Imaginez un pays qui, en une seule année, met fin à la vie de plus de 300 personnes par décision judiciaire. Ce n’est pas une fiction dystopique, mais la réalité en Arabie Saoudite en 2025. Avec 340 exécutions recensées depuis le début de l’année, le royaume vient de pulvériser son propre record établi l’an dernier.
Cette escalation brutale interpelle. Elle soulève des questions profondes sur la justice, les droits humains et l’image que ce riche monarchie veut projeter au monde. Plongeons dans les chiffres et les réalités qui se cachent derrière cette vague sans précédent.
Un record macabre qui ne cesse de grimper
Le cap des 340 exécutions a été franchi récemment. Trois citoyens saoudiens condamnés pour meurtre ont été exécutés à La Mecque, portant le total annuel à ce chiffre vertigineux. Cela dépasse les 338 cas enregistrés en 2024, marquant ainsi un nouveau sommet depuis que ces statistiques sont publiquement suivies.
Ce rythme effréné place le royaume parmi les nations les plus actives en matière de peine de mort. Seuls quelques pays devancent ou égalent ce bilan, dans un contexte mondial où cette pratique recule pourtant chez de nombreux États.
Derrière ces nombres se trouve une politique pénale inflexible, ancrée dans une interprétation stricte de la loi islamique. Les autorités justifient ces mesures par la nécessité de préserver l’ordre public. Mais pour beaucoup d’observateurs, ce bilan pose un problème éthique majeur.
La guerre contre la drogue au cœur du phénomène
La grande majorité des exécutions cette année concerne des affaires liées aux stupéfiants. Pas moins de 232 personnes ont été condamnées à mort pour trafic ou possession de drogue. Ce chiffre représente près de 70 % du total annuel.
Cette explosion s’explique par une campagne massive lancée il y a deux ans. Les autorités ciblent particulièrement le captagon, une amphétamine très répandue dans la région. Le royaume, première économie arabe, est devenu un marché important pour cette substance selon les instances internationales.
Les efforts déployés sont visibles dans les statistiques. En 2024, 117 exécutions pour drogue avaient déjà été comptabilisées. Le bond à 232 en 2025 montre une intensification sans précédent de cette répression.
Mais cette approche soulève des critiques virulentes. Des experts estiment que la peine capitale pour des délits non violents contredit les standards internationaux, qui réservent cette sanction aux crimes les plus graves, comme l’homicide intentionnel.
« Il ne s’agit pas de criminels violents, et la plupart sont des ressortissants étrangers. Les exécuter va à l’encontre du droit international. »
Harriet McCulloch, organisation de défense des droits humains
Cette voix représente le sentiment de nombreuses associations qui dénoncent une application disproportionnée de la loi.
Les étrangers, principales victimes de la répression
Parmi les 340 exécutés, 193 étaient des ressortissants étrangers. Sur ce nombre, 182 l’ont été pour des infractions liées à la drogue. Ces chiffres révèlent une tendance claire : la campagne antidrogue frappe durement les travailleurs migrants.
Le royaume accueille des millions d’expatriés. Ils occupent des emplois dans la construction, les services ou les foyers privés. Beaucoup viennent de pays asiatiques ou africains, attirés par des opportunités économiques.
Or, ces mêmes personnes se retrouvent souvent impliquées dans des réseaux de trafic. Parfois par désespoir financier, parfois piégées dans des affaires plus vastes. Le résultat est une surreprésentation dramatique parmi les condamnés à mort.
L’an dernier, 129 étrangers avaient déjà subi ce sort, un record à l’époque. Le passage à 193 cette année accentue encore cette disproportion.
Évolution du nombre d’exécutions d’étrangers :
- 2022 : 34
- 2023 : 34
- 2024 : 129
- 2025 : 193
Cette progression exponentielle illustre l’impact ciblé de la politique actuelle.
Ces travailleurs, souvent vulnérables, paient le prix fort d’une stratégie sécuritaire intransigeante.
Le terrorisme, une part moindre mais persistante
Outre les affaires de drogue, 36 exécutions ont concerné des crimes qualifiés de terroristes. Ce chiffre est en baisse par rapport aux années précédentes, où il oscillait entre 33 et 49.
Certaines organisations de défense des droits signalent que deux mineurs figureraient parmi ces cas. Cela ajouterait une couche supplémentaire de controverse, la peine de mort pour des personnes mineures au moment des faits étant interdite par les conventions internationales.
Ces dossiers, souvent liés à des attentats ou des activités extrémistes, restent sensibles. Ils illustrent la volonté du royaume de maintenir une ligne dure face aux menaces sécuritaires.
Un contraste saisissant avec l’image de modernité
L’Arabie Saoudite investit des milliards pour se repositionner sur la scène mondiale. Projets touristiques grandioses, événements sportifs majeurs, diversification économique : tout vise à projeter une image de progrès et d’ouverture.
Pourtant, ce bilan judiciaire vient ternir ces efforts. Les défenseurs des droits humains y voient une contradiction flagrante entre les réformes annoncées et la réalité pénale.
« Battre le record d’exécutions devrait dissiper toute illusion sur le bilan désastreux en matière de droits humains, ainsi que sur les mensonges entourant les réformes. »
Joey Shea, chercheuse spécialisée
Cette critique met en lumière le fossé entre communication officielle et pratiques concrètes. Les investissements massifs dans l’image internationale semblent buter sur ces statistiques implacables.
Le royaume continue d’affirmer que la peine de mort reste indispensable. Les autorités insistent sur l’épuisement de toutes les voies de recours avant toute exécution. Elles présentent cette mesure comme un rempart essentiel contre le crime organisé.
Un retour progressif sur la scène diplomatique
Malgré les critiques passées, notamment après des affaires médiatisées, le pays a retrouvé une place centrale dans les relations internationales. Des visites de haut niveau, des partenariats économiques renforcés témoignent de cette normalisation.
Récemment, des dirigeants mondiaux ont reçu le prince héritier avec tous les honneurs. Certains ont même publiquement défendu sa position, minimisant les controverses passées.
Cette realpolitik semble primer sur les questions de droits humains pour certains États. Les intérêts stratégiques et économiques l’emportent souvent dans les calculs diplomatiques.
Vers une réflexion globale sur la peine capitale
Ce record saoudien relance le débat mondial sur la peine de mort. Dans de nombreux pays, elle a été abolie ou suspendue. Les organisations internationales plaident pour une restriction aux crimes les plus graves.
Le cas du royaume illustre les défis posés par des systèmes judiciaires fondés sur des interprétations rigoristes. Il met aussi en évidence les tensions entre souveraineté nationale et normes universelles.
Les travailleurs migrants, piliers discrets de l’économie saoudienne, se retrouvent au cœur de cette tempête. Leur vulnérabilité face à la répression antidrogue questionne les protections dont ils devraient bénéficier.
Enfin, ce bilan record invite chaque lecteur à s’interroger. Jusqu’où une société peut-elle aller dans la punition au nom de l’ordre ? Et à quel prix pour son âme et sa réputation ?
Les mois restants de 2025 diront si cette tendance se poursuit. Pour l’instant, ces 340 vies perdues marquent une page sombre de l’histoire contemporaine du royaume.
Le débat sur la peine de mort dépasse les frontières. Il touche à nos valeurs communes sur la dignité humaine et la justice.
En suivant ces évolutions, on mesure l’écart parfois abyssal entre ambitions modernes et réalités pénales. L’Arabie Saoudite, entre tradition et projection vers l’avenir, reste un cas d’étude fascinant et troublant.
Ce phénomène ne se limite pas à des statistiques froides. Derrière chaque chiffre se cache une histoire humaine, une famille brisée, un destin abruptement interrompu.
La communauté internationale observe, critique, parfois agit. Mais les changements profonds viendront-ils de l’intérieur ou sous pression extérieure ? L’avenir le dira.
Une chose est sûre : ces records macabres resteront gravés dans les mémoires. Ils rappelleront que le progrès véritable inclut aussi le respect inaliénable de la vie humaine.









