Alors que le leader mondial de la sidérurgie ArcelorMittal vient d’annoncer un investissement massif de 1,8 milliard d’euros sur son site de Dunkerque pour décarboner sa production d’acier, le groupe prévoit dans le même temps de supprimer 28 postes dans le cadre d’une réorganisation de sa filiale ArcelorMittal Distribution Solutions France. Ces deux actualités en apparence paradoxales reflètent les défis auxquels est confronté le secteur de l’acier européen, tiraillé entre la nécessité d’innover pour réduire son empreinte environnementale et la pression concurrentielle internationale qui pèse sur ses marges et ses effectifs. Décryptage d’une industrie en pleine mutation.
ArcelorMittal : entre réorganisation et investissements d’avenir
Le 12 avril, la direction d’ArcelorMittal a annoncé à ses partenaires sociaux un projet de réorganisation de sa filiale spécialisée dans la distribution d’acier, ArcelorMittal Distribution Solutions France. Ce plan prévoit la suppression de 28 postes et la création de 15 emplois, principalement sur les sites de Valence et Strasbourg. La direction justifie ces ajustements par « un contexte économique difficile sur les marchés de l’acier qui pèse sur les secteurs d’activité de ses clients », notamment dans le bâtiment, la construction mécanique et l’industrie. Les volumes distribués ont ainsi baissé de 19% entre 2019 et 2024.
Quelques jours plus tôt, le 4 avril, ArcelorMittal avait pourtant annoncé fièrement un investissement de 1,8 milliard d’euros pour verdir sa production d’acier sur son site phare de Dunkerque. Cet investissement, le plus important jamais réalisé par le groupe sur un site unique, vise à remplacer progressivement les hauts-fourneaux fonctionnant au charbon par un procédé moins émetteur de CO2 combinant un four électrique et des installations de captage et stockage du carbone résiduel. L’objectif est de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre du site nordiste d’ici 2030.
ArcelorMittal en quête de compétitivité et de décarbonation
Cette dualité entre restructurations et investissements illustre les enjeux majeurs auxquels ArcelorMittal et l’ensemble de la filière acier européenne sont confrontés :
- Préserver la compétitivité face à la concurrence asiatique en réduisant les coûts et en optimisant les outils industriels
- Opérer la transition écologique et énergétique en développant des modes de production bas-carbone, au prix d’investissements significatifs
ArcelorMittal a d’ailleurs conditionné ses investissements verts en Europe au maintien de mesures de protection commerciale face aux importations d’acier à bas coût, comme l’explique un porte-parole du groupe :
« Nous demandons à l’UE de créer les conditions économiques qui permettent à l’acier produit de façon durable en Europe d’être compétitif. Sans cela, la production européenne d’acier risque d’être progressivement remplacée par de l’acier importé à plus forte intensité carbone. »
Des suppressions d’emplois limitées en France
Concernant les suppressions de postes annoncées en France, leur ampleur reste mesurée par rapport aux effectifs totaux du groupe, qui emploie 36 000 salariés dans l’Hexagone. Ces réductions d’emploi s’inscrivent dans le cadre de plans de performance récurrents visant à préserver la compétitivité sur un marché fluctuant. Elles touchent principalement des postes administratifs et commerciaux au sein de la branche distribution. Selon des syndicats, des reclassements et départs naturels pourraient permettre d’en limiter l’impact social.
En parallèle, ArcelorMittal souligne que ses investissements massifs à Dunkerque et dans d’autres sites français, comme Fos-sur-Mer, devraient contribuer à pérenniser plusieurs milliers d’emplois industriels qualifiés. Le groupe s’est également engagé à former et reconvertir ses salariés pour accompagner sa mutation vers une sidérurgie plus verte. Ce virage écologique constitue en effet un potentiel gisement d’emplois et de valeur ajoutée pour la filière, à condition de bénéficier de soutiens publics et de préserver ses parts de marché.
Les défis de la sidérurgie européenne face au dumping et au carbone
Au-delà du cas ArcelorMittal, l’avenir de la sidérurgie européenne dépend de sa capacité à relever un double défi : résister aux pratiques de dumping de certains pays qui ne jouent pas à armes égales en termes de normes sociales et environnementales, et réussir sa décarbonation en investissant massivement pour verdir ses procédés.
Confronté à une demande en berne de secteurs gourmands en acier comme l’automobile, le BTP ou la mécanique, l’acier européen devra miser sur l’innovation et la montée en gamme pour se différencier et capter de nouveaux marchés liés à la transition écologique, comme l’éolien en mer, le ferroviaire ou le recyclage. Des initiatives comme le label ResponsibleSteel, qui certifie une production d’acier respectueuse de critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance), montrent la voie pour valoriser une sidérurgie européenne plus vertueuse et compétitive.
Le cas ArcelorMittal illustre ainsi les tensions et les transformations qui traversent la filière acier, prise en étau entre les affres de la compétition mondiale et l’urgence climatique. En jouant sur deux tableaux, celui de la consolidation et celui de la décarbonation, le géant de l’acier espère préserver sa place de leader malgré une conjoncture adverse. Un pari sur l’avenir qui engage toute une industrie stratégique pour la souveraineté économique et la transition écologique de l’Europe.