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Attentat à Washington : Les Talibans Se Lavent les Mains

Un Afghan formé par les États-Unis tire sur des soldats de la Garde nationale à Washington et tue une femme. Les talibans répondent : « Ce n’est pas notre problème, c’est le vôtre ». Mais qui est vraiment responsable quand un ancien allié devient un danger public ? La réponse de Kaboul est cinglante…

Imaginez la scène : deux soldats de la Garde nationale en faction à Washington, une femme et son camarade, abattus en pleine capitale américaine par un homme qu’ils avaient autrefois considéré comme un allié. L’auteur présumé ? Un Afghan de 29 ans, ancien membre d’une unité d’élite entraînée par les États-Unis eux-mêmes. Et quand on demande aux talibans ce qu’ils en pensent, la réponse tombe, froide et tranchante : « Ça ne nous concerne pas. »

Cette affaire, aussi glaçante que révélatrice, remet sur la table les conséquences chaotiques du retrait américain d’Afghanistan en 2021 et les zones grises laissées derrière. Elle soulève aussi une question brutale : qui porte la responsabilité quand un ancien protégé devient un danger sur le sol de son ancien protecteur ?

Une réaction officielle sans ambiguïté

Le ministre taliban des Affaires étrangères, Amir Khan Muttaqi, n’a pas mâché ses mots. Lors d’une réunion filmée et diffusée cette semaine, il a qualifié l’attaque d’« incident mené par un individu » et refusé catégoriquement toute implication du gouvernement ou du peuple afghan.

Ses arguments ? L’assaillant a été formé, équipé et évacué par les Américains eux-mêmes. Pour Kaboul, la boucle est bouclée : c’est Washington qui a créé le problème, c’est donc à Washington de l’assumer.

« La personne qui a commis cet acte avait été entraînée par les Américains eux-mêmes (…) Ainsi, cet incident ne concerne pas le gouvernement ou le peuple afghan. »

Amir Khan Muttaqi, ministre taliban des Affaires étrangères

Ce discours, prononcé devant des responsables et analystes, n’est pas seulement une esquive. C’est aussi un rappel cinglant des erreurs perçues du côté américain lors du retrait précipité de l’été 2021.

Qui est Rahmanullah Lakanwal ?

Le suspect, Rahmanullah Lakanwal, 29 ans, n’est pas un inconnu sorti de nulle part. Ancien membre d’une unité spéciale afghane, il a combattu aux côtés des forces américaines contre les talibans pendant des années.

Lors de la chute de Kaboul en août 2021, il fait partie des dizaines de milliers d’Afghans évacués dans l’urgence par les États-Unis. Il arrive sur le sol américain en septembre 2021, moins d’un mois après le départ des dernières troupes.

Blessé lors de son arrestation après l’attaque, il a comparu depuis son lit d’hôpital par visioconférence et plaidé non coupable. L’enquête est en cours, mais le profil de l’assaillant pose déjà une question dérangeante : comment un ancien allié peut-il basculer ainsi ?

Le reproche taliban : une évacuation « illégale »

Amir Khan Muttaqi va plus loin. Il accuse les États-Unis d’avoir organisé une évacuation massive qui ne respectait « aucune norme internationale ». Des milliers de personnes auraient été exfiltrées sans contrôle suffisant, selon lui.

Derrière cette critique, on entend aussi une pointe de satisfaction : ceux que Washington présentait comme des « collaborateurs précieux » se retrouvent aujourd’hui pointés du doigt comme des risques potentiels.

Et les talibans de rappeler qu’ils avaient pourtant prévenu : sans relations diplomatiques officielles, il est impossible d’assurer un suivi consulaire des ressortissants afghans à l’étranger.

« Nous avons à plusieurs reprises dit aux Américains que nous avions besoin de relations diplomatiques afin de fournir des services consulaires à nos citoyens. »

Amir Khan Muttaqi

Le rêve taliban d’une reconnaissance internationale

Cette affaire arrive à point nommé pour Kaboul. Depuis leur retour au pouvoir, les talibans font de la reconnaissance diplomatique une priorité absolue. Pour l’instant, seule la Russie a franchi le pas officiellement.

Mais des relations étroites existent déjà avec la Chine, les Émirats arabes unis ou les pays d’Asie centrale. Les talibans aimeraient manifestement que les États-Unis entrent dans cette danse, même de façon limitée.

Le message est clair : « Regardez ce qui arrive quand vous refusez le dialogue. » L’attaque de Washington devient, dans leur rhétorique, la preuve que l’isolement diplomatique a un coût… pour tout le monde.

Les zones d’ombre du retrait américain

Revenons deux ans en arrière. Août 2021. L’aéroport de Kaboul est pris d’assaut. Des images choc font le tour du monde : des Afghans qui s’accrochent aux avions, des bébés tendus par-dessus les barbelés.

Dans cette panique, plus de 120 000 personnes sont évacuées. Parmi elles, d’anciens soldats, interprètes, collaborateurs… mais aussi, selon de nombreuses critiques, des individus sans lien clair avec les forces coalition.

Le contrôle des dossiers a été minimal. Des listes établies à la va-vite. Des visas spéciaux accordés dans l’urgence. Aujourd’hui, certains de ces évacués font l’objet de suspicions ou d’enquêtes.

Le chaos de l’évacuation en quelques chiffres :

  • Plus de 120 000 personnes évacuées en deux semaines
  • 76 000 Afghans réinstallés aux États-Unis depuis 2021
  • Des milliers de dossiers encore en attente ou contestés
  • Plusieurs cas déjà signalés de comportements violents ou radicaux

Un ancien allié devenu menace intérieure

L’ironie est cruelle. Les États-Unis ont dépensé des milliards pour former des unités afghanes d’élite. Certains de ces hommes étaient considérés comme les plus fiables, les plus courageux.

Et voilà qu’un d’entre eux, accueilli en sauveur, se retrouve accusé d’avoir tué une soldate américaine sur son propre sol. Le symbole est violent. Il ravive le traumatisme du retrait et les débats sur ses conséquences à long terme.

Pour les familles des victimes, pour les soldats encore en service, cette affaire est une blessure supplémentaire. Comment faire confiance quand ceux qu’on a protégés peuvent un jour se retourner contre vous ?

Et maintenant ?

Washington reste silencieux sur la proposition implicite des talibans de nouer des relations, même minimales. La reconnaissance officielle semble hors de portée tant que les droits humains, notamment ceux des femmes, restent bafoués à Kaboul.

Mais cette attaque montre que l’absence de canal de communication a un prix. Contrôler des dizaines de milliers de ressortissants afghans sans coopération avec le gouvernement en place devient un défi sécuritaire réel.

Entre refus de légitimer les talibans et nécessité pragmatique, les États-Unis se retrouvent dans une impasse que cet « incident », comme l’appelle Kaboul, vient cruellement illustrer.

Une chose est sûre : cette affaire ne sera pas la dernière. Les fantômes du retrait afghan continuent de hanter Washington. Et cette fois, ils portent parfois l’uniforme qu’on leur avait offert.

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