Dans les rues animées de Buenos Aires, une clameur s’élève, portée par des milliers de voix unies. Des étudiants, des soignants, des retraités et des syndicalistes scandent leur colère face aux décisions d’un président qui prône une austérité sans compromis. Ce mercredi, la capitale argentine a vibré au rythme d’une mobilisation massive, célébrant un acte de défi inattendu : le rejet par la Chambre des députés de vetos présidentiels visant à bloquer des financements essentiels pour l’éducation et la santé. Mais cette victoire n’est qu’une étape. Le Sénat, prochain arbitre, pourrait tout changer. Plongée dans un mouvement qui secoue l’Argentine.
Une Rébellion au Cœur de Buenos Aires
La place du Parlement, théâtre de cette révolte, s’est transformée en un véritable festival de résistance. Les manifestants, galvanisés par le vote des députés, ont laissé éclater leur joie. Des embrassades, des chants patriotiques comme La patrie ne se vend pas !, et des klaxons résonnant comme lors d’une victoire sportive ont ponctué cette journée historique. Ce n’était pas seulement une manifestation, mais un cri du cœur pour défendre deux piliers de la société argentine : l’université publique et l’hôpital pédiatrique Garrahan.
Pourquoi une telle ferveur ? Parce que ces vetos, apposés par le président Javier Milei le 10 septembre, touchent des secteurs déjà fragilisés par une crise économique persistante. Les lois rejetées visaient à augmenter les budgets de l’éducation supérieure pour compenser l’inflation galopante et à déclarer l’urgence pédiatrique pour le plus grand hôpital pour enfants du pays. Ce refus présidentiel a été perçu comme une nouvelle attaque contre le bien commun.
Le Contexte : Milei et son Austérité Inflexible
Élu en 2023, Javier Milei, président ultralibéral, a fait de la réduction des dépenses publiques son cheval de bataille. Fidèle à ses promesses de campagne, il a imposé un programme d’austérité drastique, visant un équilibre budgétaire qu’il qualifie de « non négociable ». Ce choix, s’il a permis de ralentir l’inflation – passée de 117 % fin 2024 à 33 % sur douze mois – a un coût social élevé. Les Argentins, confrontés à des salaires stagnants et à des services publics en crise, ressentent durement ces mesures.
Les vetos de Milei sur les financements de l’université et de l’hôpital Garrahan n’ont surpris personne. Ils s’inscrivent dans une logique de rigueur budgétaire qui privilégie les coupes aux investissements publics. Pourtant, cette stratégie commence à montrer ses limites. Début septembre, une élection régionale a marqué un revers cinglant pour le président, perçu comme un test avant les législatives de mi-mandat prévues fin octobre.
Le pire est passé, mais beaucoup d’Argentins n’ont pas encore ressenti la stabilisation économique dans leur réalité.
Javier Milei, président de l’Argentine
L’Université Publique en Péril
Le système universitaire public argentin, jadis un modèle en Amérique latine, traverse une crise sans précédent. Les budgets alloués n’ont pas suivi l’inflation, érodant les salaires des professeurs et le fonctionnement des établissements. Selon le conseil des universités publiques, il faudrait 7 300 milliards de pesos (environ 4,9 milliards de dollars) pour assurer un fonctionnement normal, contre les 4 800 milliards promis par Milei pour 2026. Cette différence, loin d’être anecdotique, creuse un fossé dans un secteur déjà à bout de souffle.
Les universités publiques, gratuites et accessibles, sont un symbole de l’égalité des chances en Argentine. Leur dégradation suscite une colère légitime. Les banderoles brandies lors des manifestations – Défense de l’éducation – traduisent un attachement profond à cet héritage. Les étudiants et les enseignants, présents en masse, dénoncent une politique qui, selon eux, « consolide les pertes » plutôt que de redonner vie au système.
L’Hôpital Garrahan : Un Symbole en Danger
À quelques kilomètres de la place du Parlement, l’hôpital Garrahan, plus grand établissement pédiatrique d’Argentine, est au bord de l’asphyxie. Les professionnels de santé, épuisés par des années de sous-financement, dénoncent des conditions de travail intenables. Florencia Garcia, agente administrative de l’hôpital, a partagé son désarroi :
La fuite de professionnels à cause des bas salaires et de tout ce qui nous manque, c’est la réalité. On ne peut pas continuer comme ça !
Florencia Garcia, agente administrative à l’hôpital Garrahan
La loi visant à déclarer l’urgence pédiatrique pour cet hôpital emblématique était une réponse à cette crise. En la bloquant, Milei a attisé la colère des soignants et des familles, qui voient dans ce veto une menace directe à la santé des enfants.
Le Rôle Crucial du Sénat
Si la Chambre des députés a frappé un grand coup en rejetant les vetos à la majorité qualifiée des deux tiers, la bataille est loin d’être terminée. Le Sénat doit maintenant se prononcer, et le même seuil des deux tiers est requis pour contraindre Milei à promulguer les lois. Ce vote, attendu dans les prochains jours, est crucial. Un succès confirmerait la fragilité politique du président, déjà affaibli par son revers électoral.
Les manifestants, conscients de cet enjeu, maintiennent la pression. Universitaires, soignants, retraités et syndicats se relaient devant le Parlement, bravant un important dispositif policier. Leur message est clair : les droits à l’éducation et à la santé ne se négocient pas.
Une Opposition qui Gagne du Terrain
Face à Milei, une figure émerge : Axel Kicillof, gouverneur péroniste de la province de Buenos Aires. Grand vainqueur des élections régionales du 7 septembre, il est perçu comme un espoir pour l’opposition en vue de la présidentielle de 2027. Sur les réseaux sociaux, il a salué la mobilisation populaire :
Le peuple s’est levé et a dit en masse à Milei que les universités ne sont pas à vendre, les hôpitaux ne se définancent pas, les droits ne se négocient pas.
Axel Kicillof, gouverneur de la province de Buenos Aires
Son discours résonne avec une population lassée des promesses d’amélioration différées à 2026. Car si Milei assure que des hausses de budget pour l’éducation, la santé et les retraites sont prévues, beaucoup, comme Florencia Garcia, rappellent que « cette année, on n’a rien eu ».
Un Budget 2026 sous Tension
Le projet de budget 2026, présenté par Milei dimanche dernier, reste fidèle à sa ligne d’austérité. Malgré des annonces de hausses supérieures à l’inflation pour certains secteurs, les montants proposés sont jugés insuffisants par les experts. Le conseil des universités publiques, par exemple, dénonce un budget qui « creuse l’ajustement » plutôt que de le corriger.
Secteur | Budget Promis (2026) | Budget Nécessaire |
---|---|---|
Universités publiques | 4 800 milliards de pesos | 7 300 milliards de pesos |
Hôpital Garrahan | Non précisé | Urgence pédiatrique |
Ce tableau illustre le fossé entre les besoins réels et les promesses gouvernementales. Pour beaucoup, ces chiffres traduisent un manque d’ambition pour redresser des secteurs essentiels.
Vers un Tournant Politique ?
La mobilisation de ce mercredi n’est pas un événement isolé. Elle s’inscrit dans une série de contestations, comme celle d’août dernier, où le Parlement avait déjà rejeté un veto sur une loi de financement du handicap. Ces revers successifs fragilisent Milei, dont la popularité s’érode à l’approche des législatives. Les manifestants, eux, ne comptent pas s’arrêter. Chaque mercredi, ils se réunissent, renforcés par des syndicats et des mouvements de gauche radicale.
Pour les Argentins, cette lutte dépasse la question des vetos. Elle touche à l’identité même du pays, à ses valeurs d’accès universel à l’éducation et à la santé. Alors que le Sénat s’apprête à voter, une question demeure : ce mouvement marquera-t-il un tournant dans la présidence de Milei, ou le président parviendra-t-il à imposer sa vision ? Une chose est sûre : à Buenos Aires, la patrie ne se vend pas.