En 2025, l’Arabie Saoudite fait face à une vague d’exécutions sans précédent, avec plus de 200 cas recensés depuis janvier. Ce rythme effréné, alimenté par une campagne acharnée contre le trafic de drogue, soulève des questions brûlantes : pourquoi une telle intensification ? Qui sont les personnes visées ? Et quel impact cela a-t-il sur l’image d’un pays en quête de modernité ? Cet article plonge au cœur de cette réalité complexe, entre justice, politique et droits humains.
Une lutte antidrogue à l’origine de la vague
Depuis 2023, le royaume saoudien a lancé une offensive majeure contre le trafic de stupéfiants, en particulier le captagon, une amphétamine très prisée au Moyen-Orient. Cette drogue, produite en grande quantité dans des pays voisins, inonde le marché saoudien, première économie du monde arabe. Les autorités ont intensifié les contrôles aux frontières et sur les autoroutes, saisissant des millions de pilules et arrêtant des dizaines de trafiquants.
Sur les 217 exécutions enregistrées cette année, 144 concernent des affaires liées à la drogue, un chiffre qui reflète l’ampleur de cette campagne. Après un moratoire de trois ans sur la peine de mort pour ce type de crimes, le royaume a repris ces exécutions en 2022, avec 19 cas, suivis de deux en 2023, puis un bond spectaculaire à 117 en 2024. Cette année, le pays pourrait dépasser son record de 338 exécutions établi l’an dernier.
Il est clair que l’Arabie Saoudite redouble d’efforts dans les arrestations et les sanctions contre ceux perçus comme impliqués dans le trafic de drogue.
Caroline Rose, analyste au New Lines Institute
Pourquoi une telle reprise ?
La fin du moratoire sur la peine de mort pour les affaires de drogue marque un tournant dans la politique saoudienne. Les autorités affirment que cette mesure est essentielle pour endiguer la montée de la consommation de captagon, un fléau social et économique. Le ministre de l’Intérieur a publiquement déclaré que les trafiquants “n’y survivraient pas”, une rhétorique qui traduit une volonté de frapper fort.
Pourtant, cette stratégie soulève des doutes. Aucune donnée concrète ne démontre que la peine capitale dissuade efficacement le trafic de drogue. Les arrestations se multiplient, mais les saisies de stupéfiants restent fréquentes, suggérant que le problème persiste.
Chiffres clés de la campagne antidrogue :
- 217 exécutions en 2025, dont 144 liées à la drogue.
- Millions de pilules de captagon saisies depuis 2023.
- Augmentation des contrôles aux postes-frontières.
Qui sont les personnes exécutées ?
La majorité des personnes exécutées sont des travailleurs étrangers, souvent employés dans les secteurs de la construction ou des services domestiques. Sur les 217 cas de 2025, 121 concernent des ressortissants étrangers, majoritairement condamnés pour trafic de drogue. Ces individus, souvent originaires de pays voisins ou d’Asie, sont particulièrement vulnérables en raison de leur statut précaire et des obstacles à un procès équitable.
Les experts pointent du doigt des failles dans le système judiciaire. Les travailleurs étrangers, souvent peu familiers avec la langue ou les lois locales, manquent d’accès à une défense adéquate. Cette situation alimente les critiques des organisations de défense des droits humains, qui dénoncent une justice expéditive.
Les ressortissants étrangers sont particulièrement vulnérables aux violations du droit à un procès équitable.
Jeed Basyouni, Reprieve
Parallèlement, 96 Saoudiens ont été exécutés cette année, dont trois pour des accusations de terrorisme. Cette diversité dans les profils des condamnés reflète la rigueur des autorités, mais aussi l’opacité du système judiciaire, où les recours légaux sont souvent limités.
Des résultats concrets ?
Les autorités saoudiennes revendiquent des “résultats positifs” dans leur lutte contre le trafic de drogue, avec des saisies massives et des réseaux démantelés. Cependant, l’absence de données publiques détaillées rend difficile l’évaluation de l’efficacité de cette politique. Les arrestations quotidiennes se poursuivent, et le captagon reste largement disponible sur le marché noir.
Les experts s’accordent à dire que la peine de mort n’a pas prouvé son efficacité comme outil de dissuasion. Les facteurs économiques et sociaux, comme la demande croissante pour le captagon, semblent jouer un rôle plus déterminant dans la persistance du trafic.
Année | Exécutions liées à la drogue | Total exécutions |
---|---|---|
2022 | 19 | N/A |
2023 | 2 | N/A |
2024 | 117 | 338 |
2025 (jusqu’à juillet) | 144 | 217 |
Un impact sur l’image internationale
L’Arabie Saoudite investit massivement pour diversifier son économie, avec des projets touristiques ambitieux et l’organisation d’événements comme la Coupe du monde 2034. Pourtant, la recrudescence des exécutions ternit cette image de modernité. Les organisations de défense des droits humains, comme Amnesty International, dénoncent une “tendance effroyable” où des crimes non violents, comme le trafic de drogue, entraînent la peine capitale.
Le royaume insiste sur la nécessité de la peine de mort pour maintenir l’ordre public, affirmant que les condamnations suivent un processus judiciaire rigoureux. Cependant, les critiques internationales, exacerbées depuis le scandale du meurtre d’un journaliste en 2018, continuent de pointer du doigt un système opaque.
Nous assistons à une tendance vraiment effroyable, avec des ressortissants étrangers condamnés à mort à un rythme alarmant pour des crimes qui ne devraient jamais être passibles de la peine capitale.
Kristine Beckerle, Amnesty International
En parallèle, les relations diplomatiques du royaume se renforcent. En mai 2025, une visite de haut niveau a vu des accords commerciaux majeurs signés, reléguant les questions de droits humains au second plan. Cette dualité entre réformes économiques et pratiques judiciaires controversées continue de diviser les observateurs.
Vers une réforme ou une impasse ?
Face à la montée des critiques, la question se pose : l’Arabie Saoudite peut-elle concilier ses ambitions de modernité avec le maintien de la peine capitale ? Les défenseurs des droits humains appellent à une réforme du système judiciaire, notamment pour garantir des procès équitables et limiter le recours à la peine de mort pour des crimes non violents.
Pour l’heure, le royaume semble déterminé à poursuivre sa campagne antidrogue, au prix d’un coût humain et diplomatique élevé. Les chiffres de 2025 pourraient marquer un tournant, ou au contraire, ancrer cette politique dans la durée.
Points clés à retenir :
- Augmentation record des exécutions en 2025.
- Forte proportion de travailleurs étrangers parmi les condamnés.
- Efficacité de la peine de mort comme dissuasion non prouvée.
- Impact négatif sur l’image internationale du royaume.
En conclusion, l’Arabie Saoudite se trouve à un carrefour. Entre sa volonté de réprimer le trafic de drogue et ses ambitions de rayonnement mondial, le royaume doit naviguer avec prudence. Les mois à venir seront cruciaux pour déterminer si cette vague d’exécutions marque une parenthèse ou une nouvelle norme.