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Annulation d’une Présentation de Livre sur la Casamance au Sénégal

Une librairie sénégalaise a annoncé l'annulation de la présentation d'un livre controversé sur l'autonomie de la Casamance. Cette décision fait suite à de vives protestations remettant en cause le contenu de l'ouvrage, jugé dangereux pour...

Le monde de l’édition sénégalais est secoué par une récente polémique. Mercredi dernier, une grande librairie de Dakar a pris la décision d’annuler la cérémonie de dédicace d’un livre sur la Casamance, région du sud du Sénégal en proie à un vieux conflit indépendantiste. Cette annonce fait suite à de vives protestations contre la publication prochaine de l’ouvrage, jugé controversé.

Un livre qui ravive les tensions

Intitulé “L’idée de la Casamance autonome – Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal”, le livre devait être présenté ce samedi par son auteure, l’historienne française Séverine Awenengo Dalberto, chercheuse au CNRS. Publié aux éditions Karthala, cet ouvrage aborde un sujet sensible qui divise encore la société sénégalaise.

Selon la note d’annonce de la présentation, l’enquête de l’auteure “montre que l’autonomie de la Casamance a été l’un des possibles non advenus de la colonisation et de la décolonisation, envisagée par des acteurs français comme casamançais.” Une thèse qui n’a pas manqué de faire réagir, notamment au sein de la classe politique.

L’unité nationale en jeu

L’Alliance pour la République, parti au pouvoir jusqu’à la présidentielle de mars, a vivement protesté contre la parution de ce livre. Dans un communiqué, le parti estime que l’ouvrage “remet en question les acquis” sur la paix en Casamance et représente un danger pour l’unité nationale. Une position ferme qui reflète la sensibilité du sujet au Sénégal.

Face à la polémique grandissante, la librairie “Aux quatre vents” de Dakar a finalement décidé d’annuler purement et simplement la cérémonie de dédicace prévue, sans donner plus d’explications. Ni l’auteure ni les autorités n’ont pour l’heure réagi publiquement à cette décision.

La liberté académique en question

Au-delà du cas spécifique de ce livre, c’est la question de la liberté académique et du droit de discuter des sujets sensibles qui se pose. Elara Bertho, autre chercheuse au CNRS, a réagi sur Twitter en déclarant que “l’ouvrage traite de l’idée de Casamance dans le temps long, ce n’est pas un manuel de séparatisme armé. Les sciences sociales doivent être discutées, au besoin contredites, mais pas censurées.”

Ce n’est pas la première fois qu’un ouvrage sur la Casamance suscite la polémique au Sénégal. En 2010 déjà, un précédent livre d’un autre chercheur français avait été purement et simplement interdit de diffusion dans le pays. Un précédent qui en dit long sur les réticences des autorités à voir ce sujet épineux débattu publiquement.

Un conflit qui perdure

Il faut dire que le conflit en Casamance reste une plaie ouverte pour le Sénégal. Démarrée en 1982, cette rébellion indépendantiste est l’un des plus vieux conflits du continent africain. Malgré une baisse d’intensité ces dernières années, les affrontements sporadiques continuent de meurtrir cette région isolée du reste du pays par la Gambie.

Avec des milliers de victimes et une économie dévastée, la Casamance peine à panser ses plaies. Si l’État sénégalais rejette catégoriquement toute idée d’autonomie, il peine encore à répondre aux aspirations de cette région meurtrie. Un défi de taille pour les autorités, tiraillées entre la nécessité de préserver l’unité nationale et l’urgence de ramener une paix durable.

Vers un débat apaisé ?

Au-delà de la polémique autour de ce livre, c’est la question de l’avenir de la Casamance qui se pose avec acuité. Comment sortir durablement de ce conflit qui mine le pays depuis des décennies ? Comment répondre aux aspirations de cette région sans remettre en cause l’unité nationale ?

Des questions complexes qui nécessitent un vrai débat de fond, dépassionné et inclusif. Un débat qui ne peut faire l’économie d’une analyse historique rigoureuse, comme tente de le faire le livre de Séverine Awenengo Dalberto. Car ce n’est qu’en comprenant les racines profondes de ce conflit qu’on pourra espérer y trouver une issue.

Malheureusement, la censure et les polémiques à répétition autour des publications sur le sujet ne facilitent pas l’émergence d’un tel débat. En refusant de se confronter à leur histoire et à leurs démons, les autorités sénégalaises risquent au contraire de laisser prospérer les rancœurs et les incompréhensions.

Il est temps que le Sénégal affronte sereinement son passé pour mieux construire son avenir. Cela passe par la liberté de débattre de sujets sensibles comme celui de la Casamance, dans le respect de toutes les sensibilités. C’est à ce prix que le pays pourra espérer tourner définitivement la page de ce douloureux conflit et retrouver la voie de la paix et de la concorde nationale.

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