Alors que les liens entre la Turquie et le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), aujourd’hui aux commandes en Syrie, étaient jusqu’ici discrets, les deux parties les affichent désormais ouvertement. Chacun semble en effet tirer profit de cette relation, si l’on en croit plusieurs analystes.
Le chef de la diplomatie turque Hakan Fidan a ainsi vanté la connaissance qu’a son pays du groupe HTS, affirmant même qu’Ankara avait réussi à convaincre la Russie et l’Iran de ne pas stopper l’offensive qui a mené à la chute du régime de Bachar al-Assad. Il a cependant nié que la victoire des rebelles syriens signifie une « prise de contrôle » de la Syrie par la Turquie, comme l’avait affirmé le président américain élu Donald Trump.
Une « relation stratégique » entre Ankara et Damas
De son côté, le nouveau dirigeant syrien Abou Mohammad al-Jolani, chef de HTS, a déclaré que son gouvernement entretiendra une « relation stratégique » avec la Turquie. Un changement radical alors que les deux pays sont longtemps restés ennemis.
Cette nouvelle proximité s’est illustrée de façon frappante lors de la visite très médiatisée du chef du renseignement turc Ibrahim Kalin à Damas, seulement quatre jours après la chute d’Assad. Une manière pour les nouveaux dirigeants syriens d’asseoir leur légitimité et de nouer des contacts sur la scène internationale, eux qui manquent pour l’instant d’expérience diplomatique.
La Turquie prête à aider militairement la Syrie
Ankara se dit même « prêt » à fournir une assistance militaire aux nouvelles autorités syriennes et a appelé la communauté internationale à retirer HTS de la liste des organisations terroristes. Un retrait que la Turquie devrait elle-même effectuer prochainement, a laissé entendre le ministre turc des Affaires étrangères.
Le président Erdogan, actuellement en visite en Égypte, pourrait tenter de convaincre Le Caire, autre acteur majeur de la région, d’établir des contacts avec le nouveau pouvoir à Damas. Si la Turquie parvient à « aider à stabiliser la Syrie », celle-ci pourrait devenir « un allié » et offrir à Ankara « plus d’influence qu’elle n’en a jamais eu depuis 1920 », analyse Soner Cagaptay, du Washington Institute of Near East Policy.
Ankara veut pousser Damas à combattre les Kurdes
En échange de son soutien, la Turquie espère manifestement que le nouveau pouvoir syrien l’aide à se débarrasser des combattants kurdes dans le nord de la Syrie, qu’elle considère comme une menace. « Le nouveau gouvernement syrien le souhaite autant que nous », a ainsi déclaré le ministre turc de la Défense.
De son côté, le chef militaire de HTS a affirmé que l’autorité du nouveau pouvoir s’exercerait aussi sur les zones kurdes du nord-est, aujourd’hui sous administration semi-autonome. Mais selon un spécialiste de la Syrie au sein d’une représentation diplomatique occidentale en Turquie, « les Turcs voudraient pousser HTS à taper les Kurdes, mais HTS ne veut pas s’impliquer ».
Le rôle d’Ankara surestimé mais un levier économique réel
Pour cette source, le rôle joué par la Turquie dans l’offensive en Syrie a été « surestimé ». Néanmoins, Ankara dispose désormais d’un « vrai levier économique » grâce à sa frontière de plus de 900 km avec la Syrie.
Les Occidentaux souhaitent cependant éviter que la Turquie ne s’impose comme l’unique interlocuteur incontournable de Damas. La présidente de la Commission européenne a ainsi estimé que l’UE devait « intensifier » ses liens avec le nouveau pouvoir syrien.
Beaucoup dépendra aussi de la position du président américain élu Donald Trump. S’il s’est dit convaincu que « la Turquie détient les clés de la Syrie », les États-Unis conservent une réelle influence sur la légitimité internationale du nouveau gouvernement et le financement de la reconstruction du pays, souligne Ömer Özkizilcik, chercheur associé à l’Atlantic Council à Ankara.
La nouvelle donne géopolitique en Syrie reste donc encore à écrire, avec la Turquie en position de force mais devant composer avec de multiples acteurs aux intérêts parfois divergents. La stabilisation du pays et la pacification des relations turco-syriennes représentent à ce titre un défi majeur pour les mois et années à venir.