, se retrouvent persona non grata, leurs filmographies entachées par les accusations dont ils font l’objet.

Entre contextualisation et censure

Face à ces œuvres et ces artistes devenus problématiques, deux écoles s’affrontent. D’un côté, les partisans d’une contextualisation, qui estiment nécessaire de resituer ces films dans leur époque et d’expliquer sans complaisance le parcours sulfureux de leurs auteurs. De l’autre, ceux qui prônent une forme de censure et d’effacement, refusant de mettre en lumière des personnalités accusées de violences sexuelles.

Il faut arrêter de dire qu’on peut dissocier l’homme de l’artiste. Les films de Polanski transpirent la misogynie et la culture du viol.

D’après une intervenante lors de la table ronde

Faut-il pour autant renoncer à diffuser les chefs-d’œuvre d’un cinéaste, aussi condamnable soit-il ? Amputer le patrimoine cinématographique de pans entiers de son histoire ? Les débats font rage, d’autant que la frontière est ténue entre volonté de ne pas réhabiliter des criminels et risque de révisionnisme artistique.

Repenser la transmission du cinéma classique

Au-delà de la question épineuse du “grand remplacement” du patrimoine cinématographique par les enjeux sociétaux contemporains, le débat qui agite le Festival Lumière met en lumière la nécessité de repenser les modalités de transmission du cinéma classique.

  • Intégrer de façon systématique des éléments de contextualisation
  • Proposer une lecture critique des œuvres au regard des problématiques actuelles
  • Valoriser la création cinématographique féminine et issue des minorités
  • Favoriser l’éducation à l’image pour décrypter les représentations

Autant de pistes pour tenter de concilier respect du patrimoine, impératifs mémoriels et évolutions sociétales. Un équilibre fragile, au cœur des réflexions de l’industrie cinématographique réunie à Lyon, consciente que son avenir se joue aussi dans son passé.

Un Festival placé sous haute tension

Malgré l’omniprésence du sujet dans les coulisses, le Festival Lumière s’est efforcé de maintenir le cap de sa programmation anniversaire. Au programme, avant-premières, rétrospectives, master class et une pléiade de stars internationales, parmi lesquelles Monica Bellucci, Benicio Del Toro ou encore Tim Burton.

Mais impossible d’occulter totalement la polémique, qui s’est invitée jusque sur le tapis rouge. L’an dernier déjà, la venue de Jean-Paul Belmondo, accusé de violences conjugales, avait suscité l’indignation. Cette année, c’est la remise du Prix Lumière à la cinéaste Jane Campion, pourtant pionnière d’un cinéma au féminisme revendiqué, qui crée la polémique en raison de sa prise de position en faveur de Roman Polanski.

On ne peut pas demander aux victimes de violences de faire abstraction sous prétexte de séparation entre l’homme et l’artiste. C’est d’une violence terrible !

Réagit une militante sur les réseaux sociaux

Dans ce contexte de défiance généralisée, difficile pour le cinéma classique de faire comme si de rien n’était. À l’image de la société, le 7ème art se retrouve écartelé entre la tentation d’une “cancel culture” et la volonté de défendre coûte que coûte son héritage. Un dilemme cornélien, auquel le Festival Lumière, malgré sa volonté de célébrer le cinéma à l’abri des polémiques, n’aura finalement pas pu couper.

Vers une (r)évolution du patrimoine cinématographique ?

Si les professionnels réunis à Lyon semblent s’accorder sur la nécessité de ne pas faire table rase du passé, tous sont conscients que le statu quo n’est plus tenable. À défaut de pouvoir “déboulonner” les monuments du cinéma classique, c’est un changement de regard qui s’impose.

Déconstruire les mythes, analyser les représentations, débusquer les biais et ouvrir de nouvelles perspectives : telle est l’ambition d’une nouvelle génération de cinéphiles, déterminée à réconcilier son amour du 7ème art avec ses valeurs. Un chantier aussi vaste que passionnant, pour un cinéma en quête de sens et de repères, à l’image d’une société en plein bouleversement.

Une chose est sûre : le débat ne fait que commencer. Et le Festival Lumière, en offrant une caisse de résonance à ces questionnements cruciaux, prouve qu’au-delà de la célébration d’un héritage, c’est bel et bien l’avenir du cinéma qui se joue ici. Alors, le cinéma classique a-t-il encore sa place à l’ère post-#MeToo ? La réponse en 2023 n’a certainement plus rien de classique.

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