Imaginez arriver dans votre pays natal après des années d’exil, motivé par l’espoir d’une nouvelle ère de liberté, pour finir arrêté à cause d’une vidéo postée sur les réseaux sociaux. C’est exactement ce qui est arrivé à un journaliste syro-américain, plongeant sa famille dans l’angoisse et relançant le débat sur la liberté d’expression en Syrie, un an après la chute du régime précédent.
Une Arrestation Qui Interroge l’Avenir de la Liberté en Syrie
Les faits sont simples et brutaux. Eiad Charbaji, journaliste vivant aux États-Unis et travaillant pour une chaîne internationale, s’est rendu en Syrie début décembre. À son arrivée à Damas le 7 décembre, il apprend qu’une plainte a été déposée contre lui. L’accusation ? Avoir provoqué des tensions confessionnelles via une publication sur Facebook.
Dimanche dernier, suivant les instructions des autorités, il se présente au siège des investigations criminelles. Depuis, plus aucune nouvelle. Sa famille, qui préfère rester anonyme par peur de représailles, exprime une profonde inquiétude. « Nous sommes sans informations depuis son arrestation », confie un proche.
Un Parcours de Journaliste Critique des Deux Côtés
Eiad Charbaji n’a jamais mâché ses mots. Opposant historique au régime de Bachar al-Assad, il n’a pas hésité, après la révolution, à pointer du doigt certaines dérives des nouvelles autorités. Cette position équilibrée, rare dans un contexte polarisé, lui a valu des inimitiés des deux camps.
Ses critiques les plus récentes portent sur ce qu’il appelle « la nouvelle génération d’Idleb ». Dans une vidéo publiée il y a environ cinq mois, il dénonce l’éducation reçue par une partie de la jeunesse dans cette région, ancienne enclave rebelle dominée par une atmosphère sunnite rigoriste. Idleb, base arrière de la coalition islamiste qui a renversé le pouvoir, reste un symbole fort pour les nouvelles autorités.
Ces propos, jugés trop directs, ont déclenché une vague de réactions hostiles. Messages haineux, insultes, menaces de mort : le journaliste a essuyé un torrent de violence verbale en ligne. Pourtant, il a maintenu sa ligne éditoriale, estimant nécessaire de pointer les risques sectaires pour l’avenir du pays.
Une Visite à Damas Sous Haute Tension
Malgré les risques, Eiad Charbaji décide de retourner à Damas. Peut-être pour voir de ses propres yeux les changements, peut-être pour participer au débat public. Il accepte même une invitation à la principale émission de débats de la télévision officielle syrienne.
Mais les événements récents le marquent profondément. Le 8 décembre, lors du défilé militaire marquant le premier anniversaire de la chute du régime, il observe des scènes qui le troublent. « Je n’ai pas senti que c’était l’armée de mon pays », écrit-il ensuite sur les réseaux. Il évoque des slogans religieux, des chants à connotation jihadiste qui contrastent avec l’idée d’une Syrie unie et laïque qu’il défend.
Ces commentaires, postés peu après les célébrations officielles, semblent avoir été la goutte d’eau. Ils renforcent l’image d’un journaliste qui refuse de se plier à la nouvelle doxa dominante.
Des Accusations Vagues au Service de l’Intimidation
La plainte déposée par un avocat repose sur l’accusation classique de « provocation de tensions confessionnelles ». Un chef d’inculpation souvent utilisé pour faire taire les voix dissidentes. Les autorités n’ont d’ailleurs pas souhaité commenter l’affaire.
Des défenseurs des droits humains s’insurgent. Un avocat connu, Michel Chamas, publie sur les réseaux : « La détention d’un journaliste, même pour un jour, constitue une arrestation effective. » Il pointe du doigt l’utilisation abusive de lois héritées ou maintenues pour limiter les libertés.
Un ami journaliste, Hazem Dakel, va plus loin. Il dénonce des « accusations vagues de menace à la paix civile et d’incitation au sectarisme » servant d’outils d’intimidation. Des termes suffisamment flous pour s’appliquer à presque toute critique un peu appuyée.
« Les accusations vagues de menace à la paix civile et d’incitation au sectarisme sont utilisées comme des outils d’intimidation. »
Hazem Dakel, journaliste et ami d’Eiad Charbaji
La Liberté de la Presse : Un Héritage Lourd à Surmonter
Pendant des décennies, la presse syrienne a été totalement muselée. Toute critique du pouvoir était impensable. Après la révolution, beaucoup espéraient une rupture définitive avec ces pratiques.
Malheureusement, certaines lois restrictives restent en vigueur. La loi sur les crimes informatiques, notamment, continue de limiter sévèrement la liberté d’expression en ligne. Elle permet des poursuites pour des publications jugées contraires aux intérêts de l’État ou de la société.
L’association des journalistes syriens a réagi rapidement. Dans un communiqué, elle appelle à « préserver la liberté d’expression et protéger les journalistes contre les poursuites liées à leurs opinions professionnelles ». Un appel qui résonne comme un avertissement : sans vigilance, les anciennes habitudes pourraient resurgir sous de nouveaux habits.
Les Risques du Débat Confessionnel en Syrie Post-Révolution
Le cas d’Eiad Charbaji met en lumière une fracture profonde. La Syrie sort d’une guerre civile dévastatrice où les lignes confessionnelles ont souvent été instrumentalisées. Éviter de reproduire ces erreurs est crucial pour la reconstruction nationale.
Critiquer une éducation imprégnée d’une idéologie rigoriste n’équivaut pas nécessairement à attaquer une communauté entière. Pourtant, dans le climat actuel, toute remise en question peut être perçue comme une attaque sectaire.
Le journaliste voulait alerter sur les risques d’une société divisée. Ironie du sort, ses propos sont maintenant utilisés pour justifier son silence forcé.
Quel Avenir pour les Voix Indépendantes ?
Cette arrestation intervient à un moment symbolique : un an après la chute du régime Assad. Les célébrations officielles ont mis en avant l’unité nationale, mais des voix comme celle d’Eiad Charbaji rappellent que le chemin reste long.
Les journalistes indépendants, ceux qui refusent l’alignement total, jouent un rôle essentiel. Ils pointent les dérives, qu’elles viennent d’hier ou d’aujourd’hui. Les étouffer reviendrait à priver la société d’un miroir nécessaire.
La communauté internationale observe également. Un journaliste possédant la nationalité américaine arrêté pour ses opinions : l’affaire pourrait prendre une dimension diplomatique si elle s’éternise.
À retenir :
- Arrestation sur fond de publication Facebook critique
- Accusations de tensions confessionnelles
- Silence des autorités depuis dimanche
- Appels à protéger la liberté d’expression
- Loi sur les crimes informatiques toujours en vigueur
L’histoire d’Eiad Charbaji n’est pas isolée. Elle illustre les défis auxquels fait face une société en transition. Maintenir l’équilibre entre sécurité collective et liberté individuelle demande une maturité politique que seul le temps, et la tolérance au débat, peuvent forger.
En attendant des nouvelles du journaliste, sa famille vit dans l’incertitude. Espérons que cette affaire se résolve rapidement et que la Syrie, dans cette nouvelle chapitre de son histoire, choisisse résolument la voie de la liberté d’expression. Car sans voix critiques, aucun pays ne peut véritablement avancer.
(Note : Cet article s’appuie exclusivement sur les déclarations de la famille, d’associations de journalistes et de proches. Les autorités syriennes n’ont pas répondu aux sollicitations de commentaires.)









