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Artisanes Sénégalaises : Leur Combat pour un Commerce Équitable

À l’ombre d’un manguier, Khady tresse un panier qui sera vendu 150 € à Paris… mais elle n’en touchera que 20 €. Pire : la plupart des « paniers sénégalais » vendus en Europe viennent du Vietnam. Comment en est-on arrivé là ?

Sous l’ombre généreuse d’un vieux manguier, dans une cour battue par le sable chaud du nord-ouest du Sénégal, Khady Sène tresse avec une régularité presque hypnotique. Ses doigts courent sur les roseaux, les plient, les nouent avec des fils de plastique colorés. Le geste est ancien, transmis de mère en fille depuis des générations. Pourtant, ce panier qu’elle fabrique avec tant de soin finira peut-être, dans quelques mois, exposé dans une boutique chic de Paris ou de New York à un prix qui dépasse l’imagination des femmes du village de Mborine.

Mais Khady, elle, n’en verra presque rien.

Un artisanat mondialement convoité, localement sous-payé

Le panier traditionnel wolof est devenu, ces dernières années, un objet de décoration très prisé dans les intérieurs occidentaux. On le retrouve en couverture de magazines de design, sur Instagram sous le hashtag #bohostyle ou dans les rayons des grandes enseignes de décoration. Un simple panier à linge peut se vendre 150, 200, parfois 300 euros en Europe ou aux États-Unis.

Au Sénégal, la même pièce est négociée autour de 13 000 francs CFA. À peine 20 euros.

Entre les deux prix, une chaîne d’intermédiaires, de transporteurs, de revendeurs qui captent l’essentiel de la valeur ajoutée. Les femmes qui passent des heures, parfois des jours entiers à tresser, se retrouvent avec des miettes.

« Ceux qui viennent au marché nous prennent les paniers à un prix dérisoire. Ça ne couvre même pas le coût des matériaux », déplore Khady Sène, 35 ans, mère de famille.

Un savoir-faire ancestral menacé par la contrefaçon asiatique

Le pire, c’est que beaucoup de ces paniers vendus comme « authentiques sénégalais » en Occident… ne viennent pas du Sénégal.

En 2017, Fatima Jobe, architecte sénégalo-gambienne, fait une découverte qui la laisse sans voix lors d’un voyage au Vietnam : un grossiste se présente comme le plus grand exportateur mondial de « vannerie sénégalaise ». Des milliers de conteneurs partent chaque année vers l’Europe et les États-Unis, remplis de copies fabriquées à la chaîne, à des coûts dérisoires.

Le comble ? Sur l’étiquette, on lit encore « Made in Senegal » ou « African handmade ».

Cette concurrence déloyale met en péril tout un écosystème artisanal. Les commandes diminuent pour les vraies artisanes, les prix chutent encore plus sur les marchés locaux. Certaines abandonnent le métier.

Imadi : quand une femme décide de changer la donne

Choquée par ce qu’elle a vu, Fatima Jobe décide d’agir. Elle crée Imadi, une marque qui travaille aujourd’hui avec 260 femmes dans 15 villages du nord-ouest.

Son modèle est simple mais révolutionnaire dans le contexte :

  • Elle livre elle-même les matériaux directement aux artisanes
  • Elle paie un prix fixe et juste, bien supérieur au marché local
  • Elle interdit le travail des enfants
  • Une partie des bénéfices finance les écoles des villages
  • Elle exporte directement, sans intermédiaires parasites

Pour Khady Sène et les autres femmes de Mborine, Imadi représente bien plus qu’un client. C’est une bouffée d’oxygène.

« Les gens comme Fatima qui nous paient à la hauteur de notre travail sont rares », confie Khady, un sourire timide aux lèvres.

Une économie de survie dans un pays en crise

Dans les villages comme Thiembe ou Mborine, le tressage n’est pas un hobby. C’est souvent la seule source de revenu stable pour des familles entières.

Adama Fall, 49 ans, veuve, coordonne un groupe de tresseuses pour Imadi. Avec ce qu’elle gagne, elle fait vivre ses enfants. Autour d’elle, les jeunes hommes partent. Quatre garçons du village ont tenté la traversée vers l’Europe en pirogue il y a cinq ans. On est toujours sans nouvelles.

Le tressage, dans ce contexte, devient un rempart contre l’exode. Un moyen de garder les femmes – et par extension les familles – au village.

Des marges dérisoires même pour les revendeuses locales

Sur le bord des routes poussiéreuses, Fatim Ndoye tient une petite échoppe de paniers. Elle achète aux femmes le lundi au marché, revend aux touristes le reste de la semaine.

Ses chiffres parlent d’eux-mêmes : 4,50 euros de chiffre par jour en semaine, 15 euros le week-end quand les cars de touristes passent. Des marges minuscules. Pourtant, chaque franc compte.

Comme elle le dit simplement : « Ici, tout le monde survit. »

Vers un avenir plus juste : les pistes possibles

Les artisanes comme Khady ne demandent pas la charité. Elles veulent juste vivre décemment de leur travail.

Plusieurs leviers pourraient changer la donne :

  • Une meilleure protection de l’appellation « panier sénégalais » (comme un label IGP)
  • Le développement de coopératives puissantes capables d’exporter directement
  • Des formations au design contemporain pour coller aux goûts occidentaux tout en gardant l’âme sénégalaise
  • Un soutien plus marqué des pouvoirs publics au commerce équitable
  • Une sensibilisation des consommateurs occidentaux à l’impact de leurs achats

Des initiatives comme Imadi montrent que c’est possible. Mais elles restent l’exception.

Dans la cour, les enfants jouent avec des paniers inachevés. Les coutures sont grossières, les fils dépassent. Peu importe. Dans leurs mains, c’est déjà le savoir-faire de demain qui se transmet. Reste à espérer qu’un jour, ce savoir-faire soit enfin rémunéré à sa juste valeur.

Parce que derrière chaque panier vendu 200 euros à l’autre bout du monde, il y a une femme qui a passé des jours à le tresser sous un manguier, pour à peine de quoi nourrir ses enfants.

Cette histoire n’est pas seulement sénégalaise. Elle concerne tous ceux qui, en achetant un « joli panier ethnique », veulent être sûrs que leur argent arrive jusqu’à la personne qui l’a vraiment fabriqué.

La prochaine fois que vous verrez un panier wolof dans une boutique, regardez bien l’étiquette. Et posez-vous la question : qui a vraiment touché l’argent que je viens de dépenser ?

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