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Assassinat d’un Témoin Clé en Afrique du Sud

Vendredi soir, un témoin protégé qui venait d’accuser un haut gradé de la police d’avoir ordonné de faire disparaître un cadavre a été abattu devant chez lui. Sa femme a tout vu, indemne. Personne n’est arrêté. Et si ce meurtre était le signe que certains sont prêts à tout pour étouffer la vérité ?

Il est un peu plus de vingt heures trente dans une banlieue paisible à l’est de Johannesburg. Un homme rentre chez lui après une journée ordinaire. Il descend de voiture, s’approche du portail. Deux détonations claquent dans la nuit. Il s’effondre. Sa femme, à quelques mètres, reste indemne mais tétanisée. Les tueurs s’enfuient à bord d’une berline sombre. Personne n’a encore été arrêté.

Un témoin protégé liquidé en pleine enquête explosive

Ce n’est pas un règlement de comptes banal. L’homme abattu vendredi soir était le « Témoin D » de la commission judiciaire présidée par l’ancien juge de la Cour constitutionnelle Mbuyiseli Madlanga. Quelques semaines plus tôt, il avait témoigné à huis clos et mis directement en cause un haut responsable de la police métropolitaine d’Ekurhuleni.

Son accusation était glaçante : en 2022, Julius Mkhwanazi, alors chef-adjoint de l’EMPD (et aujourd’hui suspendu), lui aurait ordonné de faire disparaître le corps d’un suspect mort en garde à vue. Terrifié, l’ancien officier avait obéi et jeté le cadavre dans un barrage.

Une commission née d’accusations gravissimes

Pour comprendre l’ampleur du scandale, il faut remonter à juillet dernier. Un chef de la police provinciale avait publiquement accusé le ministre de la Police lui-même, Senzo Mchunu, ainsi que d’autres hauts responsables, d’avoir saboté des enquêtes sur des assassinats à motivation politique.

Les révélations étaient si graves que le président Cyril Ramaphosa a immédiatement suspendu le ministre Mchunu et créé la commission Madlanga. Objectif officiel : faire toute la lumière sur les liens supposés entre certains responsables politiques et des réseaux criminels organisés.

Depuis la mi-septembre, les audiences publiques se succèdent. Mais les témoignages les plus sensibles, comme celui du « Témoin D », se déroulent à huis clos, preuve que les risques sont déjà considérés comme réels.

Le déroulé précis de l’assassinat

Le commissaire par intérim du Gauteng, Fred Kekana, a donné les premiers éléments devant la presse :

« Il s’apprêtait à ouvrir le portail lorsqu’il a été touché. Son épouse est indemne. Les tireurs ont pris la fuite après avoir tiré deux coups de feu. »

Les enquêteurs disposent d’images de vidéosurveillance montrant clairement le véhicule utilisé pour la fuite. Pourtant, à l’heure actuelle, aucune arrestation n’a eu lieu.

Deux balles, une exécution rapide et professionnelle : tout porte à croire qu’il s’agit d’un contrat.

Un climat de peur qui paralyse le pays

L’Afrique du Sud n’est pas à son premier témoin assassiné. Ces dernières années, plusieurs personnes ayant accepté de parler dans des affaires de corruption ou de crime organisé ont payé de leur vie leur courage.

Entre avril et septembre dernier, les statistiques officielles font état d’environ soixante homicides par jour dans le pays. Un chiffre terrifiant qui place l’Afrique du Sud parmi les nations les plus violentes au monde hors zone de guerre.

Dans ce contexte, témoigner contre des policiers ou des politiciens revient souvent à signer son arrêt de mort.

Les protagonistes nient tout en bloc

Julius Mkhwanazi, directement mis en cause par le témoin assassiné, a déjà comparu devant la commission. Il nie catégoriquement avoir donné l’ordre de faire disparaître un corps.

Le ministre suspendu Senzo Mchunu, accusé d’avoir démantelé une unité spécialisée pour protéger des personnalités politiques, rejette lui aussi toutes les allégations.

Mais dans un pays où la confiance envers les institutions est au plus bas, ces dénégations peinent à convaincre l’opinion publique.

Vers une crise institutionnelle majeure ?

L’assassinat du « Témoin D » risque d’avoir des conséquences lourdes. Déjà, plusieurs sources proches de la commission laissent entendre que d’autres témoins hésitent désormais à parler, même sous protection.

Si la commission Madlanga n’arrive pas à garantir la sécurité de ceux qui acceptent de collaborer, elle perdra toute crédibilité. Et avec elle, l’espoir de nettoyer un système judiciaire gangréné par des années de corruption.

Le président Ramaphosa, qui a personnellement ordonné cette enquête, se retrouve dans une position délicate. Promettre la vérité tout en étant incapable d’assurer la sécurité des témoins revient à alimenter le sentiment d’impunité qui ronge le pays.

Un symbole tragique d’un pays à bout de souffle

Cette affaire dépasse largement le cadre d’un simple fait divers. Elle cristallise trente ans de dérives post-apartheid : clientélisme, capture de l’État par des réseaux mafieux, effondrement des services publics, et surtout une violence devenue banale.

L’image d’un homme abattu devant son domicile, alors qu’il tentait simplement de contribuer à la vérité, restera comme l’un symbole tragique de l’état actuel de l’Afrique du Sud.

Et tant que les commanditaires de ce genre d’exécutions continueront de dormir tranquilles, la démocratie sud-africaine, jadis présentée comme un modèle sur le continent, continuera de s’effriter un peu plus chaque jour.

Reste à savoir si cet assassinat sera le choc nécessaire pour provoquer une véritable prise de conscience collective… ou s’il ne fera qu’ajouter un nom de plus à la longue liste des martyrs oubliés de la nation arc-en-ciel.

L’enquête se poursuit. Mais dans un pays où même les témoins protégés meurent, l’espoir d’une justice enfin rendue semble plus fragile que jamais.

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