Qu’est-ce qui pousse un enfant d’immigrés albanais, né dans une cité de banlieue, à devenir une icône mondiale de la danse ? Le parcours d’Angelin Preljocaj, chorégraphe visionnaire, est une réponse vibrante à cette question. De ses débuts marqués par l’adversité à son intronisation à l’Institut de France, son histoire est celle d’une quête obstinée pour transformer le mouvement en art universel. Cet article retrace son ascension, ses inspirations et l’héritage qu’il continue de tisser sous la coupole.
Un Destin Forgé dans la Danse
Angelin Preljocaj n’était pas destiné à la gloire. Né de parents ayant fui la dictature stalinienne en Albanie, il grandit à Champigny-sur-Marne, dans un environnement où la danse n’avait rien d’évident. Pourtant, une image change tout : à 12 ans, il tombe sur une photographie de Rudolf Noureev, figé dans un saut d’une grâce saisissante. Cette vision devient son obsession, le point de départ d’un voyage artistique hors du commun.
Dans sa cité, la danse est loin d’être une ambition valorisée, surtout pour un garçon. Les moqueries des camarades et l’incompréhension des proches, y compris de sa mère, ouvrière dans une usine, auraient pu freiner ses élans. Mais Preljocaj transforme ces obstacles en carburant, faisant de la danse un art de combat, une manière de défier les conventions et de se réinventer.
« Pour se faire une opinion sur ma carrière de danseur, ma mère a fait un sondage très succinct auprès de ses collègues ouvrières. Autant dire que je fus disqualifié au premier tour. »
Angelin Preljocaj
Des Premiers Pas à la Scène Mondiale
Le jeune Angelin ne se contente pas de rêver. Il s’engage corps et âme dans l’apprentissage de la danse, explorant d’abord le classique auprès de professeurs exilés russes, puis le contemporain à la Schola Cantorum. Sa détermination impressionne, au point qu’une enseignante, Karine Waehner, lui ouvre gratuitement ses cours. Mais c’est à New York, auprès de Merce Cunningham, qu’il découvre une vérité essentielle : la danse n’est pas une quête de beauté, mais une exploration de l’essence même du mouvement.
Cette révélation marque un tournant. Preljocaj comprend que danser, c’est devenir tour à tour insecte, oiseau ou cheval, sans artifice. Cette philosophie guide ses premières créations, encouragées par Dominique Bagouet, qui voit en lui un potentiel unique. Très tôt, il croise la route de Rudolf Noureev, alors directeur du Ballet de l’Opéra, qui l’invite à danser au Palais Garnier. Une rencontre mémorable, marquée par un déjeuner où Noureev, déjà affaibli, dévore un tournedos cru avec une intensité presque animale.
Un moment gravé dans la mémoire de Preljocaj : face à son idole, il découvre que la grandeur artistique s’accompagne souvent d’une humanité brute, imparfaite, mais profondément vivante.
Le Pavillon Noir : Un Temple de la Création
En 2006, Preljocaj concrétise un rêve : la création du Pavillon Noir, un centre chorégraphique à Aix-en-Provence, conçu par l’architecte Rudy Ricciotti. Ce lieu devient son laboratoire, un espace où il peut expérimenter, collaborer avec des plasticiens, compositeurs et écrivains, et repousser les limites de la chorégraphie contemporaine. Avec plus de soixante ballets à son actif en quarante ans, Preljocaj s’impose comme un pionnier, capable de mêler poésie, rigueur et audace.
Le Pavillon Noir n’est pas seulement un bâtiment : c’est un symbole de son engagement à faire de la danse un art accessible et universel. Ses créations, comme Requiem(s) ou Appartement, explorent des thèmes aussi variés que la mort, l’amour ou la condition humaine, touchant des publics du monde entier.
Sous la Coupole : Une Consécration Émotionnelle
Le 24 avril 2019, Preljocaj est élu à la chaire de chorégraphie de l’Institut de France, aux côtés de figures comme Blanca Li et Carolyn Carlson. Pourtant, il faudra attendre six ans pour son intronisation officielle, un retard qui amuse autant qu’il intrigue. Lors de la cérémonie, l’émotion est palpable. Les rires laissent place à une standing ovation, et Preljocaj, la voix tremblante, livre un discours poignant sur son parcours.
« Danser face au monde, danser seul parfois et aussi faire danser. Danser pour le meilleur et pour le pire, danser pour vivre, pour témoigner, pour un sourire, pour un murmure… »
Angelin Preljocaj
La cérémonie se conclut par une performance unique : des danseurs descendent les escaliers de la coupole, livres en main, exécutant un duo en miroir suivi d’un solo d’une grâce infinie. Le public, debout, ovationne pendant dix minutes. Puis vient la remise de l’épée, un bâton de pluie conçu par Constance Guisset, renfermant de la poussière de météorites – une métaphore parfaite pour un artiste qui semble danser parmi les étoiles.
Une Philosophie de la Danse
Ce qui distingue Preljocaj, c’est sa capacité à transcender les frontières. Sa danse n’est pas seulement un spectacle : elle est une réflexion sur l’humanité, un dialogue avec l’autre. Inspiré par des figures comme Sainte Ursule, il cherche à dépouiller le mouvement de tout superflu pour n’en garder que l’essence. Cette quête d’authenticité se retrouve dans ses collaborations interdisciplinaires, où la musique, les arts visuels et la littérature se mêlent pour créer des œuvres totales.
Ses ballets, souvent décrits comme des poèmes visuels, captivent par leur capacité à raconter des histoires universelles. Par exemple, Requiem(s) explore la mort avec une intensité brute, tandis que Les Nuits s’inspire des contes des Mille et Une Nuits pour évoquer le désir et la liberté. Chaque création est une invitation à voir le monde autrement.
Œuvre | Thème | Année |
---|---|---|
Requiem(s) | La mort et le deuil | 2006 |
Les Nuits | Désir et liberté | 2013 |
Appartement | Vie quotidienne et intimité | 2000 |
Un Héritage en Mouvement
L’héritage de Preljocaj ne se limite pas à ses créations. En formant des danseurs, en inspirant d’autres chorégraphes et en rendant la danse accessible à tous, il redéfinit ce que cet art peut accomplir. Le Pavillon Noir accueille des compagnies du monde entier, faisant d’Aix-en-Provence un carrefour de la danse contemporaine. Ses collaborations avec des artistes comme Laurent Garnier ou Jean Paul Gaultier montrent sa volonté de décloisonner les disciplines.
Son intronisation à l’Institut de France n’est pas seulement une reconnaissance personnelle : elle célèbre la danse comme un art majeur, capable de rivaliser avec la peinture ou la littérature. Preljocaj, par son parcours, prouve que l’art peut être un pont entre des mondes que tout semble opposer – la banlieue et la coupole, l’Albanie et la France, le corps et l’âme.
Pourquoi Preljocaj Fascine
Ce qui rend Preljocaj unique, c’est sa capacité à transformer le personnel en universel. Son histoire – celle d’un enfant d’immigrés devenu maître de la danse – résonne avec quiconque a déjà rêvé de dépasser ses origines. Ses ballets, à la fois poétiques et accessibles, parlent à tous, des amateurs d’art aux néophytes.
Voici quelques raisons de son succès :
- Une vision universelle : Ses œuvres transcendent les cultures et les langues.
- Une rigueur artistique : Chaque mouvement est pensé, épuré, essentiel.
- Un dialogue avec d’autres arts : Ses collaborations enrichissent ses créations.
- Un engagement social : Il rend la danse accessible à travers le Pavillon Noir.
Son discours lors de son intronisation résume cette philosophie : danser, c’est vivre, résister, témoigner. C’est un acte de création qui ne s’arrête jamais, un mouvement perpétuel vers l’essentiel.
Un Avenir Plein de Promesses
À 68 ans, Preljocaj ne montre aucun signe d’essoufflement. Ses projets continuent d’explorer de nouveaux territoires, que ce soit à travers des collaborations inattendues ou des créations qui repoussent les limites du mouvement. Le Pavillon Noir reste un lieu d’innovation, et son influence sur la nouvelle génération de chorégraphes est indéniable.
En recevant son épée sous la coupole, Preljocaj n’a pas seulement été honoré : il a rappelé au monde que la danse est un langage universel, capable de raconter des histoires, de provoquer des émotions et de changer des vies. Son parcours, fait d’obstacles surmontés et de rêves réalisés, est une invitation à croire en soi, à danser face au monde, quoi qu’il arrive.
« Danser, c’est se sentir vibrer en pensant qu’il reste tant de choses à réaliser. »
Angelin Preljocaj n’est pas seulement un chorégraphe : il est un passeur d’histoires, un architecte du mouvement, un homme qui a transformé son destin en une ode à la beauté. Sous la coupole, il a prouvé que la danse, loin d’être un art éphémère, peut atteindre l’immortalité.