C’est un coup de tonnerre dans le monde de la sidérurgie française. Selon nos informations, le géant de l’acier ArcelorMittal a décidé de reporter sine die son ambitieux projet de décarbonation sur son site historique de Dunkerque, dans le Nord. Estimé à 1,8 milliard d’euros, cet investissement devait permettre de réduire drastiquement les émissions de CO2 du plus gros site sidérurgique d’Europe grâce à de nouvelles technologies. Mais la conjoncture défavorable et les incertitudes sur l’avenir de l’acier européen ont visiblement eu raison des velléités vertes du groupe.
Un projet pharaonique gelé par la crise
Annoncé en grande pompe en 2022, le chantier devait aboutir à la construction de deux fours électriques et d’une unité de réduction directe du minerai de fer, première étape vers un acier “vert”. Objectif affiché : réduire de 20% les émissions de CO2 du site dunkerquois dès 2030 et contribuer à la neutralité carbone d’ArcelorMittal en Europe à horizon 2050. Une feuille de route ambitieuse qui semblait sceller le mariage entre l’acier et l’écologie.
Mais c’était sans compter sur la dégradation brutale du marché européen de l’acier depuis quelques mois. Confrontés à une demande atone et des prix déprimés, les sidérurgistes du Vieux Continent tirent la langue. Une situation qui a poussé ArcelorMittal à revoir ses priorités, comme l’a confirmé une source proche du dossier :
Dans le contexte actuel, avec un site qui ne tourne même pas à pleine capacité, la décarbonation n’est plus la priorité immédiate. Le groupe préfère attendre des jours meilleurs et des garanties de Bruxelles avant d’engager de telles dépenses.
– Une source proche du dossier
Des conséquences en cascade
Au-delà du symbole, ce coup d’arrêt fait craindre un effet domino sur toute la filière française de l’acier décarboné. ArcelorMittal devait en effet jouer un rôle de locomotive en démontrant la viabilité technique et économique de ces procédés innovants. Son rétropédalage pourrait refroidir d’autres industriels tentés de sauter le pas.
Contacté, le ministère de l’Economie assure que l’Etat reste mobilisé aux côtés de la sidérurgie pour “rétablir des règles équitables face à la concurrence internationale”. Mais syndicats et élus locaux s’alarment d’ores et déjà des répercussions potentielles sur l’emploi dans le dunkerquois, où l’aciérie est le poumon économique. La CGT locale évoque même un “scénario noir” allant jusqu’à une fermeture pure et simple du site à terme.
L’acier vert, un mirage ?
Plus largement, ce revers interroge sur la capacité réelle de l’industrie lourde européenne à se métamorphoser rapidement sous la pression environnementale. Malgré les incitations publiques, la route vers la neutralité carbone s’annonce semée d’embûches tant que les technologies de rupture ne seront pas matures et compétitives.
Un constat que résume, fataliste, un cadre du secteur :
Personne ne remet en cause la nécessité de décarboner notre acier à long terme. Mais il faut être réaliste : tant qu’il coûtera plus cher de produire propre que sale, la transformation de fond prendra du retard. Les annonces vertes, c’est bien. Tenir la distance économique, c’est mieux.
– Un cadre du secteur de l’acier
Un son de cloche que devront méditer les décideurs européens, tiraillés entre l’urgence climatique et la compétitivité industrielle. Car sans une véritable politique de l’acier vert, associant normes, taxes carbone aux frontières et soutiens ciblés, la décarbonation risque fort de rester un voeu pieux. Le métal a encore du plomb dans l’aile.
L’avenir en pointillé de la sidérurgie française
Au final, c’est toute la stratégie de verdissement de la sidérurgie française qui se retrouve fragilisée par ce coup de froid dunkerquois. Avec 12 millions de tonnes produites par an, le site Arcelor est la pièce maîtresse de notre appareil productif. Son éventuel déclassement aurait valeur de symbole.
Reste à savoir si l’Etat actionnaire, encore minoritaire au capital, saura faire entendre sa voix pour accélérer malgré tout les investissements verts. C’est tout l’enjeu des discussions à venir entre la direction d’ArcelorMittal et Bercy. Sachant qu’en arrière-plan, plane toujours le spectre de potentielles cessions ou réductions de voilure si la conjoncture ne s’améliore pas.
L’acier français a connu bien des épreuves et restructurations douloureuses ces dernières décennies. La mutation écologique ne sera visiblement pas un long fleuve tranquille. Mais face aux lourdes conséquences sociales et industrielles, pas sûr que le report soit une option tenable sur la durée. Le feu de l’acier vert n’est pas près de s’éteindre.