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Arrestation Violente de Narges Mohammadi en Iran

Ce vendredi à Mashad, Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix 2023, a été violemment interpellée avec plusieurs autres militantes lors d’une cérémonie en mémoire d’un avocat mort dans des circonstances troubles. Que s’est-il réellement passé et pourquoi ce nouveau coup de force des autorités ?

Imaginez une femme de 53 ans, déjà marquée par des années de prison et de maladies, qui se rend simplement à une cérémonie religieuse pour honorer la mémoire d’un avocat disparu. Elle retire son voile, monte sur une voiture et harangue la foule avec des slogans de liberté. Quelques minutes plus tard, des agents en civil la saisissent par les cheveux, la frappent aux jambes et l’embarquent de force. Cette scène n’est pas tirée d’un film : elle s’est déroulée vendredi à Mashad, et la femme s’appelle Narges Mohammadi, lauréate du prix Nobel de la paix 2023.

Une arrestation brutale au cœur d’une cérémonie commémorative

Les faits sont rapportés par la famille, les avocats et le comité de soutien de la militante. Vendredi après-midi, Narges Mohammadi participait à la cérémonie du septième jour après le décès de l’avocat Khosrow Alikordi, mort une semaine plus tôt dans des conditions qui soulèvent de lourds soupçons. Alors que la foule scandait des slogans hostiles au régime, les forces de sécurité ont foncé sur le groupe.

Selon les témoins, Narges Mohammadi a été particulièrement visée. Frappée aux jambes, tirée par les cheveux, elle a été jetée dans un fourgon avec au moins huit autres personnes, dont la célèbre activiste Sepideh Gholian, ancienne codétenue à la prison d’Evin.

Qui est Narges Mohammadi, cette femme que le régime craint tant ?

Narges Mohammadi n’est pas une figure anonyme. À 53 ans, elle incarne depuis plus de vingt ans la lutte pour les droits des femmes et des prisonniers politiques en Iran. Ingénieure physicienne de formation, elle a choisi très tôt de défier le pouvoir théocratique.

Condamnée à de multiples reprises, elle a passé la majeure partie des quinze dernières années derrière les barreaux. Atteinte de graves problèmes cardiaques et pulmonaires, elle avait obtenu en décembre 2024 une libération provisoire pour raisons médicales. Une liberté de courte durée, manifestement.

« Je ne suis pas inquiet qu’elle ait été arrêtée. Elle l’a été à de multiples reprises, mais ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’ils mettent sous pression son état physique et psychologique »

Hamid Mohammadi, frère de la militante, vivant à Oslo

Son frère, installé en Norvège, a décrit à plusieurs médias les séquelles des précédentes détentions : opérations multiples, embolie pulmonaire, troubles cardiaques graves. Chaque nouvelle arrestation est donc une menace directe sur sa vie.

Une cérémonie qui a dégénéré en manifestation

La cérémonie était organisée en mémoire de Khosrow Alikordi, avocat de 45 ans qui défendait des manifestants arrêtés lors du soulèvement de 2022-2023. Son corps a été retrouvé le 5 décembre. Des organisations de défense des droits humains exigent une enquête indépendante, évoquant ouvertement la possibilité d’un « meurtre d’État ».

Sur place, les participants ne se sont pas contentés de prières. Des vidéos montrent Narges Mohammadi, tête nue, juchée sur un véhicule, entraînant la foule dans des slogans devenus emblématiques du mouvement Femme, Vie, Liberté :

  • « Vive l’Iran ! »
  • « Nous luttons, nous mourons, nous n’acceptons aucune humiliation »
  • « Mort au dictateur ! »

Ces images, diffusées par des médias en persan basés à l’étranger, ont suffi à déclencher l’intervention brutale des forces de l’ordre. En quelques instants, ce qui devait être un rite funéraire s’est transformé en nouvelle démonstration de la répression quotidienne.

Le mouvement Femme, Vie, Liberté toujours vivant

Cette arrestation intervient deux ans après la mort de Mahsa Amini, cette jeune Kurde de 22 ans décédée en septembre 2022 après son arrestation par la police des mœurs pour un voile jugé incorrect. Son décès avait déclenché la plus grande vague de contestation depuis la révolution de 1979.

Narges Mohammadi, alors déjà emprisonnée, avait été l’une des voix les plus puissantes depuis sa cellule. Privée de visite, elle communiquait par messages clandestins et avait même entamé une grève de la faim pour soutenir le mouvement.

Le prix Nobel de la paix décerné en octobre 2023 avait été perçu comme un camouflet retentissant pour Téhéran. Incapable d’assister à la cérémonie à Oslo, elle avait fait lire son discours par ses enfants. Un texte d’une rare puissance où elle affirmait que « la victoire est certaine ».

Un régime qui ne tolère aucune contestation

En arrêtant la lauréate Nobel lors d’une simple cérémonie religieuse, le pouvoir iranien envoie un message clair : même les figures les plus connues internationalement ne sont pas à l’abri. L’impunité reste totale.

Depuis 2022, des centaines de personnes ont été exécutées, des milliers condamnées à de lourdes peines. Les avocats qui défendent les prisonniers politiques sont eux-mêmes harcelés, suspendus, voire éliminés. La mort suspecte de Khosrow Alikordi s’inscrit dans cette longue liste.

Le fait que l’arrestation ait eu lieu à Mashad, ville sainte et conservatrice, montre également que la contestation a gagné l’ensemble du territoire. Elle n’est plus limitée à Téhéran ou aux grandes villes progressistes.

Les réactions internationales encore timides

À l’heure où ces lignes sont écrites, les condamnations officielles restent rares. Quelques tweets de parlementaires européens, des communiqués d’ONG, mais aucune réaction forte des chancelleries. Pourtant, Narges Mohammadi n’est pas n’importe quelle prisonnière : elle est lauréate du prix Nobel et symbole mondial de la résistance non violente.

Son mari, Taghi Rahmani, installé à Paris, et ses deux enfants jumeaux, exilés eux aussi, multiplient les appels à la mobilisation. Ils connaissent la mécanique : plus la pression internationale est forte dans les premières 48 heures, plus les chances augmentent d’obtenir une libération rapide.

Que peut-il se passer maintenant ?

Plusieurs scénarios sont possibles. Le plus probable reste une nouvelle condamnation pour « propagande contre le régime » ou « trouble à l’ordre public ». Les peines peuvent aller de quelques mois à plusieurs années supplémentaires.

Compte tenu de son état de santé critique, une nouvelle incarcération longue serait équivalente à une condamnation à mort lente. Ses précédents séjours en prison ont déjà provoqué des comas et des hospitalisations d’urgence.

Mais Narges Mohammadi a déjà montré qu’elle ne plie pas. Depuis sa cellule, elle continue d’écrire, de dénoncer, de soutenir les autres détenues. Chaque arrestation renforce paradoxalement sa légende et fragilise un peu plus le régime qui l’emprisonne.

Au-delà de son cas personnel, cet événement rappelle que le mouvement déclenché par la mort de Mahsa Amini est loin d’être éteint. Il a changé de forme : moins de manifestations de masse dans les rues, plus de résistance quotidienne, discrète mais déterminée.

Retirer son voile en public, scander des slogans lors d’une cérémonie religieuse, honorer la mémoire d’un avocat assassiné : ces gestes, en apparence anodins, sont devenus des actes de désobéissance civile puissante. Et le pouvoir, lui, répond toujours par la même méthode : la violence.

L’histoire nous dira si cette nouvelle arrestation marquera un tournant ou s’inscrira dans la longue liste des persécutions. Une chose est sûre : tant que des femmes comme Narges Mohammadi existeront, le rêve de liberté ne s’éteindra pas en Iran.

À retenir : Une lauréate du prix Nobel de la paix vient d’être violemment arrêtée lors d’une cérémonie religieuse à Mashad. Ce nouvel épisode illustre la répression continue du régime iranien contre toute forme de contestation, même symbolique. La santé fragile de Narges Mohammadi rend cette détention particulièrement inquiétante.

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