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Anjouan : Sauver la Forêt d’une Île en Péril

À Anjouan, 80 % des forêts ont disparu en 20 ans. Des ONG et agriculteurs luttent pour reboiser, mais les défis sont immenses. Réussiront-ils à sauver l'île ?

Imaginez une île où les forêts, autrefois luxuriantes, ne sont plus que des souvenirs sur 80 % de leur superficie. À Anjouan, dans l’archipel des Comores, ce scénario dramatique est une réalité. Les montagnes, jadis couvertes d’arbres, sont aujourd’hui dénudées, victimes d’une déforestation galopante. Mais au cœur de cette crise écologique, des initiatives portées par des ONG et des habitants tentent de redonner vie à ces paysages. Cet article explore les causes de ce désastre, les efforts pour y remédier et les enjeux cruciaux pour l’avenir d’Anjouan.

Une Forêt en Danger : Le Constat Alarmant

Entre 1995 et 2014, Anjouan a perdu 80 % de ses forêts naturelles, un chiffre qui donne le vertige. Cette île, la plus montagneuse et la plus densément peuplée des Comores, souffre d’une combinaison fatale : une population croissante, des pratiques agricoles intensives et des industries traditionnelles gourmandes en bois. Avec plus de 325 000 habitants sur 424 km², soit environ 700 habitants par km², la pression sur les terres est immense. Les agriculteurs, en quête de sols fertiles, n’ont d’autre choix que de défricher les zones boisées pour cultiver.

Le ministre de l’Environnement comorien a tiré la sonnette d’alarme, soulignant l’urgence de protéger les derniers massifs forestiers, souvent situés dans des zones si escarpées qu’elles restent inaccessibles. Mais comment en est-on arrivé là ? Quels sont les facteurs qui ont conduit à cette situation critique ?

Les Causes d’une Déforestation Massive

La déforestation à Anjouan est le résultat de plusieurs forces combinées. Tout d’abord, la pression démographique joue un rôle central. Avec une population en constante augmentation, les terres agricoles deviennent une ressource rare. Les habitants, souvent dépendants de cultures vivrières, abattent les arbres pour libérer des parcelles cultivables. Ce cycle infernal épuise les sols et fragilise les écosystèmes.

Ensuite, l’ylang-ylang, cette fleur emblématique des Comores, est un autre facteur clé. Utilisée pour produire une huile essentielle prisée dans la parfumerie de luxe, sa distillation nécessite d’importantes quantités de bois. Selon un rapport spécialisé, il faut environ 250 kg de bois pour produire un seul litre d’huile essentielle. Avec 10 000 producteurs d’ylang-ylang à Anjouan, l’impact sur les forêts est colossal.

Enfin, la fabrication de portes en bois sculptées, une tradition artisanale qui fait la fierté de l’île, contribue également à la disparition des arbres. Ces portes, véritables œuvres d’art, sont très demandées, mais leur production repose sur l’exploitation intensive des ressources forestières.

Les chiffres clés de la déforestation à Anjouan :

  • 80 % des forêts perdues entre 1995 et 2014.
  • 325 000 habitants pour 424 km².
  • 250 kg de bois pour 1 litre d’huile d’ylang-ylang.
  • Moins de 10 rivières permanentes contre 50 en 1925.

Les Gardiens de l’Eau : Une Initiative d’Espoir

Face à ce désastre écologique, des solutions émergent. À Mutsamudu, chef-lieu d’Anjouan, une ONG locale nommée Dahari mène une bataille acharnée pour restaurer les forêts. En 2024, elle a lancé un programme innovant baptisé « Walezi wa ya maji » (« les gardiens de l’eau » en swahili). Ce projet repose sur une collaboration étroite avec les agriculteurs locaux, qui deviennent des acteurs clés de la reforestation.

« Nous travaillons directement avec les agriculteurs sur les hauts plateaux via un contrat de conservation de cinq ans », explique un responsable de Dahari.

Concrètement, les agriculteurs s’engagent à reboiser leurs terres ou à les laisser en jachère en échange d’une compensation financière. Des inspections régulières garantissent le respect de ces engagements. Cette approche, qui combine écologie et soutien économique, redonne espoir aux communautés tout en restaurant les paysages dévastés.

L’Ylang-Ylang : Une Industrie à Double Tranchant

L’ylang-ylang est à la fois une richesse et une menace pour Anjouan. Les Comores figurent parmi les plus grands producteurs mondiaux de cette huile essentielle, aux côtés de Madagascar ou de La Réunion. Cette activité représente près d’un tiers du PIB national, mais son coût environnemental est élevé. Les alambics traditionnels, qui brûlent du bois pour chauffer les fleurs, sont particulièrement énergivores.

Certaines initiatives tentent toutefois de limiter cet impact. Mohamed, un producteur de 67 ans, témoigne de son adaptation :

« Avant, une distillation consommait 6 m³ de bois. Avec des alambics modernes en inox, j’ai réduit ma consommation de moitié. »

En parallèle, Mohamed cultive des manguiers et des arbres à pain pour répondre à ses besoins en bois, une pratique qui pourrait inspirer d’autres producteurs. Cependant, tous n’ont pas les moyens d’investir dans ces nouvelles technologies. Certains se tournent vers le pétrole, plus coûteux, tandis que l’électricité reste prohibitive en raison de son prix et des fréquentes coupures.

Méthode de distillation Consommation énergétique Coût relatif
Bois (alambic traditionnel) 250-300 kg par litre Faible
Bois (alambic moderne) 125-150 kg par litre Modéré
Pétrole Variable Élevé (2x plus cher)
Électricité Variable Très élevé (10x plus cher)

Les Rivières Disparues : Une Conséquence Dramatique

La déforestation n’a pas seulement transformé les paysages, elle a aussi bouleversé le cycle de l’eau. Les forêts agissent comme des éponges, retenant l’eau de pluie et alimentant les rivières et les nappes phréatiques. Sans elles, les cours d’eau s’assèchent. En 1925, Anjouan comptait 50 rivières permanentes. Aujourd’hui, il en reste moins de 10.

« La forêt favorise l’infiltration de l’eau, comme une éponge qui la garde et la relâche graduellement », explique un hydroclimatologue.

Ce tarissement affecte directement les communautés, qui dépendent de ces rivières pour l’irrigation et l’eau potable. La perte des forêts entraîne également une érosion accrue des sols, rendant les terres moins fertiles et plus vulnérables aux glissements de terrain.

Le Gouvernement et les Communautés à l’Action

Le gouvernement comorien ne reste pas inactif. Une campagne nationale de reboisement, impliquant la population, est en préparation. L’objectif est clair : protéger les dernières forêts et restaurer celles qui ont disparu. Cette initiative, combinée aux efforts des ONG comme Dahari, pourrait inverser la tendance, mais le chemin est long.

Les habitants d’Anjouan, conscients des enjeux, s’impliquent également. Des groupes locaux, comme l’ONG Dayima, sensibilisent les communautés à l’importance de préserver les écosystèmes. Ces initiatives communautaires sont essentielles pour assurer la pérennité des efforts de reforestation.

Actions clés pour sauver les forêts d’Anjouan :

  • Programme « Walezi wa ya maji » pour reboiser avec les agriculteurs.
  • Modernisation des alambics pour réduire la consommation de bois.
  • Campagne nationale de reboisement avec participation citoyenne.
  • Sensibilisation par des ONG locales comme Dayima.

Un Défi pour l’Avenir

La bataille pour sauver les forêts d’Anjouan est loin d’être gagnée. Les défis sont nombreux : une population croissante, des ressources limitées et des industries traditionnelles difficiles à réformer. Pourtant, les initiatives comme celles des « gardiens de l’eau » ou les alambics modernes montrent qu’un changement est possible.

La préservation des forêts n’est pas seulement une question écologique, c’est aussi un enjeu social et économique. Restaurer les écosystèmes, c’est garantir l’accès à l’eau, protéger les sols et soutenir les moyens de subsistance des habitants. Anjouan peut-elle devenir un modèle de résilience face à la crise environnementale ? L’avenir le dira, mais une chose est sûre : chaque arbre planté est un pas vers un avenir plus vert.

En attendant, les efforts conjugués des ONG, des agriculteurs et du gouvernement offrent une lueur d’espoir. La forêt d’Anjouan, bien que fragilisée, n’a pas dit son dernier mot. Et si c’était le début d’une renaissance écologique pour cette île de l’océan Indien ?

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