Le 5 janvier 2021, à la veille de l’un des jours les plus sombres de l’histoire récente américaine, deux bombes artisanales étaient déposées presque simultanément devant les sièges du Parti républicain et du Parti démocrate à Washington. Elles ne devaient jamais exploser. Pourtant, leur simple présence a suffi à hanter l’Amérique pendant plus de quatre ans.
Jeudi dernier, ce mystère vieux de 1 460 jours vient de connaître un tournant spectaculaire : un homme de 30 ans a été arrêté. Il s’appelle Brian Cole. Et pour la première fois, le FBI met un visage et un nom sur l’ombre qui rôdait ce soir-là dans les rues de la capitale.
Une arrestation qui tombe… cinq ans presque jour pour jour après les faits
C’est dans une banlieue tranquille de Woodbridge, en Virginie, à moins de trente minutes de Washington, que les agents fédéraux ont frappé à la porte en début de matinée. Brian Cole, 30 ans, vivait là avec sa mère et d’autres membres de sa famille. Rien, à première vue, ne laissait présager qu’il pouvait être l’auteur d’un des actes les plus intrigants de ces dernières années.
Employé dans une société de cautions judiciaires, il aidait des détenus à sortir de prison en échange de garanties financières. Ironie du sort ? L’homme qui facilitait la libération conditionnelle d’autrui se retrouve aujourd’hui derrière les barreaux, inculpé de tentative d’utilisation d’explosifs à des fins malveillantes et de transport d’explosifs dans l’intention de commettre un acte de violence.
La récompense de 500 000 dollars promise par le FBI n’aura finalement pas été nécessaire. C’est un réexamen minutieux des milliers d’heures de vidéosurveillance, couplé à de nouvelles analyses techniques, qui a permis de remonter jusqu’à lui.
Que s’est-il passé exactement dans la nuit du 5 au 6 janvier 2021 ?
Vers 19 h 30 et 20 h, une silhouette encapuchonnée, baskets blanches aux pieds, sac à dos sur l’épaule, dépose deux engins explosifs artisanaux – des « pipe bombs » – à quelques mètres des quartiers généraux des deux grands partis. L’un près du Comité national démocrate, l’autre à côté du Comité national républicain. Les deux lieux se trouvent à moins de dix minutes à pied du Capitole.
Les bombes sont découvertes plus de quinze heures plus tard, le 6 janvier en fin d’après-midi, alors que l’assaut est déjà en cours. Elles sont équipées de minuteurs d’une heure… qui n’ont jamais fonctionné. Étaient-elles conçues pour ne jamais exploser ? Voulaient-elles simplement créer une diversion afin d’éloigner les forces de l’ordre du Capitole au moment précis où la foule allait déferler ? Les questions restent entières.
« Nous avons élucidé cette affaire »
Kash Patel, directeur du FBI
Ces mots, prononcés lors de la conférence de presse conjointe avec la ministre de la Justice Pam Bondi, sonnent comme une victoire. Pourtant, ils laissent un goût d’inachevé. Car si l’auteur présumé est désormais derrière les barreaux, ses motivations profondes restent floues.
Pourquoi cette arrestation intervient-elle maintenant ?
Le timing pose question. Nous sommes en 2025. Donald Trump est de retour à la Maison Blanche depuis quelques semaines seulement. Le 20 janvier, il a signé un décret présidentiel graciant environ 1 250 personnes condamnées pour l’assaut du Capitole, commuant les peines de quatorze autres et stoppant net les poursuites contre plusieurs centaines d’accusés encore en attente de jugement.
Dans ce contexte, l’arrestation de l’unique suspect des bombes du 5 janvier apparaît à certains comme une manière de rééquilibrer la balance. Comme si, après avoir effacé d’un trait des milliers de condamnations liées au 6 janvier, l’administration voulait montrer qu’elle n’enterrait pas pour autant toutes les enquêtes liées à cette période trouble.
Le fait que le directeur du FBI, Kash Patel, et la ministre de la Justice, Pam Bondi – deux figures nommées par le nouveau président – aient personnellement annoncé l’arrestation renforce cette impression. C’est une opération communication autant qu’une opération judiciaire.
Brian Cole : un profil qui déroute
Trente ans, employé modèle, vivant chez sa mère. Aucun antécédent judiciaire notable. Aucun signe apparent d’extrémisme politique violent. Comment un tel individu a-t-il pu fabriquer, transporter et poser deux engins explosifs au cœur de Washington ?
Les autorités restent muettes sur ses motivations. Interrogée sur un éventuel lien avec les événements du lendemain, Pam Bondi a botté en touche : les investigations se poursuivent. Traduction : pour l’instant, rien ne permet d’affirmer que Brian Cole ait agi en coordination avec qui que ce soit – ni qu’il ait agi seul par conviction personnelle.
Cette absence de mobile clair alimente déjà de nouvelles spéculations. Pour certains, il s’agirait d’un « loup solitaire » radicalisé en ligne. Pour d’autres, d’un pion dans un jeu plus vaste dont on n’aurait vu que la partie émergée de l’iceberg.
Les théories du complot ne vont pas s’éteindre
Pendant quatre ans, l’absence d’arrestation a nourri les hypothèses les plus folles : opération sous faux drapeau, manipulation des services secrets, tentative du « deep state » pour discréditer les manifestants pro-Trump… Chaque nouvelle vidéo publiée par le FBI était scrutée, chaque détail disséqué.
Aujourd’hui, l’arrestation de Brian Cole ne va pas faire taire ces voix. Au contraire. Le fait qu’il soit un citoyen lambda, sans passé militant connu, va relancer le débat : était-il vraiment seul ? Pourquoi les bombes n’ont-elles pas explosé ? Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Dans les heures qui ont suivi l’annonce, les réseaux sociaux se sont enflammés. Certains y voient la preuve que le FBI a toujours su et a « gardé le suspect sous le coude » pour le sortir au bon moment. D’autres estiment que cette arrestation clôt définitivement le chapitre des « provocateurs fédéraux » tant fantasmés.
Ce que cette arrestation change (ou pas) pour le 6 janvier
Sur le plan judiciaire, elle referme – presque – l’un des derniers dossiers majeurs encore ouverts liés aux événements des 5 et 6 janvier 2021. Sur le plan symbolique, elle arrive dans un moment de profonde fracture.
D’un côté, des milliers de personnes ont vu leurs condamnations effacées par décret présidentiel. De l’autre, un homme risque la prison à vie pour des engins qui, finalement, n’ont fait aucune victime. Cette asymétrie ne manquera pas d’être soulignée.
Et puis il y a cette question qui flotte toujours : si les bombes avaient explosé, l’histoire du 6 janvier aurait-elle été la même ? Auraient-elles détourné suffisamment de forces de police pour faciliter l’assaut ? Ou n’étaient-elles qu’un geste isolé, sans lien avec la foule qui allait déferler le lendemain ?
Pour l’instant, Brian Cole reste présumé innocent. Son procès, quand il aura lieu, promet d’être suivi avec une attention extrême. Car au-delà de son sort personnel, c’est une partie du récit national américain qui se jouera dans la salle d’audience.
Quatre ans après, le 5 janvier 2021 continue de hanter l’Amérique. L’arrestation de son principal suspect ne fait, peut-être, que repousser les zones d’ombre un peu plus loin.
Affaire à suivre.









