Ces dernières années, un conflit larvé oppose Israël et l’Iran, sur fond de programme nucléaire controversé et de lutte d’influence régionale. Si une guerre ouverte n’a pas éclaté, une « guerre de l’ombre » se joue, marquée par des attaques de plus en plus fréquentes et audacieuses menées par l’État hébreu contre la République islamique. Dernier épisode en date : les frappes de samedi dernier contre des cibles militaires en Iran, une escalade préoccupante dans cette confrontation.
Les Gardiens de la révolution dans le viseur
Fer de lance du régime, les Gardiens de la révolution iraniens, aussi appelés Pasdaran, sont l’une des principales cibles des opérations israéliennes. Selon des sources proches du dossier, Israël cherche ainsi à décapiter ce corps d’élite, souvent lors de frappes en dehors des frontières iraniennes :
- Fin septembre, un général des Gardiens a été tué aux côtés du chef du Hezbollah libanais dans une frappe en banlieue de Beyrouth, imputée à Israël.
- Début avril, deux hauts gradés sont tombés dans une attaque similaire contre l’ambassade d’Iran à Damas.
- En décembre dernier et en novembre 2022, deux commandants ont été éliminés en Syrie dans des raids attribués à l’aviation israélienne.
- En mai 2022, c’est au cœur de Téhéran qu’un membre de la Force Qods, unité d’élite des Gardiens, a été abattu par des motards. D’après le New York Times, Israël a revendiqué cette action auprès des États-Unis.
Plus anciennement, en 2011, l’explosion suspecte d’un dépôt de munitions près de la capitale iranienne avait coûté la vie au général Hassan Moghadam, responsable des programmes d’armement. Un coup porté en étroite collaboration par les services israéliens et américains, croit savoir une source bien informée.
Nucléaire iranien : des scientifiques dans la ligne de mire
Outre la haute hiérarchie des Gardiens, le programme atomique de Téhéran, perçu comme une menace existentielle par l’État hébreu, suscite des opérations ciblées récurrentes. Plusieurs éminents physiciens nucléaires iraniens ont ainsi été assassinés ces dernières années, dans des attaques attribuées aux services secrets israéliens par des sources concordantes :
- Mohsen Fakhrizadeh, considéré comme le père de la bombe iranienne, abattu en novembre 2020 près de Téhéran.
- Mostafa Ahmadi Roshan, cadre sur le site d’enrichissement de Natanz, tué par une bombe magnétique en janvier 2012.
- Majid Shahriari, expert de premier plan, eliminé dans une attaque à la bombe en novembre 2010.
- Massoud Ali Mohammadi, professeur de physique, abattu devant chez lui en janvier 2010.
Natanz, cible privilégiée du sabotage israélien
Au-delà des assassinats, les installations nucléaires iraniennes, à commencer par le complexe stratégique de Natanz, ont été visées à de multiples reprises par des actes de sabotage imputés à Israël :
- En avril 2021, Natanz a été touché par une mystérieuse explosion, qui aurait selon le New York Times « totalement détruit » le système électrique des centrifugeuses d’enrichissement d’uranium.
- Déjà en juillet 2020, un « accident » sur le site avait été attribué à un « sabotage » par Téhéran.
- Dix ans plus tôt, en 2010, une cyberattaque via le virus Stuxnet, attribuée à une collaboration américano-israélienne, avait entraîné une série de pannes des centrifugeuses iraniennes.
Alliés de l’Iran et trafic pétrolier également pris pour cible
Au-delà de l’Iran même, la traque des alliés de Téhéran s’invite jusqu’au cœur de la capitale iranienne. Fin juillet, le chef du Hamas palestinien Ismaël Haniyeh a ainsi été tué à Téhéran, alors qu’il assistait à l’investiture du nouveau président Mohamad Pezeshkian. Une opération imputée aux services israéliens par des sources sécuritaires.
Depuis 2019, Israël s’attaque aussi au trafic pétrolier iranien, en ciblant, parfois au moyen de mines sous-marines selon le Wall Street Journal, des navires transportant du brut vers la Syrie, alliée de l’Iran. Nœud du contentieux irano-israélien, le Levant est devenu un véritable champ de bataille entre les deux ennemis.
Quel risque d’embrasement ?
À travers ces opérations de plus en plus décomplexées, qui s’ajoutent à une campagne intense de bombardements anti-iraniens en Syrie, l’État hébreu semble déterminé à contrer l’influence grandissante de la République islamique, son ennemi juré, dans la région. Mais à force de coups de boutoir, cette stratégie pourrait se révéler contre-productive en renforçant les faucons à Téhéran. Et faire basculer un conflit pour l’heure maîtrisé dans un engrenage potentiellement dévastateur pour le Moyen-Orient.