Imaginez une île où les forêts, autrefois luxuriantes, s’effacent peu à peu sous la pression humaine. À Anjouan, dans l’archipel des Comores, ce scénario est une réalité alarmante. Entre la quête de terres agricoles, l’exploitation de l’ylang-ylang et la fabrication artisanale de portes en bois, l’île la plus montagneuse de l’archipel lutte pour préserver ses derniers massifs forestiers. Mais des initiatives locales, portées par des ONG et des agriculteurs engagés, offrent une lueur d’espoir.
Un Écosystème au Bord du Précipice
La situation est critique. En seulement deux décennies, entre 1995 et 2014, Anjouan a perdu environ 80 % de ses forêts naturelles. Ce chiffre, révélé par les autorités locales, reflète une réalité brutale : les arbres disparaissent à un rythme effréné. Les causes ? Une combinaison dévastatrice de facteurs humains et économiques qui pèsent lourd sur cette île de 424 km², abritant plus de 325 000 habitants.
Avec une densité de population dépassant les 700 habitants par km², la pression sur les terres est énorme. Les agriculteurs, en quête de sols fertiles, défrichent les forêts pour cultiver des denrées essentielles à leur survie. À cela s’ajoute l’industrie de l’ylang-ylang, une fleur prisée pour son huile essentielle, et la production traditionnelle de portes sculptées, qui consomment des quantités importantes de bois.
Les Gardiens de l’Eau : Une Initiative Novatrice
Face à ce désastre écologique, des organisations locales comme Dahari se mobilisent. Basée à Mutsamudu, la capitale d’Anjouan, cette ONG a lancé en 2024 un programme ambitieux de reforestation. Baptisés Walezi wa ya maji, ou « gardiens de l’eau », les agriculteurs partenaires s’engagent à reboiser leurs terres ou à les laisser en jachère pendant cinq ans, en échange d’une compensation financière.
« Nous travaillons directement avec les agriculteurs sur les hauts plateaux pour préserver les forêts et les ressources en eau », explique Misbahou Mohamed, responsable chez Dahari.
Ce programme ne se contente pas de planter des arbres. Il s’agit d’une approche collaborative qui intègre les communautés locales dans la lutte contre la déforestation. En inspectant régulièrement les parcelles, Dahari s’assure que les engagements sont respectés, tout en offrant un soutien économique aux agriculteurs, souvent confrontés à des choix difficiles entre survie immédiate et préservation à long terme.
L’Ylang-Ylang : Un Parfum au Coût Écologique Élevé
L’ylang-ylang, cette fleur jaune emblématique des Comores, est au cœur de l’économie d’Anjouan. Utilisée dans les parfums de luxe, son huile essentielle fait vivre des milliers de familles. Mais sa production est énergivore. La distillation traditionnelle nécessite de brûler environ 250 kg de bois pour produire un seul litre d’huile, selon un rapport spécialisé.
Certains producteurs, conscients de l’impact environnemental, modernisent leurs pratiques. Mohamed Mahamoud, un cultivateur de 67 ans, témoigne de cette transition :
« Avant, une distillation consommait 6 mètres cubes de bois. Avec des alambics en inox et des fours améliorés, j’ai réduit ma consommation de moitié », explique-t-il.
Pour limiter sa dépendance au bois, Mohamed cultive désormais des manguiers et des arbres à pain, une initiative qui illustre une prise de conscience croissante parmi les producteurs. Cependant, tous n’ont pas les moyens d’adopter ces nouvelles technologies, et le bois reste l’énergie la plus accessible pour beaucoup.
Un Écosystème Hydrique en Danger
La déforestation ne se limite pas à la disparition des arbres. Elle entraîne des conséquences dramatiques sur les ressources en eau. Les forêts jouent un rôle crucial dans l’infiltration de l’eau, alimentant rivières et nappes phréatiques. Sans elles, les cours d’eau s’assèchent, privant les habitants d’une ressource vitale.
Abdoul Oubeidillah, expert en hydroclimatologie, compare les forêts à une éponge :
« La forêt retient l’eau et la relâche graduellement, alimentant les cours d’eau. Sans elle, les rivières disparaissent. »
En 1925, Anjouan comptait une cinquantaine de rivières à fort débit. Aujourd’hui, moins de dix coulent encore toute l’année. Cette situation alarmante menace l’agriculture, la consommation domestique et l’équilibre écologique de l’île.
Des Solutions Énergétiques pour l’Avenir
Pour réduire l’impact de l’ylang-ylang sur les forêts, certains producteurs explorent des alternatives énergétiques. Le pétrole, bien que plus coûteux, est de plus en plus utilisé pour la distillation. Cependant, l’électricité reste hors de portée pour beaucoup, en raison de son coût élevé et des fréquentes coupures de courant.
Un exportateur anonyme du secteur explique :
« Passer à l’électricité coûterait dix fois plus cher, sans compter les interruptions fréquentes du réseau. »
Ces défis soulignent la nécessité d’investir dans des infrastructures énergétiques durables pour soutenir les producteurs tout en préservant l’environnement.
Un Engagement Gouvernemental et Communautaire
Le gouvernement comorien ne reste pas inactif. Une campagne nationale de reboisement est en préparation, impliquant la population dans des efforts collectifs pour restaurer les forêts. Cette initiative vise à mobiliser les habitants d’Anjouan autour d’un objectif commun : préserver les écosystèmes pour les générations futures.
Bastoini Chaambani, membre d’une ONG locale, insiste sur l’urgence :
« Il ne reste qu’une poignée de rivières permanentes. Nous devons agir maintenant pour sauver ce qui peut encore l’être. »
En parallèle, des programmes éducatifs sensibilisent les communautés à l’importance de la conservation. En impliquant les agriculteurs, les écoles et les leaders locaux, ces initiatives cherchent à instaurer une culture de la durabilité.
Un Tableau des Enjeux Écologiques
Problème | Cause | Solution |
---|---|---|
Déforestation | Pression démographique, production d’ylang-ylang, portes en bois | Programmes de reforestation, alternatives énergétiques |
Tarissement des rivières | Perte des forêts, faible infiltration d’eau | Reboisement, gestion durable des sols |
Dépendance au bois | Coût élevé des alternatives énergétiques | Modernisation des alambics, énergie renouvelable |
Ce tableau illustre les défis majeurs et les pistes de solutions envisagées. Chaque problème est interconnecté, nécessitant une approche globale pour garantir des résultats durables.
Vers un Avenir Plus Vert ?
Le combat pour les forêts d’Anjouan est loin d’être gagné, mais les initiatives en cours montrent qu’un changement est possible. Les gardiens de l’eau, les producteurs innovants et les campagnes de reboisement incarnent une volonté collective de protéger cet écosystème unique. Cependant, le succès dépendra de la capacité à concilier développement économique et préservation environnementale.
Pour les habitants d’Anjouan, la forêt n’est pas seulement un patrimoine naturel : elle est la clé de leur survie. En restaurant les arbres, ils restaurent aussi l’eau, la biodiversité et l’espoir d’un avenir durable.
- Reboisement : Impliquer les communautés locales pour planter des arbres.
- Innovation énergétique : Réduire la dépendance au bois pour la distillation.
- Sensibilisation : Éduquer sur l’importance des écosystèmes forestiers.
- Partenariats : Collaborer avec ONG et gouvernement pour des solutions durables.
Le chemin est long, mais les efforts conjugués des agriculteurs, des ONG et des autorités locales tracent une voie vers la résilience. Anjouan peut-elle redevenir une île verdoyante ? L’avenir dépend des actions entreprises aujourd’hui.